Belphégor

Chapitre 4OÙ CHANTECOQ FRAPPE UN GRAND COUP

À Auteuil, dans le grand salon de l’hôtel,Mme Mauroy, assise près d’une table, était plongée dansses douloureuses pensées.

Mlle Bergen, le visage non moinsaltéré, lisait distraitement un journal, lorsque Maurice deThouars, l’air agité, fit irruption dans la pièce…

Et, tout d’un trait, il lança :

– Je vous apporte une bonnenouvelle : Jacques Bellegarde vient d’être arrêté chez ledétective Chantecoq.

– Enfin ! s’écria MmeMauroy en relevant la tête.

– Quel soulagement ! s’écriaitMlle Bergen.

Et elle ajouta :

– Ah ça ! ce Chantecoq jouait doncun double jeu ?

– Il se pourrait fort bien, affirmait lecomte Maurice, qu’il fût lui-même compromis dans cette affaire.

Et, tout de suite, il ajouta :

– Je vais immédiatement me rendre aupalais de Justice ; là, je pourrai peut-être apprendre où cemisérable a emporté notre amie.

Mme Mauroy, à laquelle la nouvellede l’arrestation de l’assassin présumé de sa sœur semblait avoirrendu une partie de ses forces, s’écriait :

– Je vous accompagne !

– Ne craignez-vous pas, observaitMlle Bergen, que ces nouvelles émotions n’achèvent devous briser ?

– Non ! non ! martelaitnerveusement la jeune femme, je veux savoir !

Et, d’un pas saccadé, elle quitta la pièce,accompagnée par M. de Thouars.

Alors le valet de chambre, qui avait assisté àcette scène, s’avançait vers la demoiselle de compagnie et luidisait, la figure un peu rassérénée :

– Enfin, notre pauvre demoiselle va êtrevengée.

– Il y a tout de même une justice !conclut la Scandinave.

– Si on le guillotine, s’écriaitDominique, j’irai le voir exécuter…

Une heure après un élégant landaulet stoppaitdevant la grille du palais de Justice.

Mme Mauroy, en grand deuil, etMaurice de Thouars en descendaient et pénétraient dans la grandecour.

– Le mieux à faire, déclarait le comteMaurice, est de nous adresser au juge d’instruction chargé del’affaire.

Et, se dirigeant vers le garde municipal deplanton, il lui demanda :

– Le cabinet de M. le jugeDarély ?

Le garde donna à M. de Thouars toutes lesindications nécessaires, et, après avoir gravi un escalier, ilsarrivèrent à un couloir encombré d’avocats et de journalistes qui,ayant appris l’arrestation de Bellegarde, s’étaient empressésd’accourir aux nouvelles.

M. de Thouars griffonna quelques mots sur sacarte, qu’il remit au « cipal » qui montait la garde à laporte du juge.

– Veuillez remettre tout de suite ceci àM. Darély.

Le garde prit le bristol ; puis, tout enle conservant dans sa main, il fit d’un air important :

– En ce moment, M. le juge procède à uninterrogatoire et il m’a interdit de le déranger.

« Dès que l’accusé sera parti, jeremettrai votre mot à M. le juge. »

Et il ajouta la formulesacramentelle :

– Allez vous asseoir.

M. de Thouars comprit qu’il était inutiled’insister, et rejoignant Mme Mauroy, il lui fit prendreplace sur un banc, et s’assit auprès d’elle…

Autour d’eux régnait une vive effervescence…Les commentaires les plus animés s’échangeaient.

Un journaliste s’écriait :

– Je l’ai vu passer tout à l’heure, lesmenottes aux poings, entre deux gardes… Quand il m’a vu, il m’alancé : « Dis à tous nos amis que je suis victime d’uneerreur judiciaire… et que je ne tarderai pas à être remis enliberté. »

« Et je vous assure que, sans crâner, ilavait l’air bien tranquille et tout à fait sûr de lui.

« Pour moi, il aura voulu suivre de tropprès cette affaire, et il se sera laissé prendre dans quelquetraquenard.

Et le confrère de Jacques concluait, tout ensoupirant :

– Quel sale métier, mes enfants !Quel sale métier !

