Les pérégrinations escapades et aventures de Claude La Ramée et de son cousin Labiche

CHAPITRE VI

 

Promenade matinale. – Mon cousinLabiche s’ouvre l’appétit. – La défroque de mon grand-père. – Ladoublure d’un gilet. – Heureuse trouvaille. – Mon cousin faitencore des siennes. – La boutique du pâtissier.

 

Malgré la secousse que m’avait donnée l’alertede la soirée de la veille, je ne me réveillai qu’à six heures, lematin, en criant :

– Voilà, maman, je me lève !

Je croyais sentir la main de ma mère qui mesecouait vigoureusement ; mais, me frottant les yeux, je visaussitôt que je n’avais auprès de moi qu’un cheval poussif et moncousin Labiche, non moins poussif que le bucéphale, à en juger parles ronflements dont il emplissait l’air. Je fus bientôt debout,et, voulant réveiller mon dormeur :

– Allons ! lève-toi, lui dis-je.

Mais il fut insensible à cette invitation, etme répondit par un grognement prolongé. J’essayai de l’arracher ausommeil en le tirant par le bras, vain effort ; le grognementde mon cousin fut un peu plus accentué cette fois, mais celui-ci nes’éveilla pas.

– Viens donc, Labiche, nous allons faireun tour.

Toujours le grognement pour toute réponse.

– Pour nous ouvrir l’appétit,continuai-je en riant.

En un instant il fut debout. Cette propositionde s’ouvrir l’appétit lui avait ouvert les yeux. Nous nousdirigeâmes vers la campagne, et, tandis que je réfléchissais ànotre position, mon cousin Labiche humait l’air pur du matin afinde remplir le but de notre promenade.

– C’est fini, il est ouvert, me dit-iltout à coup.

– Ouvert ?… quoi ?demandai-je.

– Eh bien !… parbleu !l’appétit, répondit-il ; tu sais bien que c’est pour cela quenous sommes sortis… Allons déjeuner…

– Où cela ?

– Où tu voudras… Qu’importe ?

– Avec quoi ?

– Ah ! diable !

L’état misérable de notre bourse se présentatout à coup à son esprit, et il se gratta l’oreille comme un hommefrappé d’une idée désagréable.

– Ah ! diable ! répéta-t-il… Jeretourne me coucher, alors… Tâche de trouver un moyen, pendant queje vais faire un somme.

Il avait déjà fait quelques pas pours’éloigner ; je courus après lui et je le retins. Je tentai dele distraire en lui faisant admirer la campagne.

– Regarde donc, lui dis-je, ce charmantpaysage… C’est joli, ici !…

– S’il y avait au moins des pommes !murmura-t-il.

Après ce qui lui était arrivé laveille !… Mon cousin était incorrigible.

– Écoute, repris-je tout à coup, il yaurait bien un moyen… Ce serait de vendre quelques-unes des partiesde la garde-robe du grand-père, que tu traînes avec toi.

– Et nous déjeûnerions ?

– Comme des rois…

– C’est une idée !… D’autant plusbelle, que cela rendra mon paquet plus léger et plus commode àporter.

Après ce beau raisonnement, je le vis arpenterle terrain, comme quelqu’un qui court à une affaire importante.

– Où vas-tu donc ? lui criai-je.

– Chercher mon paquet bien vite, afin dedéjeûner plus tôt.

J’eus beaucoup de peine à le décider àm’attendre.

Nous arrivâmes à l’écurie ; et, encherchant ce que nous pourrions vendre de la défroque dugrand-père, je pris un gilet qui me parut plus lourd que lesautres.

– C’est extraordinaire, dis-je à moncousin Labiche.

– Quoi donc ?

– Ce gilet est joliment lourd… on diraitqu’il y a quelque chose dedans…

– Bah !… si ça allait être del’argent, fit mon cousin en se rapprochant.

– Ma foi !… repris-je, en tâtanttoutes les poches.

– Ah ! dame ! ça se pourraitbien, continua mon cousin ; parce que, vois-tu, le grand-pèreétait riche.

– Labiche ! m’écriai-je brusquement,nous sommes sauvés, cousin.

Je venais de sentir, entre l’étoffe et ladoublure, quelque chose de rond comme une pièce de monnaie…

– C’en est !… c’est del’argent !

– Allons déjeuner, fit aussitôt moncousin Labiche, cherchant à m’entraîner ; mais j’étais tropoccupé à défaire la doublure avec mon couteau pour céder à sesinstances.

Enfin, je jetai un cri de joie ; deuxpièces d’or venaient de tomber à mes pieds. Qu’on juge de notrebonheur : nous qui n’avions pas un sou un instant auparavant,nous nous trouvions tout d’un coup à la tête d’une fortune dequarante francs. C’était un coup de la Providence. Et nous nepensâmes pas à remercier le Ciel, ingrats que nous étions !Oh ! pour cette fois, je ne fis pas à mon cousin la moindreobservation ; il commanda ce qu’il voulut, et je vous assureque ce qu’il voulut passa la permission. Mais je ne dis mot, et jepayai l’aubergiste sans la moindre humeur. J’étais si heureux denotre trouvaille.

– Je n’aime pas rester sans le sou dansma poche, me dit mon cousin Labiche ; donne-moi une des deuxpièces, quand tu en auras besoin, je te la rendrai.

Hélas ! je n’aurais pas dû céder ;mais comment lui refuser cette satisfaction ? Les deux louisne lui appartenaient-ils pas ? Grâce à notre trouvaillebienheureuse, il nous fut permis de continuer notre voyage ;et quelques jours après nous traversions Caen. On voit que nousprenions un plaisant chemin pour gagner le midi de la France. Nousétions revenus sur nos pas dans la direction du nord, circonstancequi me fit regretter amèrement de ne pas avoir travaillé davantagequand je m’étais trouvé à même d’étudier la géographie.

Comme nous traversions la ville, je vis tout àcoup disparaître mon cousin, et il me fut impossible de découvrirpar où il était passé. Dans la crainte de le perdre, je pris leparti de rester à la même place jusqu’à son retour. Il ne tarda pasà reparaître, sortant de la boutique d’un pâtissier avec un grospaquet qu’il portait dans son mouchoir.

Il vint à moi radieux.

– Je viens de faire une emplette… Desgâteaux, me dit-il en dépliant son mouchoir sur une borne.

– Ô mon Dieu ! quelleprovision ! m’écriai-je.

– J’ai pris tout ce que j’ai pu trouver…il n’y avait que cela dans la boutique.

– Mais… ça a dû te coûter bien cher…dis-je en hésitant ; car l’aspect des gâteaux, que j’aimaisbeaucoup, me faisait oublier mon rôle habituel de mentor.

– Oh ! pas si cher que j’aurais cru…Il y en a pour seize francs dix-neuf sous, répondit mon cousin avecindifférence.

– Seize francs dix-neuf sous !m’écriai-je, revenant tout à coup au sentiment de notreposition ; et moi qui allais te demander ton louisaujourd’hui… Je n’ai plus d’argent…

– Oh ! mais j’en ai, moi !…Trois francs !… les voilà !…

Son sang-froid me confondait ; mais,comme tout en parlant il occupait ses mâchoires et que les gâteauxdisparaissaient ainsi que dans un gouffre, je cessai tout à coupmes réflexions, pour imiter autant qu’il me fut possible mon cousinLabiche. Et tous deux, attablés sur un banc de pierre, dans la ruela plus fréquentée de Caen, nous fîmes le repas le plusfeuilleté et le plus cher que je me sois permis pendanttout le cours de mes aventures.

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