Les pérégrinations escapades et aventures de Claude La Ramée et de son cousin Labiche

CHAPITRE XII

 

Amères réflexions. – Ce que c’estqu’un costume. – Je me débarrasse du mien. – Je deviens pâtre. – Jem’ennuie avec les bêtes. – La calèche découverte. – Le boncuré.

 

Quand je me trouvai dans la rue, je fisd’amères réflexions :

– Faut-il, me dis-je, faut-il que, pourune étourderie, je me voie privé tout à coup d’une place où j’avaischaud, et où j’apprenais le dessin, ce qui m’amusaitbeaucoup ! Maudite couleur ! Pourquoi n’était-elle passèche ?… Me voilà maintenant, par le froid qu’il fait, exposédans la rue à tous les vents…

Pendant que je faisais ces réflexions amères,je m’aperçus que mon costume, tout gracieux qu’il était, nesuffisait pas à me garantir du froid ; car, un vent de biseétant venu à souffler, je me pris à grelotter. Cependant je repriscourage, et je pensai que, au lieu de rester à trembler au coind’une borne, il était beaucoup plus sage de chercher de l’emploi.Je me mis donc aussitôt en course. Mais, hélas ! je ne savaispas encore de quelle importance est le costume ici-bas ; lemien me fit repousser partout.

– En voilà un qui est bien pressé,disait-on, il est déjà déguisé, et le carnaval ne commence que danshuit jours…

Cette phrase, à laquelle je ne fis pasattention d’abord, me revint plus tard à l’esprit. Désolé, sansressources, je marchais au hasard, quand je me trouvai sur uneéminence qui dominait la rivière : je m’assis là avecdécouragement. Dieu sait que de pensées sinistres me vinrent àl’esprit ! Et, dois-je l’avouer, je commençai à regretter lamaison paternelle et à maudire mon goût prononcé pour lesaventures. Tout à coup ce qu’on m’avait dit en me repoussant merevint à la mémoire.

– Le carnaval ne commence que dans huitjours, m’écriai-je, on trouve que je suis bien pressé ; maisdans huit jours il y aura des gens qui se déguiseront. Si jepouvais changer mon costume !

Cette simple réflexion me rendit toute monénergie, et je rentrai à Saint-Lô. Tout en rôdant dans les rues,j’aperçus une boutique de fripier sur laquelle était uneinscription qui me fit bondir de joie : Ici on louemasques et dominos.

– Voilà mon affaire, fis-jetout-à-coup ; et j’entrai résolument dans la boutique. –Voulez-vous m’acheter le costume que je porte, Monsieur ?demandai-je sans regarder à qui je m’adressais.

– Qu’est-ce que c’est que cecarême-prenant ? glapit une voix de femme au fond dumagasin.

J’étais fort intimidé, et je pensais déjà àbattre en retraite quand un homme parut.

C’était le fripier ; il me prit par lebras, me fit tourner et retourner ; et après un examensérieux :

– Où diable as-tu trouvé cela ? medit-il.

Je crus prudent de lui cacher la vérité, etj’inventai une fable assez vraisemblable.

– Ne voulant pas me charger d’un paquet,lui répondis-je, comme on approchait du carnaval, je me suis décidéà sortir ainsi accoutré. Mon intention n’étant pas de vendre, maisbien de changer mon vêtement, j’ai pensé qu’il me serait bien plusfacile de remporter mes nouveaux habits sur mon dos.

Le fripier parut de beaucoup radouci à cettepensée qu’il allait me payer en marchandises au lieu de débourserde l’argent ; et il entra en arrangement avec moi.

Nous allions nous entendre, quand la femme semêla de l’affaire.

– Que vas-tu faire de cela ?… Uncostume d’enfant !

– Bah ! laisse donc, reprit l’homme,ça ira tout de même… en s’y prêtant… Tope là, ajouta-t-il en mefrappant dans la main, et je vais te chercher un habillementcomplet.

J’entendis la femme qui bougonnait, en luirecommandant de ne pas faire de folies ; et je vis bientôt monhomme revenir avec une veste et un pantalon qui pouvaient passerpour un costume d’arlequin, tant ils étaient bariolés de pièces dediverses couleurs. Je ne fis pas le difficile ; et, aprèsavoir opéré mon changement le plus vite qu’il me fut possible, jesortis fièrement de la boutique.

J’allai tout droit chezM. Salvador ; la visite de l’amateur chez mon maîtreétait trop présente à mon esprit, puisque c’était elle qui m’avaitfait renvoyer, pour que j’eusse oublié l’adresse de l’herbager. Jele trouvai tout soucieux ; il commençait à regretter sonmarché, et ce ne fut pas sans plaisir qu’il apprit l’accident quim’avait fait chasser. Cet accident était très réparable ; maisM. Salvador en profita pour écrire à mon ancien maître qu’ilavait su que le tableau était gâté, et que, par conséquent, c’étaitmarché nul. Puis, dans sa reconnaissance, il m’admit chez lui enqualité de pâtre ; et, dès le lendemain, il me mena à saferme, située aux environs d’Avranches.

