Maurin des Maures

Chapitre 25Si l’on ne mangeait de cerises que celles qui vous appartiennent,beaucoup de gens ne sauraient pas quel goût a le fruit descerisiers.

 

Maurin suivit Antonia dans la maisonforestière resplendissante, toute blanche au soleil, et dont lescharpentes visibles étaient d’un bois bien roux, bien choisi.

Dès qu’ils furent entrés dans la salle basse,sorte de pièce commune contiguë à la cuisine et prenant jour parune fenêtre armée de solides barreaux de fer, Antonia ouvrit unearmoire. Elle apporta sur la table une bouteille de vieilleeau-de-vie et un verre.

« Et toi, tu ne boiras pas, petite ?interrogea-t-il gaiement. Quand on tire la carabine comme je t’aivu faire une fois, on doit boire l’eau-de-vie aussi bien qu’unchasseur de sanglier, hé, dis un peu ?

– L’un se peut faire sans l’autre, ditTonia en riant.

– Et, dit Maurin regardant son verre sansy toucher, ce sera là tout mon profit, pour t’avoir prise à moncôté et emmenée loin des coquins ? Que faisais-tu dans le boislorsqu’ils t’ont fait si grand-peur ?

– Je me promenais bientranquillement », dit-elle.

Elle était droite devant lui, les deux poingsposés fermement sur ses hanches larges. Elle se tenait devant lafenêtre et Maurin, qui la regardait avec des yeux de désir, voyaitautour de sa tête des frisons de cheveux noirs échappés à sacoiffure, et qui frémissaient, tout irisés, dans la clartééblouissante du ciel.

« Et quel autre profitvoudriez-vous ? » dit-elle avec malice, car elle songeaitencore à la chanson de la poulette.

Puis, avant qu’il répondît, elle ajoutagaiement, par manière gentille :

« C’est joli, ça ! n’avez-vous pashonte, de demander salaire pour avoir bien agi ?

– Mon salaire bien gagné, dit Maurin,étendant vers elle les bras et la saisissant par la taille, ce seraun bon baiser, rien qu’un ! »

Elle se débattait sans donner contre lui tropde force et sans se fâcher.

Lui, la tenant toujours par la taille,continua :

« Voyons, une supposition. Maurin desMaures n’aurait pas poussé son cri qui fait peur aux mauvaisesgens, qu’est-ce qui te serait arrivé ?… On tremble d’y penser,dis, ma belle ? Ce n’est pas d’un baiser que tu courais lerisque mais de beaucoup, je pense, et non pas d’un seul homme,pechère, et de telles gens encore, que, d’y penser, la rage m’envient, bon Dieu ! Songe donc ! Et pour avoir été sauvéed’un pareil malheur, un baiser, un seul, que tu donneras à un bravehomme, à un honnête homme, voyons, sera-ce payé tropcher ? »

Debout, il la tenait par-derrière à pleinsbras, largement, et ses deux mains s’étaient croisées sur la jeunepoitrine tendue et battante. Elle ne détourna pas la tête… Sansdoute, elle pensait, elle aussi, qu’il méritait, le beau et bravechasseur, ce gentil paiement de sa bravoure… Ce n’était pas un biengros larcin fait au gendarme ! Maurin déjà avançait les lèvrespour atteindre celles d’Antonia. Et comme il restait un peu court,elle se tourna un tout petit peu vers lui… Leurs yeux serencontrèrent et Tonia en éprouva une telle secousse qu’ellecomprit que donner le baiser c’était trop ! Et elle s’étaitdégagée de lui, non sans regret, mais par grande honnêteté, quand,sur le pas de la porte ouverte, parut son père, Antonio Orsini.

Le forestier poussa un juron terrible… Ildécrocha sa carabine. Tonia n’eut que le temps de se mettre entravers de sa menace.

« Que viens-tu faire ici, voleur ?criait Orsini.

– Les voleurs ne sont pas chez toi,Antonio ! fit Maurin. Ne m’insulte pas si vite et, si tuprends ta carabine, que ce soit contre ceux qui méritent ce nom etdes mains de qui j’ai retiré ta fille.

– Ce qu’il dit est vrai, mon père »,dit Antonia.

Et vivement elle expliqua la mauvaiserencontre et l’intervention de Maurin.

« Un baiser, dit Maurin tranquillement,c’est, des fois qu’il y a, une politesse qu’on se mérite !

– C’est bon, gronda Orsini, mais ce n’estpas une raison pour embrasser la fiancée d’un autre et la fiancéedu gendarme Alessandri, qui n’est pas ton cousin, tusais !

– Antonio, répondit d’un grand sang-froidle don Juan des Maures, Antonio, mon ami, si l’on ne mangeaitjamais de cerises que celles qui vous appartiennent, beaucoup degens ne connaîtraient pas le goût du fruit des cerisiers.

– C’est assez rire ! Décampe àprésent !

– Oh ! mon père, j’ai offert àMaurin un verre d’eau-de-vie. Vous lui devez hospitalité.N’êtes-vous pas de vrai sang corse ?

– Qu’il boive donc et s’enaille !…

– N’êtes-vous pas de vrai sang corse, jevous le demande ? répéta avec force Antonia. Vous devez, jevous le dis encore, hospitalité à Maurin. »

Alors, comme à contrecœur, car il regrettaitde paraître servir les intérêts du chasseur, Antonio, sans regarderni Maurin ni sa fille, grogna :

« Et qui te dit que la vraie hospitalitén’est pas, à cette heure, de renvoyer Maurin au plus vite ? Ila en ce moment la loi contre lui. Alessandri le cherche… et doitarriver ici ce matin même. »

Comme il achevait ces mots, Alessandri entraet, le bras étendu vers Maurin qu’il regardait d’un airsatisfait :

« Au nom de la loi, dit-il, je vousarrête, Maurin ! »

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