Laissant ses confrères troublés, indécis, lejournaliste s’approcha d’un groupe au milieu duquel péroraitMe Alban Troubarot, célèbre avocat d’assises.

Tout en agitant ses manches, la toque surl’oreille, le torse bombé sous sa robe, la tête légèrementrenversée en arrière, il proférait, de cette voix puissante quiavait si souvent retenti dans la salle des assises :

– Cette affaire s’annonce comme l’une desplus sensationnelles du siècle… D’après les renseignements que j’aiobtenus au parquet, la culpabilité de Bellegarde ne saurait faireaucun doute. Au cours d’une perquisition opérée à son domicile, ona trouvé des documents accablants pour lui. Et je ne serais pasautrement surpris si, tout à l’heure, nous apprenions qu’il estentré dans la voie des aveux…

Et comme s’il se désintéressait vraiment decette affaire, il fit, tout en désignant Mme Mauroy qui,toujours assise sur le banc, auprès de Maurice de Thouars, semblaitainsi que ce dernier, absolument insensible aux propos quis’échangeaient autour d’elle :

– Quelle est cette femme en deuil ?Elle n’est pas mal.

À peine avait-il prononcé ces mots, qu’uneporte s’ouvrait. C’était celle du cabinet du juge d’instructionDarély.

Un grand silence s’établit instantanément… Onallait donc savoir quelque chose…

En effet, Jacques Bellegarde, toujours trèscalme, en franchissait le seuil avec ses deux gardes.

À sa vue, Mme Mauroy s’étaitredressée en un élan spontané d’indignation et de colère, et, avantque M. de Thouars ait pu la retenir, elle s’élançait vers le fiancéde Colette et lui criait :

– Misérable ! Qu’avez-vous fait dema pauvre sœur ?…

– Madame, protestait Jacques, je ne suispour rien…

Mais il ne put achever… Les gardesl’entraînaient vers la sortie.

Mme Mauroy voulut s’élancer sur sestraces, mais elle chancela… Et M. de Thouars la reçut dans sesbras, puis il la fit se rasseoir sur le banc… au milieu del’émotion générale.

– C’est la sœur de Simone Desroches…glissa un stagiaire à l’oreille de Me Troubarot.

– Ah ! vraiment ? fitcelui-ci.

– Il paraît, complétait le jeune avocat,qu’elle accuse Bellegarde d’avoir empoisonné sa sœur et d’avoirfait disparaître son corps.

– Oh ! oh ! murmura le grandavocat, elle va certainement se constituer partie civile auprocès.

Et, s’avançant, vers la jeune femme, il retirasa toque en disant :

– Je suis Me Alban Troubarot…Voulez-vous que j’envoie chercher le docteur de service auPalais ?…

Mais il s’arrêta.

Mme Mauroy venait des’évanouir.

Le même soir vers vingt-trois heures, un avionatterrissait dans une vaste prairie d’où l’on apercevait, à unedistance assez rapprochée, les tours du château de Courteuilbaignées par la clarté de la lune.

Deux voyageurs en descendaient : un hommeen tenue d’aviateur, une femme en costume de voyage. Tous deuxportaient des casques de cuir, complétés par des masques quidissimulaient entièrement leur visage.

Un personnage qui, caché derrière une haie,avait assisté à leur atterrissage, s’avança vers eux.

C’était M. Lüchner, le secrétaire du baronPapillon.

Sans échanger le moindre signe d’intelligence,ni la plus légère marque de politesse, ils s’entretinrent pendantquelques minutes à voix basse.

Puis le bossu, leur désignant une sorte dehangar fermé qui s’élevait à une des extrémités de la prairie etavait dû servir autrefois d’étable nocturne aux bestiaux que,durant la saison d’été, on mettait « au vert »,fit :

– Nous allons cacher là notreappareil.

Et il ajouta :

– J’espère bien que demain soir tout seraterminé et que nous pourrons filer dans l’espace avec le trésor desValois transformé en lingots d’or.

