Maurin des Maures

Chapitre 23Entre un conditionnel et un présent, entre « je m’en flatterais »et « je m’en flatte », il n’y a pas, pour un bon gendarme,l’épaisseur d’un poil de barbe.

 

Maurin n’avait aucun engagement vis-à-vis deTonia. Elle ne put lui faire reproche au sujet de cette histoirebientôt ébruitée. La Margaride, la première, la racontaitvolontiers. Ce fut le gendarme seul, qui, de plus d’une manière yperdit.

Aux yeux de Tonia, le gendarme apparut dèslors un peu ridicule et il n’eut pas le mérite d’avoir quitté samaîtresse par respect pour sa fiancée. C’est la maîtresse quil’avait quitté. Tonia ne manqua pas de railler Sandri, à motsouverts, sur sa malheureuse équipée ; et l’irritation du joligendarme contre Maurin en fut accrue, tandis que le goût de Toniapour Maurin, qu’elle n’avait plus revu, s’exaltait chaque jour unpeu davantage.

Maurin disait quelquefois :

« Il est plus facile à un homme qui a unemaîtresse d’en avoir plusieurs, qu’à un homme qui n’en a point d’enattraper une, et plus facile encore à un homme qui en a plusieursde les avoir toutes ! »

Cependant Célestin Grondard s’entêtait dansses soupçons contre Maurin. Un bouton de veste, trouvé sur le lieudu meurtre et ayant appartenu à Maurin, il n’en fallait pas plus àGrondard et à un gendarme pour être convaincus de la culpabilité duroi des Maures. Pour sûr, c’était Maurin qui avait tué Grondard lepère ! Ils se répétèrent cela tous les jours à soi-même,chacun de son côté. Maurin était coupable. Ils désiraient qu’il lefût, ils le voulaient, – tout à fait comme de vrais juges.

Alessandri combina donc avec Grondard touteune comédie destinée à obtenir les aveux du roi des Maures.

Depuis deux jours Maurin venait avec Pastouréattendre un lièvre au croisement de deux sentiers, au Pas de lalièvre, sans parvenir à le tuer.

« Nous l’aurons demain ici même »,dit Maurin le second jour.

Célestin avait entendu ce mot et pris sesmesures.

Le lendemain Maurin était seul, dans la forêt,loin de toute habitation, au Pas de la lièvre, et Pastouréposté ailleurs, assez loin de lui, avec Gaspard, son chien d’arrêt,qui rapportait admirablement.

Maurin avait lâché ses chiens courants quidonnaient de la voix éperdument à travers le maquis. Hercule, songriffon d’arrêt, dormait à ses pieds.

Maurin attendait la lièvre-sorcière qui nevenait toujours pas.

Ce fut Grondard qui tout à coup parut devantlui avec son vilain masque de barbouillé.

Célestin tenait dans sa main noire un vieuxfusil à un coup.

« Au large ! dit Maurin, voyant quel’autre restait immobile à dix pas sur le sentier… Passe donc,Grondard, que tu me gênes. Tu ne viens pas, je pense, pour me volermon gibier ?

– Connais-tu ceci ? fit brusquementCélestin Grondard en lui montrant le bouton de cuivre luisant ausoleil du matin.

– Je n’y vois pas de siloin ! » répliqua Maurin.

Célestin approcha.

« Je n’y vois pas de tropprès ! »

Grondard s’arrêta et lui tendant lebouton :

« Regarde !

– Ça, dit alors Maurin tranquillement,pressentant un piège et pensant le déjouer par la plus grandefranchise, ça, c’est un bouton d’une veste que j’ai. Le marquis deBrégançon, à Cogolin, m’avait donné une de ses vestes, toute neuve,trop étroite pour lui ; une jolie veste de velours, avec debeaux boutons de chasse qui étaient à la mode du temps des rois.C’est dommage que j’aie usé la veste ! Mais les boutons je lesai toujours gardés ; il m’en manque un seul… ça doit êtrecelui-là ; où l’as-tu trouvé ?

– Près de l’endroit même où mon père aété tué, fit Célestin, à l’endroit où, je pense, tu étais àl’espère comme un bandit que tu es, pour tirer sur un homme commesur un sanglier. »

Il regardait Maurin fixement avec ses vilainsyeux d’une blancheur sanguinolente. Maurin ne sourcilla pas.

« Ah ! dit-il, c’est à ça que tu enviens ? et voilà la mauvaise mouche qui te pique, méchantmascaré ! (noirci). »

Il se mit à rire.

« Nos Maures, reprit-il paisiblement, ontquinze ou vingt lieues de large. C’est amusant pour moi deretrouver un bouton de veste sur un si grand territoire… car jeferai la preuve que ce bouton est mien et tu seras forcé de me lerendre, – que j’y tiens beaucoup !

– C’est toi qui as tuél’homme ! » dit d’une voix sourde et décidée lecharbonnier redoutable.

Maurin haussa les épaules et porta son index àson front.

« Tu déménages, Grondard, dit-il d’un tonapitoyé. Voyez-moi un peu ça !… Tu as rencontré un bouton dema veste dans le bois, et tu prétends en conséquence que j’ai tuél’homme. En voilà, un raisonnement ! Si tu avais cherchémieux, tu aurais trouvé par-là, pas loin du bouton, je pense, dupoil de renard ou de la plume de perdreau. Grâce à Dieu, il n’y apas un coin des Maures où je n’ai tué quelque chose. Et puissais-tu depuis combien de temps j’ai perdu mon bouton decuivre ? Depuis l’été passé, collègue !… Ainsi, fiche-moila paix. Les chiens là-haut, entends-les, sont sur la piste. Je neveux pas manquer cette lièvre. Allons, fais ta route que tu megênes ; file, que je dis ! Laisse-moi libre de ma chasse.Et conserve bien le bouton, qu’il faudra bien, un jour, que tu mele rendes ! »

Grondard n’entendait pas de cette oreille. Ilexécutait un plan. Il secoua la tête. Il voulait exaspérer Maurin,comptant que le chasseur, dans sa colère, laisserait échapperquelque semblant d’aveu. Sandri sans doute n’était pas loin delà.

« Ce n’est pas tout, Maurin, affirmaeffrontément Célestin changeant ses batteries.

– Qu’y a-t-il encore ?

– Tu as un jour surpris ma sœur dans lebois !… je le sais ! Chaussé de souliers de corde commetoujours tu es, tu t’es avancé sans bruit et tu l’as surprise… Etsi tu veux le savoir, je suis venu pour te punir de ça, moi, sonfrère ! J’en finirai avec toi, entends-tu, et pas plus tardque tout de suite, voleur de filles !

– Écoute, le masqué, fit Maurin avec uneparfaite tranquillité et un grand air de noblesse ; écoute, nem’échauffe pas la bile, ce serait tant pis pour toi… Mes chienslà-haut « bourrent » la bête… et je ne veux pas lamanquer. Pourquoi ne me demandes-tu pas de l’argent, pendant que tuy es ? Raconte à qui tu voudras tes mensonges et laisse-moi enpaix… Tout le monde connaît Maurin et tout le monde te connaît,toi ! Ce n’est pas Maurin qui violente les filles. Elles lecherchent assez d’elles-mêmes, et il s’en flatte. Ceux quiviolentent les filles sont des gueux et tu en connais, hein, deceux-là ? Ton père en était peut-être… Ah ! tiens,va-t’en, car je t’ai assez vu, et de te voir ça me fait bouillir…Si j’avais eu le bonheur de délivrer le pays de la canaillerie deton père, j’achèverais ma besogne en délivrant le pays de toi, icimême, en ce moment, car tu ne vaux pas mieux que la Besti.Ah ! vous étiez à vous deux une jolie paire de marrias !Et heureusement te voilà dépareillé. »

Le géant noir devint pâle sous son masque desuie.

Il serra ses deux gros poings, se demandant cequ’il allait faire.

Alors Maurin épaula tranquillement son fusil…Le coup partit… un lièvre magnifique déboulina là-haut, au flanc dela colline, frappé à mort parmi les touffes de thym. Tandis que leschiens courants de Maurin continuaient à suivre la piste enpoussant leurs abois continus, Hercule, son griffon d’arrêt, semettait en quête de la pièce abattue auprès de laquelle ildemeurait fidèlement de garde, jusqu’à ce que lui fût donné l’ordred’apporter.

« Mon fusil est à deux coups, dit Maurin,l’œil sur Grondard, et il a l’habitude, comme tu vois, de ne pasmanquer le gibier. »

Il allait s’éloigner et ramasser son lièvre,lorsque la sœur du charbonnier se montra.

L’affaire commençait à prendre tournure deguet-apens.

La fille savait bien ce qu’elle avait à dire.Son frère l’avait, de longue main, préparée à cette entrevue, commeà d’autres à peu près pareilles.

« Ah ! monstre ! cria-t-elle.C’est toi qui m’as attaquée l’autre jour, et renversée et battue,et embrassée par traîtrise, et par force ! Je n’ai pas pu tevoir, lâche, mais je reconnais bien ta voix. »

Alors, un flot de sang monta à la tête de donJuan des Maures.

« Coquins ! cria-t-il, – aularge ! Encore un de vos tours, bandits ! Mais on a l’œilouvert et on vous trouvera la marche. Maurin, entendez-vous, estincapable de ce que vous inventez. Tout le monde le sait. Je prendsce qu’on me donne, gredine, et des femmes de ton espèce, un Maurins’en moque bien ! Ah ! misère de moi, pour tomber àcelle-là il faudrait avoir fait carême durant quarante foisquarante jours, pechère ! »

Il s’échauffait. Le sang provençalbouillonnait en lui. Lent à s’émouvoir, l’homme du Var devenaitterrible en ses colères. Il perdit la raison et il se mit à hurlerd’une voix furieuse :

« Ceux qui sont capables de faire lachose dont vous m’accusez, gueuse, je les méprise et je lesdéteste.

« Votre père, oui, en était capable, racede porcs !

« Et c’est pour ça qu’on l’a tué, et jesais qui ! et celui-là a bien fait. Et si c’était moi, je m’enflatterais ! »

De « je m’en flatterais » à« je m’en flatte » il n’y a, aux yeux d’un gendarme, quel’épaisseur d’un fil. La gendarmerie n’en est pas à distinguer avecsoin un conditionnel d’un présent.

Le mot compromettant était à peine prononcé,qu’un bruit de pas se fit entendre non loin de là, dans lapierraille.

« Ton compte est réglé ! ditGrondard. La gendarmerie sait à présent, comme moi, ce qu’ellevoulait savoir. C’est elle que maintenant ça regarde. »

Maurin se retourna vivement.

Un éclair de fureur passa dans ses yeux.

Alessandri, debout à dix pas à peine, la mainsur la crosse de son revolver d’ordonnance, regardait Maurinfixement… mais voilà que d’un mouvement instinctif, il se retournapour voir si son inséparable et réglementaire compagnon lesuivait.

Quand ses regards revinrent à la place oùdevait se trouver Maurin… il ne le vit plus !

Bien avant d’avoir aperçu le gendarme, lebraconnier s’était dit qu’il serait peut-être obligé de prendre lafuite, et il avait calculé ses chances et moyens.

Il avait songé tout d’abord à appeler sonfidèle compagnon Pastouré posté sur l’autre versant de la colline.Mais appeler son ami Pastouré, c’était le mêler à cette mauvaiseaffaire. C’était aussi irriter Célestin, faire à coup sûr dégénérerla querelle en combat.

L’apparition du gendarme avait mis fin auxhésitations de Maurin.

Devant lui, il avait le haut versant de lacolline couverte de thyms et de bruyères, sillonnée de ravinspierreux, creusés par les eaux de pluie.

C’était sur ce versant qu’il s’attendait, d’uninstant à l’autre, d’après la voix des chiens, à voir monter sonlièvre.

Derrière lui, s’ouvrait le vide, car lerocher, sur lequel il était debout, était, de ce côté-là, taillé àpic, véritable muraille d’environ quinze pieds d’élévation. Et pourdescendre la colline, à moins de sauter de cette hauteur, il devaitaller, par des circuits, chercher une pente praticable à undemi-quart de lieue. S’il sautait, ni le gendarme, empêché par sesénormes bottes, ni le géant Grondard, puissant mais lourd et sanssouplesse, ne pourraient le suivre à moins de perdre dix minutes àretrouver au loin le sentier. Or, en dix minutes, avec laconnaissance qu’il avait des moindres drayes (sentiers) des Maures,le maigre et léger Maurin aurait le temps de gagner au large.

Il n’avait vraiment à craindre que le fusil deGrondard et le revolver de Sandri.

Et encore !… Il savait, par expériencepersonnelle, que malgré la colère, et en dépit des plus violentesmenaces, on ne tire pas sur un homme aussi vite que sur un lapin.On hésite toujours un peu.

Donc Maurin avait pris son parti, etsaisissant d’une main vigoureuse le bout de la longue branchehorizontale d’un pin d’Alep qui, planté en contrebas, dressait sacime bien au-dessus de sa tête, il avait sauté, en tenant ferme labranche, dans le précipice ouvert derrière lui.

La branche très longue et très flexibles’inclina avec vitesse d’abord sous le poids de l’homme, puisrésista, craqua, se rompit lentement, s’abaissa de nouveau, etMaurin, grâce à ce parachute, arriva à terre en pliant sur lesjarrets et sans avoir lâché son fusil.

Grondard et le gendarme se penchèrent vivementau bord du rocher ; ils ne virent plus rien.

Au-dessous du rocher en surplomb s’ouvrait uncreux naturel, assez profond. Maurin s’y était précipité, etGrondard et Alessandri entendirent alors distinctement savoix :

« Gendarme, disait Maurin invisible,gendarme, écoutez-moi bien. Je vais sortir de ma cachette si vousle voulez, et nous nous expliquerons, mais je me méfie de votresang corse. Le sang corse est prompt comme le diable et j’ai voulu,Alessandri, vous donner le temps de remettre votre revolver dansson étui. Faites comprendre à cette brute de Grondard qu’on ne tuepas un homme comme un perdreau et que vous seriez punissables tousles deux de tirer sur moi, car enfin, il n’y a pas de raisonsuffisante pour ça, Alessandri !… Vous êtes, au fond, un bravehomme, un bon serviteur de la loi, et, tenez, j’ai confiance envous. Nous allons parler mieux à l’aise, en nous regardant, vous,là-haut, moi, ici, en bas, bien entendu. »

Et, sans attendre de réponse Maurin, hardi, semontra. Cette action imposa au gendarme. Le chasseur avait bienjugé Alessandri.

Le gendarme, quelle que fût la violence de sespassions, gardait toujours au plus haut degré le sentiment de sesdevoirs et le respect du droit. Au moment où Maurin se montra,Grondard irrité fit un mouvement, mais Sandri posa sa large mainsur le bras du charbonnier.

Le géant noir recula. La gendarmeriel’intimidait, et pour plus d’une cause.

« Parle, Maurin ! » fitAlessandri.

– Voici, dit Maurin. Tu sais de quoiGrondard m’accuse ? Il se trompe. »

Alessandri l’interrompit tout desuite :

« Tu connais le meurtrier ?

– Non.

– Il est trop tard pour le nier. Tu asavoué tout à l’heure que tu le connais. Je t’ai entendu.

– Tu m’as entendu, dit froidement Maurin,me quereller avec celui-ci. Voilà tout. »

Du doigt, il désignait le charbonnier.

« Dans la colère, poursuivit-il, on nesait plus ce qu’on se dit… On lance à son ennemi les plus follesparoles que l’on peut trouver. J’ai dit ça en effet… Je ne dis pasque je ne l’ai pas dit… c’est que, à ce moment, Célestin, sij’avais pu te faire croire que c’est moi qui ai tué ton père…

– Vous l’entendez ! criaGrondard.

– Si, répéta Maurin, si j’avais pu tefaire croire que c’est moi qui ai tué ton père, je te l’aurais faitcroire, mais ce n’est pas moi ! »

Et Maurin se mit à rire tranquillement.

Il reprit :

« Pourquoi aurais-je tué la Besti ?Le service de la gendarmerie est trop bien fait dans nos montagnesdes Maures pour que j’aie besoin de m’en mêler… Donc, je n’ai pasfait la chose honorable dont on m’accuse.

« … Tout le pays me connaît et l’onm’aime un peu, que je crois. Les préfets et les députés sont mesamis, et quand ils veulent assister à une battue au sanglier un peupropre, ils s’adressent à moi et ils y trouvent leur plaisir. Vingtvilles et bourgades du département suivent mes conseils au tempsdes élections. Ce n’est pas une petite affaire, crois-le, gendarme,que de se tromper à mon préjudice… Et puis, qui doncm’accuse ? Celui-ci ! un homme dont tu connais toi-mêmela mauvaise réputation, soit dit sans l’insulter. Quant à sa sœur,elle ment. Elle convient, du reste, qu’elle n’a pas vu l’homme quil’a attaquée ; personne, je parie, ne l’a attaquée ; entout cas elle ne m’a pas vu, et j’aurais cent témoins pour direqu’elle a plus d’une fois inventé contre d’autres des accusationspareilles, avec l’aide de son frère et de votre gueusard depère. »

Grondard, qui donnait depuis un moment degrands signes d’impatience, fit de nouveau un geste de menace.

Alessandri l’arrêta encore…

« Non ! non ! je n’ai pasmenti, non, je n’ai pas menti ! hurla la sœur de Grondard.

– Bref, poursuivit Maurin, le mieux pourtoi, Alessandri, c’est d’aller faire ton rapport au sous-préfet, aumaire ou aux juges. Fais-toi donner un bon mandat contre moi, unpapier bien en règle, et alors tu pourras revenir armé non pas d’unrevolver mais de ton bon droit… Je ne suis pas un vagabond. Où jedemeure, avec ma mère, tu le sais. J’ai une cabane à moi dans legolfe de Saint-Tropez. Elle est en bois, mais elle paie l’impôt… Etde ce pas, avec ta permission, je vais y aller pour t’attendre…Est-ce convenu ? »

Le gendarme réfléchissait. Décidément, ilavait raison, ce Maurin. Il parlait en homme de bon sens.

« Il a raison, Grondard, dit-il. Il araison. Je le rattraperai, s’il le mérite, quand je voudrai. Ilsait qui a fait le coup. Là-dessus, sa parole que j’ai entenduesuffira au juge pour qu’il me donne l’ordre de le lui amener.

– Adieu donc. Portez-vous bien.Conservez-vous ! » dit Maurin, selon la formule en usagedans le pays.

Il s’en allait… son pas retentissait dans lescailloux qui dégringolaient sur la pente, sous les pins…

Grondard n’y tint plus. Il dégagea son bras del’étreinte du gendarme, et il mit en joue Maurin entrevu à traversles troncs innombrables de la forêt.

À ce moment, Pastouré, qui avait entendu lecoup de feu de Maurin, s’était décidé à quitter son poste pourrejoindre son ami.

Il vit de loin Maurin en fuite ; ilreconnut Grondard et la Luronne. On appelait ainsi, dans le pays,cette sœur du charbonnier. Et enfin, il aperçut les gendarmes.

Il comprit qu’il s’était passé quelque chosede grave.

Son œil perçant distingua aussi, sur lecoteau, au-dessus du groupe ennemi, le griffon de Maurin attendant,selon son habitude, l’ordre que son maître (ayant d’autres chiens àfouetter) oubliait de lui donner, c’est-à-dire l’ordre de rapporterle lièvre auprès duquel il était assis gravement. Pastouré, hommede sang-froid, comprit d’un seul coup d’œil toute la situation etvoulut sauver le gibier.

« Apporte, Hercule ! » criaParlo-soulet d’une voix éclatante avec un grand gestetélégraphique.

Le griffon se releva en bondissant. Ils’élança… tenant entre les dents, par la peau du cou, le lièvrerejeté sur ses reins.

Croyant pouvoir rejoindre Maurin en lignedroite, le chien accourut à fond de train et se jeta éperdumententre les jambes de Grondard, qui perdit l’équilibre juste aumoment où il allait lâcher son coup de fusil.

Le géant trébucha avec des gestes désordonnés.Son fusil partit tout seul et la balle enleva, avec le chapeau deSandri, une mèche des noirs cheveux du beau gendarme. Lecharbonnier roula à terre, grotesquement étalé de tout son long, etsi malheureusement, que le second gendarme se prit les jambes dansles siennes et tomba à son tour sur le derrière, tandis que Sandriétanchait la goutte de sang qui, coulant de son crâne sur sesjoues, rendait ses pommettes plus roses.

Et là-bas, sous bois, tout en prenant« la lièvre » aux dents du bon chien fidèle, Maurin etPastouré, témoins de l’aventure, en riaient à plein cœur.

« Ça me rappelle, disait Maurin àPastouré, dont la gaieté silencieuse illuminait la large face, unbon tour que je jouai à un gendarme quand j’avais vingt ans.Figure-toi… »

Les éclats de rire des deux chasseurs seperdaient dans l’écho de la vallée rocheuse, pendant que la sœur deGrondard versait un peu d’eau-de-vie sur la blessure du gendarme,en lui faisant les yeux doux.

« Je crois, grommelait Alessandri, que cedamné Maurin est un peu sorcier ! »

Quelques jours plus tard, il recevait l’ordred’arrêter Maurin partout où il le rencontrerait.

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