Maurin des Maures

Chapitre 27Où l’on verra le Roi des Maures sacré non pas à Reims mais àDraguignan ; et d’une conversation de haute portée entre unpolicier amateur et un savant inconnu.

 

Cabissol était devenu pour M. le préfet,qui s’ennuyait un peu à Draguignan, un compagnon intéressant et enmême temps un aide dévoué, du moins en ce qui touchait à la policegénérale du département.

MM. les commissaires n’en prenaient pasombrage car le policier amateur les faisait maintes fois bénéficierde ses découvertes ; et, dans plus d’une grosse affaire où lapolice avait dû donner « sa langue aux chats »,M. Cabissol, poussé et soutenu par sa passion de curieux,avait trouvé « la clef » et fait prendre lescoupables.

« Si j’ai bien compris notre Maurin, ditle préfet à Cabissol, son appui aux élections prochaines nous serade première utilité pour combattre certain candidat dangereux etfaire triompher le « bon », c’est-à-dire le nôtre, quiest effectivement un brave homme. Il est aussi mon parent, comme jevous l’ai dit, mais ce n’est pas une raison pour que je nem’intéresse pas à son succès.

– Vous aurez Maurin pour vous, je m’encharge ; il vous l’a d’ailleurs presque promis.

– Comment formera-t-il son opinion surnotre ami Vérignon ?

– Laissez-moi faire. Je vous dirai celabientôt. Les élections n’auront lieu que dans six mois, mais iln’est pas mauvais de s’en occuper à l’avance. Je vais voirMaurin.

– Où cela ?

– Je n’en sais rien, je vais à sarecherche.

– Recommandez-lui d’être sage. Nous avonseu toutes les peines du monde à faire classer son affaire del’enlèvement des chevaux. Le commandant de gendarmerie n’était pascontent. Dites-lui que ces plaisanteries-là pourraient lui coûtercher, à la fin, et que toutes les protections du monde, à un momentdonné, ne servent plus de rien… Faites-le-lui bien comprendre. Ilserait stupide qu’une affaire gaie aboutît à un résultatpénible : songez donc ! Rébellion contre les agents de laforce publique en service ! Il y perdrait ! et nousaussi. »

M. Désorty et M. Cabissol ignoraientl’accusation nouvelle qui pesait sur Maurin depuis quelques heures.Le parquet n’avait eu aucune raison d’en informer la préfecture. Etsi attentif que fût M. Cabissol aux faits et gestes de Maurin,il ignorait encore Grondard et la nouvelle rancuned’Alessandri.

L’accusation portée contre Maurin ne manquaitpas de base.

En effet la mémoire de Sandri avaitfailli…

« Enfin, lui avait dit le procureur duroi de la république impériale, a-t-il avoué devant vous ?

– Oui et non.

– Oui ou non ?

– Oui, car il a dit, à ce qu’il mesemble : « Si je l’avais tué, c’est avec plaisir que jedirais : C’est moi qui l’ai tué. » Mais Grondardassure qu’il a dit simplement : « C’est moi qui l’aitué. » Et il a bien prononcé ces paroles, je m’en souviens,mais je ne sais plus s’il a dit les premières qui modifient le sensdes secondes.

– Amenez-le-moi », avait conclu lejuge.

M. Cabissol ignorait ce dialogue quand ildit au préfet :

« Tout ce que vous désirez que jerapporte à Maurin lui sera transmis fidèlement, monsieur lePréfet.

– Ah ! une idée ! fit lepréfet. Des trois bandits poursuivis par Maurin et les gens deBormes, deux sont toujours dans vos maquis provençaux. On les aaperçus, paraît-il, un jour à La Garde-freinet, puis, lesurlendemain, à La Verne. Ils ne paraissent pas décidés à quitterles Maures. Toute cette région intéressante s’inquiète. PourquoiMaurin, qui connaît les moindres recoins de ces montagnes, nedonne-t-il pas de nouveau la chasse à ces coquins, avec l’aide dequelques compagnons déterminés ?… Cela arrangerait, peut-être,ses affaires avec la justice… Je pourrais moi-même, en ce cas,demander pour lui une médaille, une récompense de l’État.Parlez-lui de tout cela.

– C’est entendu…

– C’est un homme si« empoignant » ! J’ai fini par l’aimer, moi. Il al’instinct de la vraie liberté et je ne le trouve pas sansnoblesse.

– À ce propos, dit M. Cabissol, unmot de lui m’est revenu à la mémoire, que je veux vous rapporterpour fixer encore un trait de son caractère ou de son génie. Jel’ai entendu dire un jour, avec son impayable accent et sestournures de phrases à la provençale :

« – Moi, les femmes, j’en connais detoutes, même de celles à qui on dit des « madame » groscomme le bras. Eh bé, quand on les embrasse, de la plus pauvre à laplus riche, elles sont toutes pareilles ! Et même des fois nospetites paysannes, elles valent mieux. Alors, messiés, je pensequ’il n’y a entre les hommes point de différence, à moins que cesoit dans le talent ! »

« Le mot « talent »est le mot provençal qui représente l’idée d’instruction, ousimplement d’intellectualité, ou encore d’intelligence. Nevoyez-vous pas bien que grâce à des discours pareils, tenus danstous les cabarets du département, l’influence du Roi des Maures surson petit champ d’action, vaste pour lui, est comparable, toutesproportions gardées, à l’action révolutionnaire de NapoléonIer empereur ? La révolution n’avait coupé qu’unetête de roi, Napoléon mit le pied sur la tête de tous les rois. Jene vois entre Maurin et ce grand civilisateur qu’une différence età l’avantage de Maurin : Napoléon détestait et Maurin vénèreles idéologues. C’est par l’intermédiaire de l’un d’eux, et non desmoindres, que je ferai communiquer vos instructions à Maurin, si jene le vois en personne. »

Le préfet s’étonna. Cabissol lui expliqua lesrelations de Maurin et de M. Rinal.

