Les pérégrinations escapades et aventures de Claude La Ramée et de son cousin Labiche

CHAPITRE XV

 

Mon entrée dans la baraque. – Del’effet que produit la sacoche de Mademoiselle Marianne. – L’hommeà l’histoire. – Mon engagement.

 

Après avoir fait un violent effort pourvaincre ma timidité, j’entrai donc dans la baraque de l’homme auxaventures, tenant toujours à la main la sacoche de mademoiselleMarianne. Mon entrée produisit un effet auquel, tout en craignantune mauvaise réception, j’étais encore loin de m’attendre. Il sefaisait, au moment de mon arrivée, un étrange remue-ménage, et jevis plusieurs personnes, revêtues de costumes bizarres et quej’expliquerai tout à l’heure, occupées à faire des paquets avec uneactivité inconcevable. Grâce à cette occupation, je ne fus pasremarqué d’abord ; je me tenais dans un coin, tremblant etn’osant parler. Enfin, la première personne qui m’aperçut, en seretournant, fut une femme dont il était impossible de reconnaîtrel’âge, tant sa figure était barbouillée d’une teinte jaunâtre queje pris alors pour sa couleur naturelle.

– Qu’est-ce qu’il veut donc ce petit-làqui nous regarde ? dit la femme à la figure jaune.

À cette parole, tous les hommes qui faisaientdes paquets se retournèrent tout à coup, et je cherchai vainement àreconnaître parmi eux le monsieur qui avait annoncé son prochaindépart. Mon intelligence naturelle me disait que c’était à lui queje devais m’adresser. À peine eus-je été remarqué, que je me visentouré par tous ces étranges personnages.

– Qu’est-ce que tu viens faire ici,gamin ? dit l’un.

– Il vient nous espionner, fit unautre.

– Attends ! attends !… je vaisbattre un boniment sur ton dos, ajouta une grosse voixenrouée sortant du milieu de deux épaisses moustaches grisonnantesaccompagnées de leur royale, et que je reconnus pour cellequi avait conté l’histoire.

– Laissez-moi faire, je vas lui donner sachasse, reprit un quatrième. Et je le vis saisir un manche à balaià mon intention.

J’essayais en vain de parler. La peur m’avaitôté la parole ; et, quand bien même j’eusse pu jouir alors dece don de la nature, les baladins en faisaient un tel usage, tous àla fois, qu’il m’eût été impossible de me faire entendre. De mêmequ’elle m’avait privé de la parole, la peur m’avait cloué à maplace ; et je ne pensai même pas à fuir en voyant les apprêtsde la réception que l’on me préparait.

– Frappe, La Gingeole, cria enfin un deshommes dominant la rumeur, frappe sur le marmot, je vaist’accompagner.

Et déjà ils levaient chacun un bras armé d’unbâton, lorsqu’ils furent arrêtés dans l’opération qu’ils allaientcommencer par un beau monsieur habillé à la manière des cavalierssous Louis XIII, à ce que je reconnus de suite en me rappelantles gravures de cette époque que j’avais vu chezM. Ducormier.

– Arrêtez, leur dit-il, qu’allez-vousfaire ?

Puis, se posant au milieu d’eux, il ajoutaavec une intonation comique :

À vaincre sanspéril on triomphe sans gloire.

Il est jeune,il est vrai ; mais aux âmes bien nées

La valeurn’attend pas le nombre des années.

Puis il s’approcha de moi ; et,considérant le sac que je tenais à la main, il continua, en mefrappant légèrement sur la joue :

– Eh ! eh !… il est gentil, cepetit… Qu’est-ce que nous n’avons donc là ? mongarçon.

Ce disant, il prit mon sac, malgré les effortsque je faisais pour le retenir, le soupesa dans ses mains, et,après s’être convaincu qu’il était plein de monnaie :

– Messieurs, s’écria-t-il en me prenantpar la main et en me faisant avancer, ce jeune homme est mon ami…et le premier qui le touchera aura affaire à moi !

Après cette proclamation, qui fit éclater derire toute la troupe, les bras s’abaissèrent, les manches à balairetournèrent à leur coin, et le cavalier m’attirant àlui :

– Parle, mon garçon, qu’y a-t-il pour tonservice ?

– Je veux partir avec vous, répondis-je,enhardi par la protection du cavalier Louis XIII.

– Qu’est-ce que je disais ? s’écriacelui-ci ;

La valeurn’attend pas qu’il ait quinze ans et demi.

– Il veut partir avec nous !… Qu’onaille prévenir le signor Bambochini.

À ces mots : « Je veux partir avecvous ! » une acclamation avait été poussée par toute latroupe, qui voyait dans mon sac l’espérance de quelque bon repas.Cette acclamation arracha à sa quiétude le directeur de la troupe,il signor Bambochini lequel parut aussitôt, sortant del’arrière-partie de la baraque.

– Qu’est-ce ? qu’y a-t-il ?demanda le directeur, sans le moindre accent italien, quoique sonnom semblât indiquer qu’il avait pris naissance au-delà desAlpes.

On lui expliqua mes prétentions, mon désir dem’engager ; et on n’oublia pas surtout de mentionner laprésence du sac que l’on ne savait pas encore plein de gros sousseulement.

– Ah ! ah ! fit-il en meregardant, tu es ambitieux, jeune homme. Puis, tout en palpant lesac il ajouta : Cependant nous consentons à te recevoir, et tupeux te flatter d’être heureux… Il y a justement une place vacante…Nous allons te faire signer ton engagement… tu auras9 fr. 50 c. d’appointements par mois… sur lesquelstu ne toucheras que 50 c… les 9 fr. étant retenus pour lapension de retraite.

On apporta du papier. Celui qu’on avait appeléLa Gingeole griffonna quelques lignes ; et, s’arrêtant tout àcoup :

– Quel emploi ? demanda-t-il ausignor Bambochini.

– Tous les emplois ! réponditcelui-ci.

Et l’on me fit signer. Après quoi le signorBambochini ajouta :

– Quant à ton sac et à ce qu’il contient…il te servira de cautionnement… Nous le déposerons à la caisse desdépôts et consignations.

Il le jeta au cavalier Louis XIII, quidisparut avec lui dans la profondeur de la baraque.

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer