Belphégor

Chapitre 3LE « PETIT FOUINARD »

Dans le studio de Chantecoq, Colette,installée devant une machine à écrire, était en train de taper unelettre, lorsque Mme Gautrais entra précipitamment dansla pièce.

Tout de suite, Colette constata qu’elle avaitsa figure de catastrophe et, se levant, toute tremblante comme sielle s’attendait à une mauvaise nouvelle, elle demanda :

– Qu’y a-t-il, Marie-Jeanne ?… Monpère, M. Jacques…

– Chut ! chut ! mademoiselle,répliqua aussitôt la cuisinière.

Et d’un air à la fois inquiet et mystérieux,elle ajouta :

– Le petit fouinard est là.

– Le petit fouinard ?… répétaColette, toute troublée.

– L’inspecteur Ménardier.

– Que veut-il ?

– Parler à M. Chantecoq.

– Vous lui avez dit que mon père n’étaitpas là ?

– Oui, mademoiselle, mais il veut vousparler à vous.

– À moi ?

– Même je l’ai entendu dire aux deuxagents et bourgeois qui l’accompagnent qu’il ne s’en irait pasd’ici sans son « gibier ».

Colette offusquée, déclarait :

– Sans doute a-t-il appris que M. Jacquesse cachait ici, et vient-il l’arrêter ?

Alors, redevenant elle-même en face du danger,et faisant appel à tout son sang-froid, en même temps qu’à touteson énergie, Colette décidait :

– Faites-le entrer.

– Bien, mademoiselle.

Marie-Jeanne retourna dans l’antichambre, oùMénardier, fébrile, impatient, attendait avec ses deux agents…

D’un air hostile, elle lui fit signe d’entrerdans le studio… L’inspecteur y pénétra aussitôt et, son chapeau àla main, il s’avança vers Colette, qui, très calme, l’attendait depied ferme.

– Mademoiselle, fit-il en s’inclinantpoliment, votre cuisinière vient de me dire que M. Chantecoqn’était pas chez lui.

– C’est exact, monsieur, répliquait lajeune fille.

– Je le regrette, déclaraitMénardier.

Colette reprenait :

– Peut-être pourrai-je, monsieur, enl’absence de mon père, vous donner le renseignement que vousdésirez ?

– Mademoiselle, répliquait l’inspecteur,c’est assez délicat et, si vous n’y voyez pas d’inconvénient, jepréfère attendre le retour de M. Chantecoq.

Toujours avec la même assurance, Colettereprenait, en désignant un siège à son interlocuteur :

– Alors, monsieur, veuillez vousasseoir.

Ménardier s’installa sur une chaise.

– Vous permettez que je continue montravail ?… demandait Colette, peu désireuse d’entamer laconversation avec le policier qui, à ses yeux, était un messager demalheur.

– Je vous en prie, mademoiselle,acceptait l’inspecteur. Si toutefois je vous dérange, je peux trèsbien retourner dans l’antichambre.

– Pas du tout, monsieur…

Tout en tapant sur sa machine, Coletteobservait Ménardier qui, obstinément fixait son regard sur lafenêtre dont les rideaux étaient relevés.

De la place qu’elle occupait, elle ne pouvaitse rendre compte de ce qui se passait dans le jardin.

Mais bientôt, aux aboiements des chiens, à unbruit de pas sur le gravier et au sourire imperceptible qui sedessina sur les lèvres de Ménardier, la jeune fille comprit queJacques et son père venaient de rentrer. Et son cœur se mit àbattre très fort, à l’idée des graves événements qui risquaient dese dérouler.

Dominant son anxiété, elle continua à taper salettre, jusqu’au moment, où la porte s’ouvrit, laissant apparaîtreChantecoq.

À la vue de l’inspecteur, le roi desdétectives ne manifesta aucune surprise. En effet, Gautrais l’avaitprévenu de son arrivée… Et, très cordialement, il s’en fut à lui endisant :

– Tiens, Ménardier !… Qu’y a-t-ilpour votre service ?

Ménardier, qui s’était levé, répondait avecgravité :

– Monsieur Chantecoq, j’ai besoin de vousparler en particulier.

– Parfait !… ponctua le grandlimier.

Colette, abandonnant sa machine à écrire, s’enfut, sans dire un mot, retrouver Cantarelli, qui était resté dansle jardin.

Le détective referma la porte… Après avoirinvité Ménardier à s’asseoir, il s’installa à son bureau, et, duton le plus aimable, il fit :

– Parlez, je vous écoute.

– Mon cher confrère, attaqua Ménardier,j’ai appris que vous cachez ici le journaliste JacquesBellegarde.

Chantecoq ne parut nullement désarmé par cettebrusque affirmation, dans laquelle il avait le droit de voir commeune déclaration de guerre.

Très maître de lui, et même un peu goguenard,il répliquait :

– Tiens ! tiens ! qui vous adit cela ?

Ménardier accentuait d’un ton sec :

– Je le tiens de source certaine.

Le plus simplement du monde, le détectiveinvitait :

– Eh bien !… Cherchez, mon ami.

L’inspecteur reprenait :

– Vous savez toute l’admiration, tout lerespect que j’ai pour vous, monsieur Chantecoq…

– Permettez-moi mon cher, de vous faireobserver qu’en ce moment vous ne me le prouvez guère.

– J’accomplis un devoir que m’imposent àla fois ma conscience et ma fonction.

– Je vous le répète :cherchez !

– Ne rendez pas ma mission plus pénibleencore, en me contraignant à me livrer chez vous à une perquisitionen règle et que vous ne me pardonnerez jamais.

– Une dernière fois, je vous le dis entoute franchise, sans la moindre arrière-pensée : si vous êtesconvaincu que Jacques Bellegarde est caché dans ma maison,cherchez !

Et, tirant de sa poche un trousseau de clefs,il fit, en le lui présentant :

– Voici de quoi ouvrir toutes les portes…Vous voyez que j’y mets vraiment une grande bonne volonté.

L’inspecteur ripostait :

– Je le constate, monsieur Chantecoq, etje vous en suis très reconnaissant. Mais donnez-moi seulement votreparole d’honneur que Jacques Bellegarde ne se trouve pas sous votretoit… et je me retire immédiatement.

Chantecoq lança un regard vers la fenêtre quidonnait sur le jardin… Et, apercevant le commandeur Cantarelliassis sur un banc, près de Colette, avec laquelle il paraissaitdeviser paisiblement, il martela :

– Mon cher Ménardier, je vous donne maparole d’honneur que Jacques Bellegarde n’est pas sous montoit.

Et, satisfait de sa ruse, il ajoutamentalement :

« Parbleu ! puisqu’il est dans lejardin ! »

– En ce cas, reprenait l’agent de lapréfecture, je n’ai plus qu’à me retirer… en m’excusant dudérangement que je vous ai causé.

– Je vous accompagne, mon cher, déclaraitle roi des détectives, qui n’avait jamais montré plus de cordialitéet de bonne humeur.

Ils passèrent dans l’antichambre déserte, puissortirent dans le jardin.

Colette et le faux commandeur s’entretenaientavec Pierre Gautrais, qui avait dû attacher Pandore et Vidocq, etceux-ci manifestaient une hostilité de plus en plus menaçante àl’adresse des deux agents qui, maintenant, stationnaient devant laporte d’entrée.

Ménardier s’approcha des deux jeunes gens,salua Colette, et tendit la main à Cantarelli, qui, se levant, s’enfut pour la saisir, mais l’inspecteur, l’empoignant par le bras,s’écriait :

– Au nom de la loi, monsieur JacquesBellegarde, je vous arrête.

Colette eut un cri, dominé par la voix deChantecoq qui, furieux, proférait :

– M. Cantarelli est mon hôte et je vousinterdis de vous en prendre à lui…

Ménardier, tirant de sa poche une lettredécachetée, la présenta à Chantecoq en disant :

– Veuillez prendre connaissance…

Le grand limier lut à haute voix ces mots dontl’écriture ressemblait étrangement à celle qui avait tracé lesdifférents billets signés Belphégor.

Je vous préviens que le commandeurCantarelli, qui se trouve en ce moment chez le détective Chantecoq,n’est autre que Jacques Bellegarde.

Instinctivement, Colette s’était rapprochée deson fiancé, derrière lequel les deux agents s’étaient discrètementglissés. Alors le jeune reporter, incapable de se contenir pluslongtemps, s’écriait en arrachant ses postiches :

– Eh bien ! oui, c’est moi… Mais jesuis innocent !

Ménardier fit un signe à ses deux hommes, quiencadrèrent le reporter.

L’un d’eux se préparait à lui passer lesmenottes, mais Jacques protestait :

– Inutile de m’infliger un pareilaffront… Je suis trop sûr de moi pour chercher à m’évader.

– Très bien ! approuvaitChantecoq.

Et, s’adressant à Ménardier, ilscanda :

– Bien joué, mon cher collègue ;mais je crois pouvoir vous informer que vous venez de commettre laplus belle gaffe de toute votre carrière.

– Nous verrons bien ! se contenta derépliquer Ménardier qui ordonna, de la main, à ses agents d’emmenerle prisonnier.

– Jacques !… fit Colette tout enlarmes.

– À bientôt ! lui répliqua lereporter avec une magnifique assurance…

Et il s’en fut, précédé par Ménardier, radieuxde sa capture, et escorté par les deux agents qui ne le quittaientpas du regard.

Et Chantecoq, attirant dans ses bras sa fillequi sanglotait éperdument, lui dit dans un accent fait à la fois detoute sa tendresse paternelle et de sa pleine certitude en lavictoire finale :

– Ne pleure pas, ma chérie ; notreJacques ne restera pas longtemps en prison.

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