Les pérégrinations escapades et aventures de Claude La Ramée et de son cousin Labiche

CHAPITRE XVI

 

Il signor Bambochini. – Lesjumeaux. – Pierre Michu. – La Bohémienne. – Le cavalierLouis XIII. – Une place vacante.

 

J’étais donc engagé dans la troupe du signorBambochini ! Je ne veux pas aller plus loin sans faireconnaître aux lecteurs mes nouveaux compagnons.

La troupe du signor Bambochini se composait desix personnes, sans me compter. Le directeur d’abord : c’étaitun homme de quarante-cinq ans environ ; sa figure, qui avaitpu être belle jadis, était tellement chargée de rides prématurées,que l’on y lisait toute l’histoire d’une vie des plus agitées. Sesyeux avaient une certaine expression de ruse et de finesse quifaisait présumer que le signor Bambochini devait être un hommeadroit, si ce n’est plus. Il savait profiter de toutes lesoccasions de s’approprier le bien d’autrui, comme on a pu le voir àl’égard du sac de mademoiselle Marianne ; et, quand cesoccasions se faisaient par trop attendre, la médisance prétendqu’il les faisait naître.

Comme directeur, c’était, au dire de toute latroupe, l’homme le plus habile que la terre eût porté. Il dépassaitTabarin lui-même, ce fameux baladin de l’ancien temps, de plus desept coudées. C’était un des géants de la banque ; etBilboquet, la célébrité contemporaine, se fût vu forcé de luirendre les armes.

Je viens de parler de Tabarin ; le signorBambochini, ayant compris que les paillasses et les acrobates destemps modernes se ressemblaient tous, s’était appliqué à imiter lepropriétaire des tréteaux du Pont-Neuf. Il avait habillé ses deuxpaillasses d’après un dessin de Callot que j’avais remarqué dansles cartons du peintre à Saint-Lô, et lui-même avait pris uncostume analogue. Cette idée heureuse attirait la foule auprès delui.

Je viens de parler de deux paillasses ;il y en avait deux en effet. On les appelait lesJumeaux ; c’est un d’eux qui avait eu à mon égard desvelléités de manche à balai, et qui plus tard griffonna monengagement. C’étaient véritablement deux frères jumeaux qui nemanquaient pas d’une certaine originalité, mais avec lesquels,durant tout le temps de ma carrière de baladin, je ne vécus jamaisen bonne intelligence. Mon antipathie pour eux avait peut-être pourcause l’exercice auquel ils se livraient chaque jour à mon égard,exercice dont je parlerai bientôt.

J’avais reconnu la voix de l’homme àl’histoire, Pierre Michu ; c’était comme on le pense bien, letambour de la troupe. Il avait conservé ses baguettes d’honneur, etne souffrait jamais qu’on en approchât ; j’ai encore sur lecœur un vigoureux coup de pied qu’il m’appliqua pour en avoir faittomber une, un jour, par mégarde. Du reste, c’était un assez bravehomme, et pourvu qu’il eût toujours sa gourde pleine d’eau-de-vie,il supportait les privations de l’état en véritable philosophe.

Quant à la femme au teint jaune qui m’aperçutla première, on l’appelait la Bohémienne. C’était unefemme mystérieuse et sombre ; ses petits yeux gris avaient unevivacité remarquable, et son regard perçant était empreint d’unecertaine expression sauvage. Son caractère répondait à l’étrangetéde sa physionomie ; causant peu avec ses compagnons, elleparaissait quelquefois tellement absorbée, qu’elle parlait touthaut et laissait échapper des mots inintelligibles. Toute la troupesemblait la redouter ; et cependant – je ne sais ce qui mevalut ainsi son amitié, – je la trouvai toujours prête à prendre madéfense. Je suppose que le motif de cette affection de laBohémienne pour moi est l’attention que je prêtais à ses histoires.La Bohémienne était une intrépide conteuse, aussi intrépideconteuse que mon cousin Labiche était vigoureux mangeur. Elle sedédommageait du silence qu’elle gardait dans le commerce habituelde la vie, en contant des histoires ; et je crois qu’elleétait sensible au plaisir d’avoir un auditeur, car personne dans latroupe ne se donnait la peine de l’écouter. Aussi excepté moi,détestait-elle tout le monde du plus profond de son cœur ; etje suis sûr que, sans l’épaisse couche de jaune dont elle secouvrait le visage, on eût pu y lire le mépris qu’elle professaitpour ceux qui l’entouraient. C’était un étrange personnage. Sonemploi consistait à vendre certaines drogues, fabriquées, disait lesignor Bambochini, avec l’autorisation et l’approbation de laFaculté de médecine de Paris.

Il me reste à parler du cavalierLouis XIII. On ne l’appelait jamais que leCavalier ; mais son véritable nom était Grippier. LeCavalier était chargé de se tenir à la porte et de faire entrer lemonde. C’était, comme on le voit, une place assez secondaire ;et cependant le signor Bambochini semblait professer pour leCavalier la plus haute estime. C’est qu’il avait certaines qualitésparticulières, et entre autres un esprit d’ordre remarquable, quine lui permettait pas de voir un coin de mouchoir sortant d’unepoche sans qu’il ne s’empressât aussitôt d’enlever le mouchoir pourle serrer lui-même dans sa poche à lui.

Voilà mes compagnons.

Cependant les paquets étaient faits, lavoiture prête. On partit pour Lisieux, où nous allions donner desreprésentations ; et, chemin faisant, j’appris que la placevacante, à moi destinée, était celle d’un nègre qui remplissaitdans la troupe les fonctions de Bédouin, et qui, un beau soir,était parti en emportant la caisse après une importanterecette.

Malheureusement je n’étais pas nègre le moinsdu monde. Mais le signor Bambochini ne s’arrêta pas pour sipeu ; et il ordonna, en arrivant à Lisieux, que l’on mecouchât par terre dans la plus parfaite nudité, et que, aprèsm’avoir étendu du cirage sur tout le corps, on me fît reluire avecune brosse à décrotter. Cette cérémonie se renouvelait chaquejour : et les Jumeaux étaient chargés de cettebesogne, qui ne s’effectuait jamais sans que je jetasse les hautscris.

Mais il fallait bien faire un sacrifice à mongoût pour les aventures.

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer