Maurin des Maures

Chapitre 38En quels termes le don Juan des bois refusa mariage à la belleCorsoise avec une sincérité digne d’estime.

 

Quand l’ermite les eut laissés seuls et se futallé coucher, les deux amoureux se répétèrent à loisir ce qu’ilss’étaient déjà dit. Maurin décida qu’il accompagnerait Toniajusqu’aux bords de Pignans.

« Quand tu seras sortie des bois et quetu arriveras dans la plaine habitée, je te quitterai, pas avant,afin de te garder de male encontre.

– De male encontre, répliqua-t-elleétourdiment, je n’en crains point !

– Et tu vois bien que tu n’as pas raison,dit-il en riant, car il t’en est arrivé une ce matin. »

Elle le regarda d’un air grave.

« Ne plaisante pas, dit-elle, – quece n’est pas bien le moment. Ce qui est arrivé sera triste si tun’es pas un brave garçon, car si tu n’es pas un brave garçon, tu nem’épouseras pas et alors, acheva-t-elle avec beaucoup desimplicité, je crois que je finirai par te tuer.

– Que je t’épouse ! C’est donc uneidée qui te plaît énormément ? Je vois que (comme il estd’habitude avec les femmes) nous allons nous chamailler longtempssans que ton idée te lâche d’un cran !

– C’est que cette idée ne me quitte quepour me reprendre.

– Elle pourrait être selon la justice,dit Maurin qui fumait tranquillement, si je t’avais volée malgrétoi à toi-même. Mais de ma vie je n’ai fait chose semblable, carc’est là action de canaille… Tu savais très bien au contraire ceque je voulais, et tu avais une aiguille corse pour m’arrêter.

– Enfin, dit-elle, m’aimes-tu ?

– Pour sûr, fit Maurin sincère, poursûr ! et non guère ! je te l’ai dit et répété.

– Et voudras-tu de moi pourfemme ?

– Tu as là décidément une idée qui tientcomme une arapède au rocher, dit Maurin ; mais raisonne unpeu. Si je te voulais épouser, ton fiancé se fâcherait, ton père merefuserait, et tout cela c’est une mauvaise affaire.

– Mon fiancé ira au diable et mon père oùil voudra ! et l’affaire ne regarde, au bout du compte, quemoi.

– C’est que… ma liberté, j’y tiensbeaucoup ! dit Maurin. Certainement, ce me serait grandplaisir, en rentrant à la maison, de trouver chaque soir lagentille femme que toi tu es, assise près de la lampe allumée et dela soupe chaude, mais je n’y rentre guère à la maison, vois-tu. Lesmaisons ne sont pas faites pour moi. Ma mère rarement me voit. Jesuis comme le lièvre qui a tous les gîtes et qui n’en a point. Aiedonc avec moi un amour de peu de temps et songe que les gendarmesdeviennent brigadiers avec des protections.

– Ainsi, tu supportes l’idée, fit-elle ense levant, de me voir donner à Sandri ?

– Pas maintenant, non, fit Maurin sanssourciller, mais je sais bien que je la supporterai un jour, quandil faudra.

– Et moi, dit-elle énervée par toutes cesflegmatiques résistances, jamais je ne supporterai que tu sois,même une heure, à une autre femme ou fille !

– Une seule poule ne suffit pas àentourer un coq, fit sentencieusement Maurin. Comment veux-tu queje réponde de moi ? Ça ne serait pas dans la nature… Tu levois bien, par-là, que je ne peux t’épouser.

– Et crois-tu que si je reste tienne sansêtre ta femme, je serai moins jalouse, et t’en permettraid’autres ? Tiens, Maurin, voici, pour en finir, mon idée surtoi et sur moi. Ce qui est arrivé était mon destin, soit ; jereconnais qu’après tout je l’ai voulu comme toi et en mêmetemps ; et qu’à la bonne Mère, tout en la priant pour qu’elleme délivrât de penser à toi, j’étais surtout contente de ne parlerque de toi. Tu m’as ensorcelée, et c’est, je le veux bien, malgrétoi-même, et je te le pardonne parce que tu me dis tout,franchement ; mais aux conditions que tu me fais, je n’acceptepas le marché pour l’avenir. Va-t’en tout de suite et ne me voisplus, ne me cherche plus. Adieu ! »

Elle s’était levée, pâle sous le noir de sescheveux un peu défaits, ses lèvres tremblaient d’indignation et dedouleur. Sa poitrine battait. Elle était belle. Maurin envisageasans plaisir l’idée de renoncer à cette proie magnifique.

« Tonia ! dit-il (et il la prit dansses bras), ne sois pas si méchante. Ce qui est fait est fait.Qu’une fille soit à un homme une seule fois, ou vingt fois, lenombre des baisers ne change rien à la chose : on est à luitout à fait dès le premier, et à s’en tenir au premier on renonce àde la joie sans regagner ce qu’on a perdu. Ne me fais pas ni à toicette peine inutile de ne me plus revoir. Reste mienne et laissonsle temps nous donner conseil. Peut-être même m’aimeras-tu moinsdans peu de temps et tu seras alors bien contente de n’avoir pasrenoncé à faire la volonté de ton père, et moi je serai satisfaitde ne pas t’avoir fait perdre un bon établissement. Se marier avecmoi, ce n’est guère pour toi une bonne fortune et je te le dishonnêtement. »

Ils étaient debout. Il la tenait par lataille ; il la renversait un peu sur son bras et lui parlaitbouche à bouche. Les paroles de Maurin n’étaient déjà plus qu’unson murmurant et confus pour elle. Le sens des raisonnements luiéchappait peu à peu. Son esprit s’efforçait de se ressaisir et n’yparvenait pas. La tête rejetée en arrière, elle voyait, au-dessusd’elle, le visage de Maurin, ses yeux ardents, son air de libre eténergique chasseur, et elle lui dit :

« Je ne sais ce que tu dis, Maurin… je nesais plus… je t’aime… je suis jalouse… je suis tienne… je ne veuxplus te voir… et tu es le maître… »

Il la raccompagna vers Pignans jusqu’au bas dela colline. Ils ne raisonnèrent plus de rien. Il fut dit seulementque, quand ils pourraient, ils se reverraient. Et Maurin la quitta,par prudence, dans l’intention de passer la nuit au village voisin,chez des chasseurs amis, à Gonfaron.

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer