Maurin des Maures

Chapitre 32Où Maurin des Maures, par la façon dont il pense à se faireconnaître de son bâtard Césariot, prouve bien qu’il n’est pas unhéros de roman-feuilleton.

 

Aux yeux de Tonia, l’aventure du miracle deSaint-Martin et du Cuoù l’embaro grandit Maurin de millecoudées.

« Ah ! pensait-elle, si Sandri enavait de pareilles !… Mais les gendarmes ne sont paslibres ! »

Aussi, lorsque, peu après, elle aperçut, à lacantine du Don, Maurin venu pour la revoir, elle courut à lui etlui sourit de bon cœur.

« Je n’oublie pas que c’est vous quim’avez sauvée, Maurin, et puis, c’est à vous qu’on le doit, si cesmalfaiteurs sont arrêtés et si l’on peut maintenant se promenerdans les bois en sûreté.

– Parbleu, gallinette (petite poule), ditMaurin, si je les ai arrêtés, c’est bien pour les punir de la peurqu’ils vous avaient faite, et pour vous mettre l’esprit enrepos. »

Elle lui tendit la main.

« C’est gentil ça, me voilà payé, fit-il,si nous sommes amis ! »

Ils causaient, Maurin sur le pas de la portedu cabaret, Tonia arrêtée sur la route, aux regards de qui pouvaitpasser.

« J’ai bien le droit, disait Tonia, de memontrer reconnaissante envers vous ; j’en ai même, pardi, ledevoir.

– Entrez donc, mademoiselle. »

Mais elle refusa. Et, ce qui charma Maurin,elle fit une allusion à l’histoire de l’aigle dont elle ne luiavait pas parlé encore. Il n’avait, à l’époque où il chassaitl’aigle, aucun engagement envers Tonia (en avait-il àprésent ?) et, cependant, elle eut l’air de se plaindre de cequ’il avait été comme qui dirait infidèle à quelque chose qui étaitentre eux !…

« Bon, elle est jalouse ! »pensa Maurin qui s’y connaissait.

Il comprit que l’amour la prenait, la pauvre,un peu davantage chaque jour. Quand il lui nomma Sandri par deuxfois, elle eut un petit haussement d’épaules, et alors il affectade ne pas parler en mal du gendarme. Il s’attacha à paraîtreindifférent à ce sujet ; elle en fut piquée comme il ycomptait bien. Et quand elle le quitta, elle se sentit toutesongeuse, plus impatientée que jamais contre Sandri.

Et tout à coup, rentrant dans lacantine :

« Tenez, Maurin, dit-elle, ce qui est malde votre part, je dois vous le dire, c’est l’affaire du cabanon oùSandri vous a trouvé avec la Margaride !

– Oh ! moi, dit Maurin, j’étaislibre de me trouver avec qui bon me semblait. Mais Sandri, lui,c’est différent. Il est votre fiancé. Et j’ai voulu le punir.

– Dites tout de suite que c’est pour merendre service que vous avez recherché cette belle fille, car elleest belle, dit Tonia irritée. Vous vouliez sauver votre amie MiséSecourgeon, voilà tout !

– Chut ! dit Maurin en riant.

– Ah ! vous êtes, dit Tonia, unfameux bandit ! »

Elle partit sur ce mot qui était, de touteévidence, le plus haut terme de l’admiration sur ses lèvres deCorsoise.

Quand le rusé don Juan de la forêt eut comprisque la belle Tonia était en colère contre lui, il s’en alla,profondément persuadé qu’il en aurait tôt ou tard la joie, et quesur le terrain d’amour il infligerait à Alessandri la suprêmedéfaite.

Il avait fait à peine cinq cents pas sur laroute qu’il aperçut, se baignant en pleine poussière, avec dejoyeux frémissements d’ailes, une compagnie de perdreaux. Herculepointa, esquissant un arrêt sans fermeté.

« Ce sont les perdreaux de Saulnier,pensa Maurin. Quelque jour il se les fera tuer ! Ah ! levoici lui-même avec sa belette et son renard. »

Masqué de ses larges œillères, Saulnier tapaità tour de bras sur un tas de cailloux ; il était assis à terreet il frappait, frappait. Sa belette dormait entre les pattes deson renard.

« De loin, lui dit Maurin, on voit tesperdreaux avant de te voir ; on te les tuera.

– Non, dit Saulnier, mon renard lesgarde. Quand un étranger approche il s’inquiète et grogne. J’aicompris, à sa figure, que celui qui s’avançait était un ami et lesamis reconnaissent mes perdreaux. Et puis, ils savent qu’en cemoment c’est ici mon quartier de travail. J’espérais bien te voir,Maurin.

– Et de neuf, qu’y a-t-il ?

– Il y a de neuf que j’ai vu passer parici Césariot. »

Césariot était le fils aîné de Maurin, celuidont il ne parlait guère, et pour cause.

« Ah ! tu as vu Césariot ?

– Oui. Il revenait de Toulon. Il est allédans la mauvaise ville dépenser son argent de six mois. Etmaintenant, il est retourné à Saint-Tropez en gagner encore qu’ildépensera de même. Mais cela ne serait rien, s’il n’avait pasd’autres intentions, qui ne sont guère bonnes ! Je ne sais quilui monte la tête. Si les gens connaissaient ce qu’il est pour toi,c’est-à-dire ton fils, on y regarderait à deux fois, je pense,avant de s’exposer à ta colère. On le bourre d’idées mauvaises etcomme il aime l’aïguarden, cela lui fait une mauvaise tête.

– Et qui donc, répliqua Maurin enfronçant le sourcil, le bourre d’idées comme ça ?

– Des gens qui lui donnent à lire toutessortes d’histoires. C’est surtout la liture (lecture) quile perd. Il m’a conté qu’il a chez lui des papiers où l’on voit desenfants de rien perdus ou volés, qui retrouvent leur père prince etqui deviennent des rois après avoir été des mendiants, et il ditqu’il lui en arrivera autant, ou bien que, s’il ne devient pas roi,il fera sauter des rois avec des machines infernales. Il dit que,sur la terre, il faut être ou empereur pour le moins ou voleurcomme plusieurs de ses amis.

– Oh ! dit Maurin, je les lui feraipasser de la tête, moi, ses idées de féna (mauvais sujet), et s’ilveut un père, eh bien ! je lui en donnerai un, moi, de père,et qui me ressemblera comme deux gouttes d’eau. Ah ! il veutle connaître, son père ! Eh bien, je lui ferai faire saconnaissance !

– Il devient pire tous les jours, tongarçon. Je te dis qu’il parle de faire sauter les riches avec descoups de mine ou des bombes chargées de poudre de contrebande.

– Ah ! le méchant bougre ! fitMaurin. Voyez-moi ces idées : il veut être fils de roi etdéteste les fils de roi parce qu’il n’est pas fils de roi ! Etl’animal, si on lui donnait un gouvernement, serait plus méchantque les plus méchants ! Je vois qu’il faudra lui remettre unpeu et bientôt la cervelle à l’endroit. Quand on se plaint de ceuxqui ont les bonnes places, ça doit être pour faire mieux qu’eux,Saulnier, le jour où on les met par terre. Lui, avec les idées quetu racontes, il ferait pire que les pires. Et quelle instruction çaa-t-il, d’abord, un jean-foutre comme ça, il me fera dire, tout monfils qu’il est ? Quelle science a-t-il pour vouloir faire lajustice à lui tout seul, lorsque tant de savants n’arrivent passeulement à deviner où elle se trouve ? Est-ce qu’il laconnaît, la justice ? Qui veut conduire la voiture doit savoirmener un cheval… Ah ! pauvre France !

– Je lui ai dit tout ça, » fitSaulnier.

– Et qu’a-t-il répondu, legueux ?

– Qu’il savait où il allait : que çane regardait personne… Et puis, il y a encore quelque chose de plusinquiétant…

– Quoi ?

– Voilà. On lui a fait accroire à Toulon…des mauvais farceurs lui ont mis ça en tête… après l’avoir faitboire…

– Et quoi donc ? » fit Maurinavec impatience.

– Qu’on savait qui étaient son père et samère et que c’est des grands personnages.

– Et qui est-ce, d’après lui ?

– Son père, à ce qu’il dit, est un grandamiral qui serait devenu gouverneur aux colonies, et sa mère, quil’a eu quand elle était fille, a épousé, selon lui, au lieu de sonpère, un autre savant qui est devenu ministre par son mérite. Onlui a dit qu’elle vient habiter des fois à Saint-Raphaël et il jurequ’il ira lui parler.

– Je vois, dit Maurin, que c’est un fierimbécile et qu’il est temps que je me fasse connaître à lui. Sanscela, cette tête pas finie fera quelque escooufestre (scandale) ettroublera le ménage de quelque pauvre dame avec ses imaginationsqu’un diable lui souffle ! Je paraîtrai. Pour peu que jetarde, il se croira fils de pape !

– Tu aurais dû paraître plus tôt, »fit le vieux Saulnier.

– Eh ! je n’ai pas pu. C’est touteune histoire. J’ai cru bien faire en ne disant jamais rien, rapportà la mère… Mon secret n’est pas à moi… Merci, Saulnier. Tiens,voilà mon merci ».

Maurin payait de temps en temps de quelquegibier, poil ou plume, les services de son brave ami lecantonnier.

Il lui offrit, cette fois, deux lapereaux quel’autre pourrait vendre au conducteur de la diligence.

« À propos, dit Maurin en le quittant, jete ferai donner une gratification par le préfet. »

Il dit cela simplement, comme un sultan quiannonce à un pauvre qu’il lui enverra son vizir, porteur d’unebourse bien garnie.

Et l’autre ne s’étonna pas.

« Merci, Maurin, dit-il, tu es brave. Unpeu de protection, ça n’est jamais de refus. Tout va par protectionsur la terre. Le mérite, on s’en fiche !… »

Maurin s’en alla méditant, se demandant à queljour, à quelle heure, de quelle façon, en quels termes il feraitirruption dans la vie de l’enfant perdu, en train de devenir commeil disait : « Un mauvais homme. »

« Ah ! Dieu t’a abandonné, mongaillard ? Eh bien, attends un peu : je vais te lerendre. »

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