Maurin des Maures

Chapitre 7Pour quels motifs Pastouré prend la résolution de graisser sesbottes.

 

À l’aube, la petite troupe des chasseurs,commandée par Maurin, quitta Bormes.

« Rappelez-vous, disait Maurin, marchantet causant au milieu d’eux, que nos gueusards ont des fusils. Quandvous serez à l’affût, tenez-vous cachés le plus possible derrièreun peu d’arbre ou de rocher, et ouvrez l’œil etl’oreille. »

Les gendarmes étaient plutôt embarrassés deleur personne, durant cette battue. Sur un pareil terrain, lasupériorité était acquise, sans conteste, aux chasseurs. Maurinengagea les gendarmes à rester sur la route.

Il envoya successivement chacun de ses hommessur les versants, dans les cols, sur les sommets, et gardaM. le maire avec lui, faveur insigne.

« Comme ça, monsieur le Maire, vous êtessûr de voir le gibier. »

Deux heures après, Maurin arrêtait de sa mainet faisait ficeler solidement un des trois vagabonds. Au momentd’être capturés, ils avaient tiré sur la petite armée et luiavaient tué un homme ; et la chance voulut que le chasseur tuéfût précisément le pauvre Crouzillat qu’ils avaient dépouillé laveille.

Les deux autres malandrins, ceux qui étaientarmés, parvinrent à se perdre dans la broussaille ; Sandridisait : « dans le maquis ».

Quand le sanglier est abattu, on coupe unebranche de pin à laquelle on le suspend lié par les pattes, et quedeux hommes portent sur l’épaule. On coupa, cette fois, non pas unemais deux branches ; on attacha, selon l’usage, à chacune desdeux barres deux des angles d’un drap de lit qu’un chasseur allaprendre chez les gardes-forêts ; et au fond de cette sorte dehamac profond, balancé au pas égal des porteurs, le mort dont onvoyait les formes tassées et inertes, redescendit vers la cantinedu Don.

Cette cantine du Don, toute voisine de lamaison forestière, n’est pas éloignée du point d’intersection desdeux chemins d’Hyères à Cogolin et de Bormes à Collobrières. Oncomptait déposer là le mort qu’une voiture viendrait prendre.

Le cortège rencontra les gendarmes d’Hyères etceux de Bormes, tous également embarrassés de leur personne et mald’accord sur la direction à prendre.

Maurin, dès qu’il les eut aperçus, ordonna augros de sa troupe de continuer à descendre et d’accompagner le« pauvre Crouzillat » jusqu’au lieu fixé. Pour lui, quele géant Pastouré ne quittait pas d’une semelle, il s’arrêta avecle maire pour expliquer l’aventure à MM. les gendarmes, etleur remettre son prisonnier.

Il n’avait pas envie de rire et il ne lui vintpas à l’esprit de plaisanter Alessandri qui le regardait detravers, d’un air féroce.

Quand il eut fini son explication :

« Si vous aviez pris notre conseil, ditAlessandri, vous n’auriez pas fait tuer un de voshommes. »

Maurin, à ce moment, fut indigné. Il ne vitpas Tonia, qui accourait derrière lui, tout essoufflée, la main sursa poitrine haletante, et il cria, tourné furieusement vers legendarme Alessandri :

« Oh ! bougre d’âne, vous me feriezdire ! (pardon, excuse, monsieur le Maire) mais aussi, c’esttrop fort !… J’ai fait toute la besogne de ces individus (ildésignait les gendarmes) ! J’ai arrêté un des trois coquinsqu’ils poursuivaient si joliment, il y a deux jours, avec lederrière sur la chaise, dans l’auberge des Campaux ; sans moiils n’auraient pas été fichus seulement de deviner où le gibierétait caché. On les a fait prévenir hier de notre expédition ;la balle qui a tué l’homme m’a troué la veste ; et voilà marécompense ! Vous me faites suer, tenez ! Vous êtesencore, vous autres, comme les gardes champêtres qu’on charged’arrêter les chiens enragés. Des enragés, ils en ont peur, ilsn’arrêtent que les braves chiens de leur connaissance. Vous avezdonc bien besoin d’un procès-verbal, à cette heure ? Il vousen faut, pas vrai, à votre moment, pour avoir del’avancement ?… On connaît la farce ! mais Maurin est unhomme, vous entendez ! Et quand il a pour lui l’idée qu’il estdans la justice, il se fiche un peu des juges ! Voilà, si vousvoulez la connaître, mon opinion en quatre paroles, espèced’enfariné ! »

Vainement le maire s’efforçait de calmerMaurin. On ne calmait pas Maurin. Quand il roulait sa colère,c’était comme le torrent roule ses cailloux. Et ça allait jusqu’aubout. Alessandri allait répliquer, et Maurin, hors de lui, luiaurait fait un mauvais parti – dont son ennemi comptait bien tireravantage – quand Tonia dit, tout d’une haleine :

« J’apporte de grosses nouvelles, monpère. Un homme vient d’arriver à la maison forestière, et voici cequ’il a dit :

– « Le préfet demande à Maurin unebattue au sanglier dans les forêts du Don. Il y aura un général etd’autres personnages qu’il a nommés, un sénateur et deux autresmessieurs, qui sont députés. Et il paraît aussi que, pour l’affairedes chevaux, Maurin ne sera pas puni, parce qu’il a fait ça pourrire et qu’il faut qu’on n’y pense plus… Maurin devra faire dire leplus tôt possible au préfet, par vous, mon père, ou par M. lemaire, quel jour il choisit pour la battue, et dans quel endroitelle se fera. »

Tonia était ravie de se faire pour Maurin lemessager de ces bonnes nouvelles. Elle était toute rouge d’avoircouru, et ses yeux brillaient de plaisir.

