Maurin des Maures

Chapitre 28La voix du peuple nomme Maurin général et Pastouré colonel.

 

Quelques jours plus tard, à La Molle, soixantechasseurs étaient réunis par les soins de Pastouré, pour faire unebattue et prendre les deux voleurs qu’on avait signalés dans lesenvirons.

Tous les habitants du village entouraientParlo-soulet et chacun disait son mot sur la direction à prendre.Pastouré, muet, faisait de grands gestes au milieu d’un groupe,mais Maurin manquait encore à l’appel.

« Ah ! dit l’un des chasseurs,Maurin nous serait bien nécessaire pour conduire la battue !Quoique Pastouré soit là, nous pouvons regretter Maurin.

– Il viendra peut-être, dit un autre.

– Il viendra sûrement, dit un troisième,pour la raison que c’est lui-même qui nous a fait appeler. Ilviendra, je vous dis, quand il devrait marcher sur la tête pourvenir !

– Non, il ne viendra pas.

– Et pourquoi ne viendrait-ilpas ?

– Parce que les gendarmes d’Hyères sontici de passage, et peut-être n’est-ce pas par hasard. Il y a destraîtres partout. On les aura prévenus que Maurin nous avait donnérendez-vous ici.

– Si quelqu’un les a prévenus, c’estGrondard.

– Célestin ?

– Oui, Célestin… tu sais bien.

– Ah ! oui !… Alors, comme ça,Maurin ne viendra pas ?

– Lui ? il se moque des gendarmescomme des premières espadrilles qu’il a chaussées. Il sait que nousl’attendons, il viendra.

– Mais les gendarmes voudrontl’arrêter ? »

Pastouré, silencieusement, frappa sur l’épauledu dernier qui avait parlé, et, étendant le bras, lui désigna lesgendarmes qui, descendant de cheval à la porte de l’auberge,attachaient leurs montures à l’anneau scellé dans le mur.

« Regarde… Les voici, les gendarmes.Ah ! ah ! le beau Sandri a voulu être de la fête, on luidonnera du fil à retordre.

– Qu’a-t-il donc à craindre desgendarmes, un honnête homme comme notre Maurin ?

– On l’accuse d’avoir tué le vieuxGrondard.

– Et quand bien même ! Grondard centfois méritait la potence !

– La justice ne raisonne pas commeça. »

Ces paroles tournées et retournées de millemanières se répétaient sans fin dans les groupes.

Tout à coup un cri retentit :

« Té ! Grondard ! voici venirGrondard Célestin !

– Que vient-il faire, ce marrias, parmiles braves gens ?

– Que viens-tu faire ici,gueusard ?

– Je viens vous aider à prendre les deuxcoquins… je connais, je crois, leur cachette.

– Va-t’en ! que tu les ferais évaderplutôt. Nous ne voulons pas de toi. »

Quand la foule connut les intentions deGrondard, elle se mit à le huer :

« Hou ! la Besti ! Zou !contre lui ! hou ! hou !

– Va en galère, mauvais gueux !

– Qu’on lui tire un coup de fusil !C’est lui qui accuse Maurin ! C’est à cause de lui que Maurinn’est pas ici parmi nous ! Ne laissez pas un Grondard prendrela place d’un Maurin ! »

Les gendarmes, sortant vivement de l’auberge,durent s’interposer :

« Cet homme, dirent-ils, peut nousservir.

– S’il veut marcher avec vous, ilmarchera seul… Personne n’ira à la battue.

– Zou ! à lui ! à coups depierre !… »

Les gendarmes, sous la poussée de l’opinionpublique, conseillèrent à Grondard de se retirer. Il refusa.

À ce moment Pastouré prit une résolution.

Il parla :

« Maurin et moi, mes amis, nous avonstracé les mandrins comme des sangliers… Venez ; nous lesaurons pour sûr. De la manière qu’ils étaient situés il y a uneheure, si on y va tout de suite ils sont pris.

– Où est Maurin ? où est Maurin desMaures ?

– Chut ! il n’est pas loin d’ici,déclara Pastouré, baissant la voix ; il s’est caché, car ilprévoyait un peu la gendarmerie. Il nous rejoindra… partons, maisdébarrassons-nous des gendarmes.

– Maurin est par-là ? Qu’il semontre à notre tête ! Maurin ! Maurin !

– Oui ! cria Alessandri qui s’avançaentraîné par sa haine, qu’il se montre ! je suis venu pour levoir ! qu’il se montre !

– Présent ! » cria Maurin, quisortit tout à coup d’une remise dont la porte s’ouvrit sur laroute.

Sandri, suivi de l’autre gendarme, s’élançavers Maurin.

« Ah ! ça, mais !… Vous voulezdonc l’arrêter ? Ça n’est pas à croire ! ni àfaire ! »

La petite armée des chasseurs barrait la routeaux gendarmes.

« Et qui m’en empêchera ? »cria Sandri exaspéré.

Toutes les voix répondirent :

« Moi ! moi !moi ! »

Et une centaine d’hommes entouraient lesgendarmes, les empêchant d’avancer et même de se mouvoir… Lesfemmes sortirent des maisons et se montrèrent les plus passionnéesen faveur de Maurin.

Le tumulte dura un moment, si bien que tout àcoup, par-dessus la foule des têtes, Alessandri et le gendarme soncamarade aperçurent Maurin et Pastouré en train de détacher leschevaux militaires… Allaient-ils donc recommencer leur fameuseéquipée des Campaux ?

« Le premier qui m’empêche d’avancer, jele brûle ! » hurla Alessandri, le revolver au poing, aucomble de la fureur.

Comme par enchantement, son revolver lui futarraché.

Mais Célestin Grondard, à qui personne neprêtait plus attention, avait contourné la foule et il seprécipitait à la tête des chevaux. Déjà il étendait les mains poursaisir la bride du cheval de Sandri sur lequel venait de s’élancerMaurin, quand il reçut sur la tête un maître coup de crosse. Legéant noir tomba. Et Maurin et Pastouré, donnant du talon dans leflanc des chevaux officiels, partirent à fond de train.

Au bruit du double galop, la foule seretourna :

« Vive Maurin ! Vive Maurin !Vive Pastouré ! Vive le Roi des Maures ! »

Grondard fut relevé, la tête un peu fendue. Onle conduisit dans le café du village, pour le panser àl’eau-de-vie.

Consternés, les gendarmesl’interrogeaient :

« Qui t’a frappé ?

– Maurin, de la crosse de sonfusil ! »

Les deux gendarmes démontés se concertaient.Que devaient-ils faire ?

Réquisitionner une voiture, un cheval, suivreMaurin et Pastouré ? Peut-être les voleurs de chevauxallaient-ils rencontrer sur la route les gendarmes de Cogolin, etalors, ils seraient pris… les chevaux étant faciles à reconnaîtreau harnachement.

Oui, il fallait réquisitionner une voiture.Ils n’en trouvèrent pas. La mauvaise volonté des habitants futeffrontée :

« Ma roue de droite est cassée

– Ma roue de gauche a pété (rompu).

– Mon cheval a la colique.

– Mon cheval aussi a lacolique ! »

Plus d’une heure s’écoula au milieu de la plusgrande confusion. Il y avait maintenant sur la route près de deuxcents hommes armés de fusils. Tout à coup ce criretentit :

« Les voici qui reviennent !

– Où donc ?

– Là-bas, au tournant, derrière le GrandSuve. »

C’était bien l’histoire des Campaux quirecommençait ; mais, cette fois, les deux chevaux nerevenaient pas seuls…

« Vive Maurin des Maures ! vivePastouré ! »

Maurin et Pastouré apparurent ; ilsétaient fièrement campés sur leurs chevaux. Ils allaient au pas,imitant de tous points l’allure de deux gendarmes, corrects detenue, leurs vieux feutres en bataille, la main droite un peuhaute, la gauche sur la cuisse, et donnant à leurs fusils des airsde carabines.

Et ils poussaient devant eux, les deux banditsà pied, les mains liées derrière le dos…

Un éclat de rire énorme agita tout ce villagerépandu sur la route.

« Vive le général Maurin !

– Vive le colonel Pastouré !

– Méfie-toi, Maurin ! ils veulent teprendre… »

La foule de nouveau fit obstacle entre lesarrivants et les gendarmes. Et calme sur un cheval inquiet,l’ironique Maurin, s’adressant aux gendarmes contraints de resterderrière la foule, leur adressa majestueusement la parole,par-dessus les deux cents têtes de son peuple.

« Est-ce aujourd’hui, gendarmes, que vouscomptez m’avoir ? Est-ce au moment où je viens de faire tonservice, Alessandri, et où je te remets deux prisonniers que jamaistu n’aurais su prendre tout seul, que tu m’arrêteras ?

– Gredin ! cria Alessandri hors delui. Tu ne te moqueras pas de moi jusqu’au bout. Ce n’est pas deux,mais quatre prisonniers qu’il me faut ! Livre-toi donc, toi etton camarade Pastouré, ce Parle-seul qui doit avoir à nous parler,tu sais bien de quoi ! N’aggrave pas ton affaire. Suis-moi debonne volonté, ou tôt ou tard, ça finira mal.

– Si ça doit mal finir, que ce soit leplus tard possible. Bonsoir, la compagnie ! Garde tesprisonniers, si tu le peux. Nous autres, nous gardons leschevaux. »

Telle fut la réponse de Maurin. Et tournantbride avec ensemble, Pastouré et Maurin prirent le galop et bientôtdisparurent là-bas sur la route, dans la poussière soulevée… Lehourrah joyeux de la foule les suivit longtemps, tandis que lesgendarmes passaient les menottes aux prisonniers qu’ils devaient àl’adresse de leurs ennemis.

Quand ils eurent assez galopé, les deux hérosmirent au pas leurs montures.

« Colonel Pastouré ! » ditgaiement le général Maurin.

– Général Maurin ? » daignarépondre le colonel Pastouré.

– Je suis content de vous ! ditMaurin.

– Dieu vous le rende ! fitPastouré.

– Ils ne comprendront jamais comment ànous deux nous avons arrêté les deux hommes.

– Trop bêtes ! » dit lelaconique colonel.

– C’était pourtant besogne facile à nous(puisque nous savions que les deux coquins n’avaient plus demunitions) de deviner qu’en les surprenant dans cette baume(grotte) – où nous les avions fait appâter avec desprovisions, qui avaient l’air d’avoir été oubliées là par notre amile cantonnier, – ils obéiraient comme des moutons dès que nousleur montrerions les quatre-z-yeux noirs de nos deux fusilsdoubles.

– Pardi ! » fit le colonel.

– Et puis, jamais gendarme n’aurait,comme nous, passé la nuit à les empêcher de dormir à coups de fusiltirés à blanc et à grand bruit de trompette et de tambour, afin deles trouver à moitié endormis ce matin !

– De sûr ! fit le colonel.

– Colonel, dit le général, j’ai envie devous nommer maréchal.

– À propos de maréchal, dit le colonel,gagnons la broussaille un peu vite et laissons là nos chevaux, carj’entends, à la manière dont le mien fait tinter son pied gauche,qu’il se l’est déferré ! Arrive, monempereur ! »

Ils abandonnèrent les chevaux au beau milieude la route sous la protection du grand saint Éloi.

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