L’homme et la femme approuvèrent de la tête,et toujours sans prononcer un mot, aidés de Lüchner, ils poussèrentl’avion jusqu’au hangar dont la porte d’entrée, à double battant,avait été préalablement ouverte… Lorsque l’opération fut terminée,tous trois sortirent, Lüchner boucla la porte à l’aide d’une trèsforte chaîne que garantissaient deux énormes cadenas de sûreté… Ettous trois se dirigèrent vers le château.

Mais au lieu d’y pénétrer par l’entréeprincipale, ils longèrent le mur de clôture jusqu’au moment où ilsse trouvèrent devant une petite porte que le bossu ouvrit à l’aided’une clef qu’il dissimulait dans l’une de ses poches.

Avec ses compagnons, il pénétra dans le parc,referma la porte… Et, après avoir longé une allée recouverte d’uneépaisse charmille, ils se perdirent dans la nuit… tandis que lalune se couvrait d’un lourd manteau de nuages et qu’au loin deschiens hurlaient lugubrement… à la mort…

Quelques instants après, par une fenêtrebasse, ils pénétraient à l’intérieur du château qu’aucune lumièren’illuminait et où tout le monde semblait dormir… Et le bossu,s’adressant à la femme masquée, murmurait :

– Maintenant, Belphégor doit êtresatisfait !

La femme masquée martela d’une voixgrave :

– Pressons-nous ! car Belphégor ahâte d’avoir des ailes.

À la même heure, devant l’hôtel de Simone, àla lueur d’un réverbère qui projetait sur l’asphalte du trottoir saclarté blafarde et crue, deux agents montaient la garde.

L’un d’eux disait à son compagnon, en luimontrant la maison dont aucune fenêtre n’était éclairée :

– Tout à l’air bien tranquille,là-dedans, et je ne sais vraiment pas pourquoi on nous a mislà.

– Sûr qu’on serait bien mieux dans sonlit… déclarait l’autre agent.

– Enfin, la consigne est la consigne.

– Et puis, faut pas s’en faire !

S’ils avaient pénétré dans le jardin del’hôtel, peut-être, malgré leur scepticisme, eussent-ils été moinsconvaincus de l’inutilité de leur présence…

En effet, caché derrière un bosquet, ilseussent aperçu, drapé dans son suaire noir et la tête recouverte deson étrange capuchon, le Fantôme du Louvre, Belphégor en personne,qui semblait attendre pour se livrer à de nouvelles et mystérieusesopérations, que s’éteignît une petite lumière qui brillait seule àtravers la porte vitrée du vestibule.

Bientôt cette porte s’entrouvrait etMlle Elsa Bergen apparut. Elle se retourna comme pours’assurer qu’elle n’avait pas été suivie, et promena son regard àtravers le jardin… Sans apercevoir le Fantôme, qui se confondaitavec la nuit, elle se dirigea vers l’atelier, se retourna encore,puis, ouvrant la porte avec précaution, elle se glissa àl’intérieur du hall où régnait une obscurité profonde.

Aussitôt, la demoiselle de compagnie manœuvraun commutateur… La lumière se fit… une lumière assez faible quediffusait un plafonnier central, mais suffisante cependant pourpermettre à la Scandinave d’aller et venir dans la vaste pièce.

Sans la moindre hésitation, Elsa Bergen sedirigea vers un bahut Renaissance… C’était celui qui avaitappartenu au baron Papillon.

Elsa Bergen appuya sur un ressort secretdissimulé derrière une charnière. L’un des battants s’écartalentement et elle allait introduire son bras à l’intérieur dumeuble, lorsqu’un bruit léger la fit se retourner.

Le Fantôme du Louvre était là, debout,immobile au-dessous du plafonnier…

Nimbé d’une sorte d’auréole mystérieuse, ilsemblait encore plus terrifiant.

Cependant, la demoiselle de compagnie n’eutqu’un très bref sursaut d’étonnement, mais elle ne manifesta aucunefrayeur ; et tandis que Belphégor s’avançait, elle fitsimplement :

– Comment !… c’est toi…Simone ?

Le Fantôme ne répondit pas… Mais, brusquement,il se débarrassa de son suaire, de son capuchon et de son masque,qui se tenait tout d’une pièce.

Elsa Bergen, cette fois, poussa un cri deterreur.