Tout cela signifiait que la Républiquefrançaise traitait de puissance à puissance avec le roi desMaures.

Alors Alessandri et Maurin se regardèrent.

Et ce fut tout. Seulement le regard de Maurinétait plein de moquerie, celui de Sandri, le Corse, chargé dehaine. On descendit vers la maison forestière, en silence.

Quant aux deux bandits qu’on n’avait pucapturer, où les chercher à présent ? Cela redevenait plusparticulièrement l’affaire des gendarmes. Les gens de Bormesavaient fait de leur mieux, sous la conduite de Maurin. La suite del’affaire ne les regardait plus. Ils pensaient, avec quelqueapparence de raison, que les échappés de galères, en train degagner le large, seraient bientôt sortis du territoire de leurcommune. Le soir, à Bormes, dans la maison où des amis luidonnaient l’hospitalité, Pastouré, seul, en chemise, au moment dese mettre au lit, levait les bras vers le plafond etronchonnait :

« Une supposition, que je dise à monbrave Maurin ce que je pense de sa conduite d’aujourd’hui, ilm’enverrait au bois ! Et au bois ou au diable, quand c’est unMaurin qui vous y envoie, il faut bien qu’on y aille,pechère ! Alors, sur ce qu’il a fait aujourd’hui, je ne lui aipas dit ce que je me pense au-dedans de moi.

« À quoi servent les amis, me direz-vous,s’ils ne vous avertissent pas quand vous faites une bêtise ?Mais comment voulez-vous qu’ils vous fassent des observations,quand ils savent que vous ne les supporteriez pas ? Il ne mereste donc qu’à le suivre dans les chemins bons ou mauvais, depierre ou de sable, bien ou mal caladés, et qu’ils aboutissentquelque part ou non, par où il lui plaira de passer, ce qui fait,pauvre moi ! qu’où je vais je n’en sais rien – et c’est bienpar pure amitié !

« Comment il se fait qu’un hommetranquille comme moi je suis, détestant les femmes, et de fortecorpulence car il n’y a pas à dire, mon ventre prend du poids, sesoit attaché à cet homme maigre et toujours dans des ruesCasse-toi-le-derrière ? Il faut croire que l’amitiéest aussi bête que l’amour. On aime qui l’on aime et qui on aime onsuit, en groumassant ou en silence – c’est tout un. Et ce que je nelui ai pas dit, à Maurin, c’est que vraiment c’est bêtise grosse,bêtise grande, bêtise haute et large, bêtise énorme, trois jourssurtout après s’être moqué des gendarmes en chevauchant sur leurschevaux, de revenir à leur barbe faire en leur place métier degendarmes, comme pour leur dire : « La gendarmerie n’yentend rien, et c’est moi (moi à qui elle fait desprocès-verbaux !) qui vais lui faire voir comment on arrêteles malfaiteurs ! » Un véritable crime est un moins grandcrime, aux yeux des gendarmes, que l’affront que leur fait cetteaction honnête. S’il s’imagine, Maurin, que la France lui aura dela reconnaissance pour ce qu’il a fait là, il se trompe. Faites dubien à Bertrand, c’est en fientant qu’il vous le rend ! Etdites au dernier des menuisiers qu’il ne sait pas son métier, vousn’en reviendrez pas entier… C’est pourquoi, Pastouré, tu peuxgraisser tes souliers, et les faire ferrer à neuf, avec des clousgros comme des clous à ferrer les mulets ; car tu n’as pasfini de courir, résolu comme tu l’es à ne pas abandonner Maurin àsa misère. Nous n’avons pas fini, n’ayant pas commencé ! – defuir devant les gendarmes à pied et à cheval, devant les hommes dela justice injuste, si tu te mêles, ô Maurin, d’arrêter des voleurset de dénoncer l’injustice !… Une chose où je reconnais que tumontres du bon sens, c’est que tu as aux pieds des pantoufles etdans ton carnier tu en as de rechange, et aussi de la basane pourles raccommoder. Il va t’en falloir, de la basane ! Mais aumoins tu marches sans faire plus de bruit qu’un perdreau qui couledans la « mussugue » tandis que moi, pechère, à chaquepas le bruit de trois mulets attelés à une charrette chargée debriques ! Aï ! pourquoi faut-il qu’à marcher enpantoufles dans les bois je n’aie jamais pu m’accoutumer ?Allons, graisse tes souliers, Pastouré. L’huile de pied de mouton,un peu rance, est moins chère que le saindoux… j’en achèteraidemain. »

Et le géant, en chemise, prenant en mains sesdeux énormes souliers, qui pesaient chacun deux livres, les examinalongtemps ; puis, les fourrant enfin sous son lit :

« C’est dommage, dit-il, que ça ne soitpas des ailes ! »

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