Maurin des Maures

Chapitre 9On ne peut pas à la fois casser des cailloux sur la route et biengarder sa fille.

 

Et voici l’histoire de la naissance du petitBernard.

Il y avait, non loin du bord de la route,entre Hyères et La Molle, un cabanon où vivait avec sa fille unvieux cantonnier. À force de frapper des pierres étincelantes ausoleil, le vieux était presque aveugle, sous ses grosses lunettesrondes grillagées. Et il « ne s’aperçut jamais de rien »,ce qui fut un grand bonheur pour lui, car le vieux avait des idées,des idées du temps d’Hérode ! Ancien soldat, sévère sur« l’article », c’est-à-dire sur la question de l’honneurdes femmes, il aurait tué sa fille s’il avait connu la faute et ilen serait mort lui-même.

Tous les deux ou trois jours, sa fille,Clairette, sortait du cabanon pour aller sur la route attendre ladiligence. Le voiturin arrêtait sa voiture, remettait à Clairettequelques provisions, du pain pour plusieurs jours, un fromage sec,des œufs et, clic, clac ! repartait au grand trot de sesbêtes.

Quand la fille ne paraissait pas, il déposaitle panier ou le paquet sous une touffe de nasque, derrière la bornekilométrique la plus voisine. Et tout cela rendit facile à Clairede cacher son « malheur » quand le moment approcha oùelle allait être mère.

Elle ne songea pas plus à épouser Maurin queMaurin ne songea à l’épouser. Elle le connaissait à peine. Il luifaisait l’effet d’un personnage puissant, trop haut placé pourelle. C’était une fille bien bâtie, très souple, sans aucun éveild’esprit. Maurin l’avait poussée du coude, en clignant de l’œil, unjour, dans les bois où elle ramassait des pignets, des champignonsde pin. Elle avait compris et elle avait ri. Cette déclarationd’amour ne lui avait causé aucune surprise. Elle attendait cetévénement prévu, à la manière des bêtes des bois, et des génissesou des chèvres. La vie qu’elle menait, loin des lieux habités,depuis l’enfance, la laissait libre de craintes. La moquerie ne lavisitait pas et elle n’allait pas la chercher. Elle ne craignaitque son père, mais la demi cécité du vieux, dont l’oreille aussidevenait mauvaise, la rassurait chaque jour davantage. Ce fut unehistoire sans incident. Elle accoucha par un beau jour de juin.

Le cantonnier, à moitié sourd, à demi aveugle,cassait des cailloux, là-bas, sur la route. Il ne sut rien, jamaisrien, de ce qui se passait, ce jour-là, chez lui…

Clairette, qui avait peur du vieux soldat, nedemandait qu’une chose : Maurin, le jour même, emmènerait chezlui l’enfant, le confierait à sa vieille mère.

Cependant l’idée d’avoir un fils, à qui Maurinapprendrait un jour ses ruses de chasseur, la ravissait. Maurin, lebrave garçon, guettait l’événement. Il trouva Clairette un matin,dans son pauvre logis, couchée sur un lit de feuillages. Il y avaitdes bruyères toutes violettes, des queïrelets qui sentent le vinnouveau et des clématites qui sentent l’amande. Le matin même, ilavait pris dans un trou de roche deux mignons renardeaux vivants,tout drôles avec leur gaucherie de nouveau-nés et leurs airsféroces inoffensifs. Il les portait dans son vaste carnier, ayantrelégué dans sa chemise bouffante les engins de chasse quil’encombraient. Claire et Maurin se dirent peu de chose. La fillefut contente d’être délivrée ; l’homme, d’avoir un fils, unautre lui-même, une chose à lui, vivante, sortie de lui, de sesjeunes forces inquiètes. Elle voulut faire passer son enfant entreles branches basses d’un vieux chêne des fées, cela rend lesenfants sains et vigoureux. Maurin y consentit et alors le père etla mère se mirent à rire ensemble, tout de suite, dans cetteclairière, au fond de ce bois où, dès leur première rencontre, ilsavaient ri de même.

Le vieux cantonnier frappait des pierres,là-bas, sur la route, et l’écho de la montagne leur envoyait chaquefrappement redoublé deux fois. Cela aussi les faisait rire.

Oui, les choses se passèrent ainsi parce queClairette avait peur de son père plus que de la douleur et de lamort. Maurin la laissa debout et joyeuse. Le soir, en rentrant chezlui, il souleva doucement la couverture de cuir de son carnierqu’il portait avec précaution entre ses bras. Et, d’un air demystère et de joie, il le présenta tout ouvert à sa mère.

La vieille vit l’enfantelet tout nu, quidormait bien au chaud sur le poil roux des deux mignonnes bêtesendormies comme lui.

« Tenez, mère, il faudra me nourrir toutça ! »

Depuis ce temps, la Claire était morte etMaurin, à mesure que son petit grandissait, s’était mis à l’aimerbeaucoup, bien qu’il le vît rarement ou peut-être à cause de celamême. Quand il venait, par hasard, passer quelques heures au logis,dans sa cabane de bois de la Foux, il jouait avec le petit,s’amusait à se le faire apporter par son grand bon chien d’arrêt,un énorme griffon qu’il avait baptisé Hercule ; et le pèreriait, à gorge déployée, de voir les essais maladroits de l’enfantpour marcher et pour vivre.

Et maintenant, les yeux sur l’horizon, Maurin« se repassait » ces choses, en tenant par la main sonfils devenu grandelet.

« Eh bien, dit le maire qui venait derallumer son éternelle pipe, y allons-nous, Maurin ?

– Allons-y, monsieur le Maire. »

Ils s’acheminèrent vers l’habitation deM. Rinal.

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