Chantecoq était devant elle.

Comme elle demeurait figée sur place, le grandlimier la saisit par le poignet et lui dit avec force :

– Parlons peu, mais parlonsbien !

Fermant les yeux, la Scandinave chancela…Chantecoq la retint et constata qu’elle n’était plus qu’une loqueentre ses bras…

– Évanouie !… grommela-t-il. Tantpis ! Quand elle reviendra à elle, il faudra bien qu’elle medise la vérité !

Et il s’en fut la transporter sur uncanapé.

Tandis qu’il s’efforçait de la ranimer, ElsaBergen tirait de son corsage un stylet à lame courte et, soit quele détective ne se fût pas aperçu de son geste, soit qu’il n’eûtpas le temps de le prévenir, elle lui portait, en pleine poitrine,un coup violent de son arme.

Chantecoq s’écroula à terre, foudroyé.

La meurtrière se releva, considéra d’un air detriomphe le limier qui gisait à ses pieds, puis s’élança vers laporte.

Mais au moment où elle allait l’atteindre,brusquement, elle s’ouvrit… et Gautrais, flanqué de Pandore et deVidocq, lui barra résolument la route.

La demoiselle de compagnie eut un hurlement debête traquée auquel succéda un bruyant éclat de rire.

C’était Chantecoq qui, dressé sur son séant,lui lançait :

– Ah çà ! vous me preniez donc pourun nigaud ?

D’un bond, il fut sur ses jambes, etrejoignant Elsa Bergen qui le contemplait d’un œil remplid’épouvante, il s’arrêta à deux ou trois pas d’elle ; et ledétective, écartant brusquement son gilet, lui montra une finecotte de mailles qui lui entourait entièrement le buste.

Puis il articula :

– Quand j’ai affaire à des bandits, je metiens toujours sur mes gardes !

Puis, braquant un revolver sous le nez de laScandinave, et lui arrachant le poignard qu’elle tenait toujours àla main, il martela sur un ton qui n’admettait pas deréplique :

– Maintenant, à table !

Dominée par le regard impérieux du détective,la demoiselle de compagnie s’assit sur un fauteuil… Et tandis queGautrais demeurait en faction devant la porte, avec ses deuxchiens, Chantecoq attaquait :

– Voulez-vous, mademoiselle, m’expliquertout d’abord pourquoi, lorsque vous avez vu apparaître le Fantômevous vous êtes écriée : « Comment ! Simone, c’esttoi ? »

– Je ne vous répondrai rien.

Le limier reprenait :

– Je suis donc en droit de conclure queMlle Desroches est vivante, et que c’est elle,Belphégor.

Elsa Bergen gardait toujours le silence.

Comprenant que, pour l’instant du moins, il netirerait rien d’elle, il commença par jeter un coup d’œil sur lesobjets qui l’environnaient… Et, apercevant le bahut Renaissance quise profilait dans l’ombre, après avoir indiqué du doigt, à PierreGautrais, la Scandinave qui, littéralement effondrée, leconsidérait avec angoisse, il s’en fut vers le meuble dont ilouvrit largement les deux battants…

– Ah ! ah ! très bien !…C’est donc cela !… s’écriait-il.

Chantecoq venait en effet d’apercevoir,suspendu à l’intérieur du meuble, un mannequin de cire quireproduisait, à s’y méprendre, les traits de Simone Desroches.

– Voilà du beau travail, fit-il… Jeserais curieux d’avoir l’adresse de l’artiste qui a exécuté cevéritable chef-d’œuvre.

Et s’adressant à Elsa Bergen dont le visageavait l’expression terrifiée d’un criminel qui se sent perdu et àla veille d’expier ses crimes, il fit :

– Je comprends tout. Grâce à cemannequin, Belphégor pouvait à la fois reposer dans son lit… etassassiner au Louvre… Être en même temps morte et vivante… Pas malimaginé pour une femme poète !…

Et tout à la joie de son extraordinairedécouverte, le roi des détectives disait :

– Mon flair ne m’avait pas trompé.C’était bien ici que se trouvait la clef du mystère.

