Les pérégrinations escapades et aventures de Claude La Ramée et de son cousin Labiche

CHAPITRE XXVIII

 

Les événements se succèdent. –J’embrasse ma mère. – Les habits neufs. – Le jeuneSaint-Émilion.

 

Je rentrais en paix avec moi-même ; rienn’égalait ma joie. J’étais sur le point de réparer un grandmalheur, et cela, parce que j’avais eu le courage d’écouterjusqu’au bout l’horrible confession de la Bohémienne.

Si j’eusse fait comme la petite Bédouine,jamais Arthur de Montdidier, cette victime d’une vengeanceobstinée, n’aurait eu l’espoir de rentrer dans son bien et dans lajouissance de son nom. Mes escapades se trouvaient subitement, parla main de la Providence, conduites à une fin heureuse. Je n’étaisplus à mes propres yeux ce petit vaurien qui avait déserté le toitpaternel pour courir le monde, mais bien un jeune homme, carj’avais grandi beaucoup, duquel dépendait le sort de toute unefamille. J’étais si fier de moi, que je voulus embrasser mon pèreet ma mère. Je fis part de mon désir à M. et àMme Saint-Émilion, qui insistèrent pourm’accompagner afin de me réconcilier eux-mêmes avec mon père.

En débarquant à Brest, nous vîmes sur le portdes galériens qui travaillaient, et d’eux d’entre eux, accouplés,qui recevaient une correction d’un garde-chiourme. Dès qu’ils nousvirent, ils sollicitèrent notre pitié. Jugez de l’embarras quej’éprouvai en retrouvant en eux mon ancien directeur, il signorBambochini, en compagnie du Cavalier. Heureusement ils neme reconnurent pas, et je me hâtai de m’éloigner. Quelques joursaprès, nous arrivions à Envermeu. Dès que j’aperçus la maison, jeme mis à courir en criant :

– Ma mère ! ma mère !

Celle-ci faillit mourir de joie en merevoyant. M. et Mme Saint-Émilion ne tardèrentpas à me suivre, et c’est devant eux que j’appris en pleurant queje ne reverrais jamais mon père. Il était mort ; mais ce quifut une consolation à ma douleur, c’est que ma mère me dit qu’ilm’avait pardonné le jour où on lui avait annoncé que je m’étaisfait marin.

M. Saint-Émilion avait un trop grandintérêt qui l’appelait ainsi que moi dans le midi de la France,pour ne pas m’arracher des bras de ma mère. Ce ne fut pas toutefoissans avoir obtenu d’elle qu’elle viendrait habiter Paris, au milieude sa famille, qui désormais lui était attachée par les liens d’uneéternelle reconnaissance.

Notre voyage fut on ne peut plusprécipité ; nous passâmes un jour chez le bon abbé Raymond. Ledigne homme ainsi que mademoiselle Marianne, ne pouvaient se mettredans l’idée que le jeune marin qu’ils voyaient devant eux, l’ami deM. Saint-Émilion, était ce même petit Claude qui s’étaitéchappé en emportant vingt-cinq francs en gros sous. En apprenantnotre espérance pour M. de Montdidier, le bon abbéadressa au Ciel une fervente prière pour le succès de notrerecherche ; et mademoiselle Marianne, premier auteur de cettebonne fortune inattendue, ne cessait de répéter dans sa joie que lebavardage pouvait être bon à quelque chose, et qu’elle savait bience qu’elle faisait en me contant tous ces détails. La bonne femmese posait en devin.

Le lendemain nous étions à Paris, où, par lessoins de madame Saint-Émilion, je fus habillé des pieds à la têtedu costume élégant des enfants riches. Elle eut la bonté d’assisterà ma toilette et de m’apprendre elle-même la manière de porter cesvêtements, auxquels j’étais loin d’être habitué.

Puis, avant de me laisser partir avec sonmari, madame Saint-Émilion voulut que je l’accompagnasse à lapension de son fils.

– Oscar, dit-elle en me présentant aujeune Saint-Émilion, embrasse cet enfant, embrasse-le, et, de cejour, regarde-le comme un frère.

Cependant au moment du départ, je me sentispris d’une bien grande crainte.

– Si je ne trouve pas ces papiers,pensai-je, que dire à ces généreuses personnes qui me comblent debienfaits ? Je passerai pour un menteur… peut-être pour unintrigant.

Nous fîmes arrêter la chaise de poste sur lagrand’route, vis-à-vis l’allée de la forêt de Montdidier parlaquelle je m’étais sauvé après la mort de la Bohémienne.

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