Dans les premiers temps, je n’eus pas grandeoccupation ; le froid empêcha les brebis de sortir. Mais, leprintemps ramenant l’herbe sur la terre, je passais des journéesfort peu agréables. Je m’étais fait une espèce de surtout avec unepeau d’agneau, et, ainsi accoutré, je partais dès le matin pourmener paître mon troupeau jusqu’au soir. Je m’aperçus bientôt quece genre de vie ne m’allait pas ; et, un soir entre autres queje rentrai au bercail avec un mouton de moins, je fus si vertementcorrigé, que je maudis du plus profond de mon cœur ma houlette, montroupeau, et jusqu’à l’herbager auquel il appartenait.

Il m’est impossible de dire combien dejournées fastidieuses je passai à faire ce métier. Toujours assisdans la campagne, au milieu de mes bêtes, je ne pouvais me procurerquelque distraction qu’en profitant des éléments de dessin que jedevais à M. Ducormier pour tracer le portrait des êtresstupides qui m’entouraient. Je veux parler des moutons. Je netrouvais rien de stupide comme ces animaux-là ; et leur naturepassive me privait même des émotions que des animaux plus rétifsm’eussent nécessairement données.

Véritablement, je me lassai de la société desbêtes, et je m’apercevais avec dépit que, à leur contact, jeprenais un peu de leur nature. Je recevais passivement, en rentrantà l’étable, les corrections que le premier venu jugeait à propos dem’infliger pour la moindre cause ; et la manière moutonnièredont j’acceptais cela ne faisait que donner aux correcteurs plusd’envie de corriger.

Je ne m’étais jamais senti aussi apathique,lorsqu’une circonstance toute naturelle vint me réveiller de matorpeur et me tirer de la position où je languissais.

Un jour que je faisais paître mon troupeau surle bord d’une route, une élégante calèche découverte passa aumilieu d’un nuage de poussière. Comme je regardais curieusement lebel équipage, je vis tomber un mouchoir sur le chemin ; je leramassai vivement, et, pendant que le cocher arrêtait ses chevaux,je le rendis à un bon curé qui me remercia avec beaucoup debienveillance, et, qui, – c’est lui qui me le dit plus tard, –remarquant dans mes yeux une certaine intelligence, daigna causerun moment avec moi.

Il y avait dans la voiture un monsieur, unedame et deux enfants ; mais je ne fis pas alors grandeattention aux compagnons du curé, ne me doutant pas qu’un jour jeleur devrais plus que je ne méritais.

– Cela te plaît-il de garder lesmoutons ? me demanda l’excellent homme.

– Oh ! non, Monsieur, répondis-jevivement en rougissant, j’aimerais bien mieux faire un métier quim’instruise : car je n’apprends rien avec mes bêtes.

Il parut fort satisfait de ma réponse ;il allait de nouveau m’adresser la parole, quand le monsieur et ladame, qui paraissaient très pressés de continuer leur routedonnèrent au cocher l’ordre de repartir. Le curé eut à peine letemps de me crier :

– Reviens demain faire paître tontroupeau à la même place !

Et la voiture disparut.

Je rentrai à l’étable le cœur pleind’espoir.

« Qui sait, me disais-je, ce bon curéveut peut-être me tirer de la position où je végète ? Certes,ce n’est pas pour rien qu’il m’a dit de revenir à l’endroit où jel’ai rencontré… » Je dormis très peu cette nuit là ; etle lendemain j’étais sur le bord de la route bien longtemps avantl’heure probable de l’arrivée du curé. Le digne homme fut fidèle àsa parole ; il vint vers midi. En l’apercevant, je sentis moncœur battre avec violence. Une voix secrète me disait que mon sortallait changer ; et ce fut d’un ton ému que je répondis quandil me demanda à qui appartenait le troupeau que je gardais.

– Allons, me dit-il enfin, en me frappantamicalement sur la joue, puisque tu veux t’instruire, mon garçon,je crois que j’ai trouvé le moyen de te contenter.

Il m’offrit alors de me prendre chez lui pouraider sa gouvernante dans les soins du ménage. Je fus si touché decette offre, que je tombai à ses genoux en le remerciant. Il mereleva, me promit de voir M. Salvador ; puis il m’engageaà prendre patience et à ne pas négliger mon troupeau pour cela.

J’étais au comble de la joie, lorsque, lelendemain, M. Salvador vint me trouver au pâturage et me ditd’un ton bourru :

– Ah ! te voilà, intrigant !…Tu as de hautes protections, à ce qu’il paraît… Laisse ton troupeauet va chez M. le Curé ; car tu lui appartiensmaintenant.

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