Puis, désignant le mannequin à Elsa Bergen, ilfit :

– Maintenant que j’ai trouvé la copie, ilva falloir me dire ce qu’est devenu l’original.

Mais la demoiselle de compagnie s’obstinaitdans son mutisme.

Chantecoq reprenait l’air menaçant :

– Puisque vous ne voulez pas parler, jesais ce qui me reste à faire.

Et avec autorité, il ajouta :

– Allons, debout… et suivez-moi !…Et au moindre cri de votre part, gare ! Ce n’est pas à moi,mais à ces deux chiens que vous aurez affaire. Et je vous conseillede ne pas vous y frotter…

Jugeant toute résistance inutile, Elsa Bergense leva… Et toujours sans proférer un mot, elle sortit de l’atelieravec Chantecoq, qui la tenait par le bras. Gautrais le suivit avecses deux danois.

Ils atteignirent ainsi la petite porte quidonnait sur le chemin des Lilas, et par laquelle nous avons vuChantecoq pénétrer dans le jardin.

Une auto les attendait… Le détective y fitmonter sa prisonnière…

– Maintenant, ordonnait-il à Gautrais,tâchez de trouver un taxi et rentrez à la maison.

– Où m’emmenez-vous ? se décidait àdemander la demoiselle de compagnie au détective.

Celui-ci répondait avec un souriregouailleur :

– Vers une retraite qui va vous assurerle pain pour vos vieux jours.

Pendant que Chantecoq accomplissait cevéritable coup de maître, une scène plutôt étrange se déroulait àson domicile particulier.

Colette, qui avait décidé de ne pas se couchertant que son père ne serait pas rentré, l’attendait dans le studioen lisant distraitement un ouvrage qu’elle avait viteabandonné.

En effet, elle n’ignorait pas que le granddétective était en train de jouer une partie décisive et elle enattendait le résultat avec d’autant plus d’impatience qu’il nepouvait manquer de provoquer la mise en liberté de JacquesBellegarde, lorsque la sonnette de la grille retentit d’une façonprécipitée.

– Ce n’est pas mon père… fit-elle, il asa clef. Et il ne sonnerait pas ainsi.

Intriguée, elle gagna la fenêtre et aperçutMarie-Jeanne qui, au coup de sonnette, s’était précipitée dans lejardin et se dirigeait vers la grille d’entrée.

Elle la vit parlementer un instant avec unindividu qui se trouvait sur le trottoir, puis revenir vers lamaison…

À travers la fenêtre qu’elle avait ouverte,Colette lui lançait :

– Qu’y a-t-il, Marie-Jeanne ?

– C’est un chauffeur qui vous apporte unmot de la part de M. Chantecoq.

– Il vous l’a donné ?

– Non, mademoiselle, car il m’a dit queM. Chantecoq lui avait recommandé de ne le remettre qu’àvous-même.

« Seulement, comme M. Chantecoq nous adéfendu de laisser pénétrer personne dans la maison, je n’ai pascru devoir le laisser entrer.

« Qui sait, en effet, si ce n’est pasencore un tour de Belphégor ?

Colette demeura un instant pensive… Puis ellereprit :

– Marie-Jeanne, vous connaissezl’écriture de mon père ?

– Oh ! oui… mademoiselle, très bien…Et je puis même déclarer que je la reconnaîtrais entre mille.

Baissant la voix, et se penchant vers lacuisinière qui s’était approchée, Colette fit :

– Vous allez demander à ce chauffeur devous montrer simplement l’enveloppe… Et si c’est bien cela, vous leferez entrer… car il se peut que mon père ait besoin de moi ouqu’il lui soit arrivé un accident.

– Vous avez raison, mademoiselle… Decette façon-là, nous serons fixées.

Marie-Jeanne rejoignit le chauffeur quiattendait devant la grille… Et, d’un ton résolu, car c’était unecommère qui, dans les grandes circonstances ou dans les caspérilleux n’avait pas froid aux yeux, elle lui dit :

– Je suppose que vous ne me racontez pasdes blagues… Seulement, par le temps qui court, on est obligé deprendre des précautions.

– Je ne vous dis pas le contraire, mabonne dame… Et je trouve même cela tout naturel.