« Ce M. Rinal, lui dit-il, vousl’avez vu à Bormes, le jour de l’enterrement de Crouzillat…

– Ah ! oui.

– Eh bien, je vais lui parler. »

M. Cabissol se présenta, dès lelendemain, chez M, Rinal et lui exposa ce qu’il fallait faireentendre à ce brave Maurin :

Maurin devait se garder de tout acte derévolte, se conserver au service de la République, faire campagne,si cela lui était possible, avec quelques compagnons contre lesgredins qui tenaient le maquis des Maures ; et pour terminer,M. Cabissol parla à M. Rinal de la candidatureVérignon.

« Je suis sûr, dit-il, de votre opinionsur ce publiciste éminent, qui est l’auteur d’un beau livre sur lesJacobins.

– Un chef-d’œuvre, dit M. Rinal. Ily a là tout le génie de la Révolution aimée et révélée.

– Eh bien, si vous le voulez, Vérignonsera député du Var. Vous tenez son élection entre vos mains.

– Comment cela ? à moi toutseul ?

– Oui, car Maurin, qui ne se fie àpersonne dès qu’il est question de politique, sera définitivementacquis à Vérignon si vous lui dites sur ce candidat votre opinioncomplète. Vous aimez le peuple. Vous avez reconnu en Maurin une âmeplébéienne digne de sympathie et qui en conduit beaucoup d’autres.De Saint-Raphaël à la Londe-les-Maures, Maurin, en passant parSaint-Tropez, a bien dix mille, que dis-je, quinze ou vingt milleélecteurs à sa suite…

– Je m’en doutais, dit M. Rinal. CeMaurin, c’est une puissance. Bravo, car il a une conscience biensupérieure à celle de la masse, ou plutôt dans laquelle je croisvoir, en formation, la conscience même de la masse. Cetteconscience, il faut l’éclairer de plus en plus, je suis de votreavis. Seulement, que Maurin prenne garde. Il préfère l’équité à lajustice, le bon sens aux préjugés et l’idéal au bon sens…

– Rien n’est plus dangereux, ditM. Cabissol.

– Oui, dit M. Rinal. C’est unemaladie rare et dont on meurt. C’est une faute anti-sociale. Lespouvoirs établis ne l’ont jamais pardonnée, et les républiques pasplus que les autres ; car c’est une sottise de croire qu’ilexiste une forme de gouvernement qui impose la pratique desvertus ! Même de bonnes lois ne sauraient assurer de bonnesmœurs… Tâchons de sauver Maurin !… Du diable si le brave hommese doute de l’idée que nous avons de lui… Au revoir, monsieur.

– Toute réflexion faite, ditM. Cabissol, je ne verrai pas Maurin. Vous aurez sur lui, etpour cause, plus d’influence en tout ceci que personne. »

Il se trouva que le soir même, à la nuitclose, Maurin entrait dans sa bonne ville de Bormes par la partiehaute, évitant ainsi de passer devant la gendarmerie qui est au basde la ville, et qui – il n’en pouvait pas douter –, avait,comme celle d’Hyères, l’ordre de l’arrêter, le cas échéant.

Il allait voir M. Rinal et s’informer deson fils ; il fut heureux d’apprendre que le petit montrait del’intelligence et du cœur ; il remercia avec effusion le vieuxsavant et reçut enfin de lui les conseils et les bons avis quivenaient de la préfecture.

Quant à l’idée de poursuivre les deux évadéset de les capturer sans l’aide de la gendarmerie, elle lui étaitvenue toute seule à lui-même, par la raison, confia-t-il àM. Rinal, qu’ils avaient, à sa connaissance, insurté(insulté) une femme, et même une jeune fille, de ses amies…Lorsqu’il songeait à eux, il ne les appelait plus lui-même que lesinsulteurs de Tonia, et le sang lui bouillait de colère.

« Bravo !… tout cela est d’unchevalier français… ou maure ! » répliqua en riant le bonM. Rinal.

Puis Maurin alla embrasser son fils chez lesbraves gens qui l’hébergeaient et passa la plus grande partie de lanuit sous leur toit ; et, une heure avant le lever du soleil,il repartait pour arriver premier aux bons endroits à bécasses,lesquelles se montrent à la Toussaint comme chacun sait. Pastourél’attendait. Ils en tuèrent cinq, puis jugeant d’un commun accordque, toute affaire cessante, ils devaient tracer les deuxévadés comme de simples sangliers, ils quittèrent l’autre chassepour celle-là.

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