Les pérégrinations escapades et aventures de Claude La Ramée et de son cousin Labiche

CHAPITRE XXIII

 

Je passe par Paris. – La diligencede Saint-Lô. – La boutique du rôtisseur. – Qui je reconnais dans lapersonne d’un mendiant.

 

Aux premiers rayons du jour naissant, je fisune croix profonde dans l’écorce du chêne ; et, après cettesage précaution, je m’éloignai rapidement, plein d’horreur pourcette malheureuse qui n’avait pas commis de meurtre, il est vrai,mais dont la sanguinaire race s’était souillée de tant decrimes.

J’eus bientôt gagné la route. La diligence deParis passait, j’y pris place ; et, chemin faisant, je merappelai tous les détails de l’horrible récit de la Bohémienne, queDieu avait si justement punie en la faisant mourir aussimisérablement. Cependant les impressions de l’enfance ne sont pasde longue durée ; le mouvement de la diligence, la vue de lacampagne, toutes les distractions du voyage eurent bientôt éloignéde moi cette idée, et je n’y pensais plus déjà quand j’arrivai àParis. Je ne savais que faire dans une aussi grande ville ; etpuis je me sentais pris d’un bien grand désir de rentrer à lamaison paternelle. En descendant dans la cour des messageries, jevis une voiture sur laquelle était écrit Saint-Lô. J’y retins uneplace ; et le soir, après avoir acheté une blouse neuve, jem’embarquai de nouveau. J’étais si fatigué de mon voyage, et je fuspris d’un tel sommeil que je ne me réveillai qu’à Saint-Lô, oùj’arrivai en plein midi.

La rue dans laquelle la voiture s’arrêtait nem’était pas inconnue ; et, en cherchant à m’orienter,j’aperçus une boutique de rôtisseur. Je la reconnus aussitôt ;c’était celle devant laquelle j’avais laissé mon cousin, et, commela première fois, il y avait encore sept ou huit volailles à labroche. Tout en faisant cette observation, j’aperçus une espèce demendiant planté devant la boutique et regardant cuire les dindonsavec un œil de convoitise. Ses vêtements surannés étaient dans unétat de délabrement à faire pitié : et je pensai que cet hommeque je voyais de dos devait être un vieillard, tant il était maigreet décharné. Tout en l’examinant, il me sembla avoir vu cethabit-là quelque part, avant qu’il ne fût aussi délabré. La pensée,que ce pouvait être mon cousin se présenta tout à coup à monesprit, et je courus à lui.

– Je ne me trompe pas ! m’écriai-jeau comble de l’étonnement ; c’est… c’est toi… Labiche… moncousin !

C’était lui en effet, lui que je retrouvais àl’endroit même où je l’avais perdu. Un éclair de plaisir brilladans ses yeux ; et, pendant que je me félicitais de ce que mavue ne lui était pas indifférente, il me dit, après m’avoirembrassé :

– Si tu as de l’argent, achète donc unede ces volailles qui ont si bonne mine.

– Ah çà ! repris-je, stupéfait de leretrouver à la même place et toujours le même ; ah çà… tu esdonc resté là depuis le jour où je t’ai perdu ?…

– Oh ! non, me répondit-il, mais j’ysuis revenu souvent, espérant t’y retrouver.

Je lui offris de le mener déjeuner ; àcette proposition, il me sauta au cou de nouveau et faillit pleurerde joie. Je le conduisis dans une auberge ; et là, après avoircommandé un déjeuner solide, je le priai de me conter ce qui luiétait arrivé depuis notre séparation. Mais je ne pus rien obtenirde lui avant que le déjeuner eût été servi ; et quand il futplacé devant nous, si je n’appris rien encore des aventures de moncousin Labiche, il me fut au moins permis de juger que son appétitn’avait rien perdu de sa violence.

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