– Est-ce que vous ne pourriez pas memontrer simplement l’adresse de cette lettre ?

– Certainement.

Et sans lâcher la lettre, il la passa àtravers les barreaux.

– Je n’y vois pas clair, fitMarie-Jeanne.

Complaisamment, le chauffeur craqua uneallumette, qu’il approcha de l’enveloppe en disant :

– Vous voulez voir si c’est bienl’écriture de M. Chantecoq ?

– Vous avez deviné juste répliquait lacommère en écarquillant les yeux.

Et, presque aussitôt, elle ajouta :

– C’est cela.

Elle ouvrit la porte d’entrée au chauffeur endisant :

– Suivez-moi.

Et elle le conduisit jusque dans le studio, oùColette attendait.

– C’est bien vous MlleChantecoq ? fit le chauffeur, qui n’était autre que l’homme àla salopette.

– Oui, c’est moi, répliqua la jeunefille, tout en considérant son interlocuteur avec une instinctiveméfiance.

Le complice de Belphégor n’avait pas, eneffet, malgré le soin qu’il avait mis à composer son personnage, surendre sympathique sa physionomie si naturellement peurassurante.

Colette, cependant, s’empara de la missivequ’il lui tendait…

Elle regarda l’adresse… Marie-Jeanne nes’était pas trompée : c’était bien l’écriture du granddétective.

Elle décacheta l’enveloppe, déplia le papierqu’elle contenait et lut tout haut ces mots tracés d’une mainvisiblement hésitante :

Ma chère enfant,

Je viens d’avoir un accident d’auto assezgrave… Viens me retrouver.

Chantecoq.

Marie-Jeanne, affolée, se rapprocha deColette, qui était vivement émue.

– Où se trouve mon père ?

– À l’hôpital de Mantes… où il a ététransporté.

– Alors, il est grièvementblessé ?

– Une jambe cassée.

– Mon Dieu…

L’homme à la salopette poursuivit, prévoyantles questions que la jeune fille allait lui poser :

– Comme la poste était fermée, il a faitdemander une voiture au patron du garage où je travaille afin quevous soyez prévenue plus tôt… L’auto est là, et je puis vousconduire tout de suite à Mantes.

Colette regarda l’homme bien en face… Unsoupçon venait de traverser son esprit… Se rappelant, en effet, queson père était parti avec Gautrais, elle se demandait pourquoi,dans son billet, si laconique, Chantecoq ne faisait aucune allusionà lui… Il y avait là, évidemment, un mystère qu’il s’agissaitd’éclaircir… Et sans lâcher le regard du pseudo-chauffeur, ellearticula :

– Mon père n’était pas seul… Son valet dechambre l’accompagnait. Qu’est devenu celui-ci ?

L’homme à la salopette eut un imperceptiblebattement de paupières qui n’échappa pas à l’œil exercé de la filledu détective.

Puis il répliqua d’une voix un peumolle :

– Ça, je ne sais pas, mademoiselle… Je nepourrais pas vous dire… Je fais la commission dont on m’a chargé…C’est tout ce que je puis vous dire.

Brusquement, Colette s’écriait :

– Vous mentez !

L’homme à la salopette, qui ne semblaitnullement s’attendre à une pareille réplique voulut protester.

Mais la fille du détective, avec la bravourequi la caractérisait, répétait avec force :

– Vous mentez ! Vous mentez. Cen’est pas mon père qui a écrit ce billet.

Et, saisissant l’appareil téléphonique qui setrouvait à portée de sa main, elle voulut le décrocher.

Elle n’en eut pas le temps.

L’homme à la salopette, tirant un revolver desa poche, le braquait vers elle…

Et tandis que Marie-Jeanne demeuraitpétrifiée, il lançait d’une voix canaille et menaçante :

– Haut les mains toutes les deux ou jefais aboyer mon rigolo !

Marie-Jeanne obéit, et Colette admirable decourage, fit, en se croisant les bras sur la poitrine :

– Que voulez-vous de moi ?

– Je vais vous le dire… fit l’homme à lasalopette, tout en continuant à menacer de son arme la fille deChantecoq.

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