Les pérégrinations escapades et aventures de Claude La Ramée et de son cousin Labiche

CHAPITRE XXIX

 

Le chêne de la Bohémienne. – Lechâteau. – Arthur de Montdidier. – Un frère et unesœur.

 

– Qu’allons-nous faire, mon ami ? medemanda M. Saint-Émilion.

Le cœur me battait avec violence, et mescraintes se réveillaient en moi.

– Allons toujours jusqu’au chêne de laBohémienne, dis-je d’une voix émue.

Nous cherchâmes pendant quelque temps maiscette circonstance de ma vie m’avait tellement frappé, que jereconnus bientôt le chemin qu’il fallait suivre.

– Par là !… c’est par là !m’écriai-je. Mais, mon Dieu ! qu’a pu devenir cettefemme ? ajoutai-je, pensant pour la première fois à ce cadavreque j’avais abandonné dans une allée isolée du bois.

– La croix !… la croix faite avecmon couteau ! criai-je tout à coup en l’apercevant.

M. Saint-Émilion accourut.

– Ainsi c’est là que cette malheureuseest morte ?… Parle, enfant, voyons… quel est tonsoupçon ?

– Laissez-moi !… laissez-moi,répondis-je, la vue de cet arbre me rappelle tous les détails decette horrible scène…

Je me recueillis pendant quelquesinstants ; et bientôt, tous ces souvenirs me revenant àl’esprit d’une manière précise :

– Il me semble encore la voir,m’écriai-je, comme me parlant à moi-même. Attendez !…attendez… oui, c’est cela… « À boire !… j’ai soif !disait-elle, la fontaine des Montdidier… dans la clairière, à vingtpas… » Puis, après son évanouissement… Oh ! je la voisencore… « Où suis-je ?… au pied du chêne… Oh ! si ledernier des Montdidier pouvait savoir où je suis… et ce qu’il y a…là… là… »

– Elle a dit cela ? interrompitvivement M. Saint-Émilion.

– Monsieur, repris-je aussitôt, il fautcreuser la terre au pied de ce chêne… il le faut, entendez-vous. Jesuis sûr que vos papiers sont enfouis à cette place.

M. Saint-Émilion fit signe à undomestique de confiance qu’il avait amené avec lui et qui se tenaità quelque distance avec divers outils apportés par nous à touthasard. Nous nous employâmes tous trois à creuser la terre. Mais,hélas ! déjà depuis une heure notre travail avait étéinfructueux. Je me tenais haletant au-dessus de cette fosse qui secreusait, respirant à peine, tant je prenais d’intérêt à cetterecherche. Tout à coup la pioche du domestique rendit un sonsourd.

– Il y a quelque chose !m’écriai-je.

– C’est une pierre, reprit le domestique,ou les racines de l’arbre.

– Qu’importe ? creusez toujours…ordonna M. Saint-Émilion.

Le domestique obéit ; et, au deuxièmecoup de son outil, il découvrit une espèce de boîte en plomb. Je meprécipitai dessus, et l’arrachant avec mes mains :

– Les voilà ! les voilà !fis-je, sans chercher à me rendre maître de ma joie.

M. Saint-Émilion tremblait de tous sesmembres en brisant cette boîte. Elle contenait les titres et lescent mille francs intacts !… Je ne m’étais donc pastrompé ! Je tombai à genoux et je remerciai Dieu.M. Saint-Émilion, ou plutôt le baron de Montdidier, car ce nomallait être le sien désormais, me serrait dans ses bras avecreconnaissance.

– C’est à toi que je dois tout,s’écria-t-il ; la fortune n’est rien, mais mon nom… ce nom quej’avais le droit de porter et qu’on me refusait…

Après les premiers moments de bonheur, ilvoulut visiter la fontaine. En en approchant, nous aperçûmes desossements et un crâne humains ; M. Saint-Émilion enconclut que la Bohémienne était devenue la proie des bêtes fauves.Enfin, donnant ordre au domestique de nous rejoindre avec lavoiture de l’autre côté de la forêt, nous nous dirigeâmes vers lechâteau. Il était dans un état de délabrement affreux, et sur lesmurs, des deux côtés de la grille, il y avait une affiche :Vente par adjudication du château et domaine deMontdidier.

– J’y rentrerai ! dit avec forceM. Saint-Émilion en me serrant la main.

Puis, dominant son émotion, il remonta envoiture.

Madame Saint-Émilion travaillait à unebroderie, dans son salon, à Paris, avec sa fille, quand on entenditnotre chaise rentrer dans la cour. Ces deux dames poussèrent un cride joie, et accoururent au-devant de nous. Qu’on juge du bonheur detous les personnages intéressés à la découverte des papiers !Le jour de notre arrivée se termina par une délicieuse soirée enfamille car on avait envoyé chercher Oscar à sa pension, et moi jene pouvais plus passer pour un étranger. Oscar et mademoiselleSaint-Émilion m’avaient prié de les appeler frère et sœur.

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