Belphégor

Chapitre 8L’EXPIATION

Pendant que ces événements se déroulaient àl’intérieur du château, la limousine des Papillon s’arrêtait dansla cour.

Le portier se précipitait vers eux, et avantque ses maîtres eussent mis pied à terre, il s’écriait,affolé :

– Monsieur le baron, madame la baronne,il se passe ici des choses extraordinaires !…

– Quoi donc ? interrogea lecollectionneur, en descendant de voiture.

Le concierge expliquait :

– La nuit dernière, M. Lüchner a amené auchâteau deux personnes, un homme et une femme, que je ne connaispas… Je me demande même par où il les a fait entrer… car je puisjurer à Monsieur le baron qu’ils n’ont pas franchi la grille, quej’avais fermée moi-même à double tour.

« Ce matin, seulement, de très bonneheure, M. Lüchner m’a fait appeler et m’a dit :

« Hier soir, très tard, je suis arrivéavec un ingénieur qui est venu pour s’occuper du mécanisme desoubliettes, qui ne veut toujours pas fonctionner… Je n’ai pas vouluvous réveiller et je l’ai fait entrer, avec sa femme quil’accompagne, par la petite porte de Diane… Sa sœur doit venir lerejoindre ce matin… car ces dames désirent visiter lechâteau. »

– Cette histoire me semble louche !…soulignait Eudoxie, qui avait rejoint son mari.

– Tu t’inquiètes toujours à tort !morigénait Papillon. Lüchner est mon homme de confiance et il estincapable d’une imprudence et encore moins d’une indélicatesse.

– Je n’ai pas fini, monsieur le baron,reprenait le portier.

– Eh bien ! parlez.

– Il y a environ une demi-heure, la sœurde l’ingénieur est arrivée en auto… Elle avait l’air bizarre, etj’ai remarqué qu’elle n’avait pas de chapeau sur la tête… Mais cen’est pas tout… L’ingénieur qui l’attendait depuis un moment –oh ! un monsieur très bien, très distingué – s’est approchéd’elle, l’a saluée avec respect et lui a dit :

« Veuillez me suivre, mademoiselle, jevais vous conduire auprès de M. votre père. »

– En effet, opinait l’amateur debibelots, cela me paraît étrange.

– Ce n’est pas encore tout, appuyait leconcierge… Un quart d’heure après, une nouvelle auto… découverte,celle-là, arrivait dans la cour… Elle contenait six hommes et deuxchiens, deux danois qui n’avaient pas l’air commode.

« Un des hommes m’a dit : « Jesuis le commissaire de police et je viensperquisitionner. »

– Perquisitionner !… s’exclamait lebaron.

– Tu vas voir, s’écriait sa femme, qu’ilsvont te prendre pour Belphégor !

– Alors, poursuivit le portier, ils sontentrés dans la maison.

– Avec les chiens ?

– Avec les chiens.

– Mais ils vont tout saccager !

– Non, jusqu’ici, il n’y a pas de casse.J’oubliais, en effet, de dire à Monsieur le baron et à Madame labaronne que le commissaire m’a demandé de les guider jusqu’àl’entrée des oubliettes… C’est ce que j’ai fait. Je leur ai ouvertla porte qui conduit aux anciennes prisons. Alors, ils se sont tousengouffrés là-dedans…

– Les chiens aussi ?

– Les chiens aussi… Et sûr qu’il doit secuire là-dedans un drôle de fricot… Car à l’instant même où lavoiture de Monsieur le baron et de Madame la baronne pénétrait dansla cour, j’ai aperçu, là-haut, sur la tour de Diane de Poitiers,une femme que les deux chiens voulaient boulotter et qui criait« au vinaigre » !

– Hippolyte ! s’exclamaitMme Papillon… allons-nous-en !

– Jamais de la vie ! protestait lecollectionneur…

– Mon instinct me le dit… Ce sont desmalfaiteurs qui ont voulu nous cambrioler.

– Mais puisque la police estlà !

– La police !… s’exclamaMme Papillon… Depuis Belphégor, j’en ai presque aussipeur que de ceux qu’elle est chargée d’arrêter !

Tout à coup, le commissaire surgit dansl’encadrement de l’une des baies du premier étage… Et d’une voixsonore, il lança au portier :

– Téléphonez à Mantes pour qu’on nousamène un fourgon fermé… Nous tenons toute la bande.

– Alors, je monte ! décida Eudoxie,en retrouvant subitement tout son courage.

Le couple gravit l’escalier d’honneur.

Des rumeurs s’échappaient du grand salon… Ilsy pénétrèrent, et à peine en avaient-ils franchi le seuil qu’ilss’arrêtaient, stupéfaits.

Tandis que les quatre agents de la brigademobile entouraient Maurice de Thouars et le bossu, Chantecoq etGautrais tenaient en respect Simone Desroches ; celle-ci, àmoitié affalée sur une chaise, regardait avec une expression dehaine indicible Colette qui, cependant, avait eu le tact des’effacer dans un coin obscur du vaste salon.

Le grand détective s’avança vers lecollectionneur et sa femme.

– Madame, fit-il en s’inclinant devantMme Papillon, je vous avais promis de vous délivrer deBelphégor.

Et étendant le bras vers Simone, ilajouta :

– Le voici !…

Hippolyte, croyant rêver, écarquilla les yeux…Il renonçait d’ailleurs à comprendre.

Quant à Eudoxie, elle se figura d’abordqu’elle était l’objet d’une mystification… Dressée sur ses ergots,elle s’apprêtait à injurier copieusement ce policier qui sepermettait de se moquer d’elle à ce point, lorsque Simone s’écria,sur un ton de cynisme effrayant :

– Eh bien ! oui, c’est moi ! Etaprès ?

C’en était trop pour la « pauvre chèrefolle ».

Après avoir poussé un cri d’horreur, elles’évanouit dans les bras de son mari, qui s’empressa de l’emporterdans une pièce voisine.

Simone, qui venait de livrer à Chantecoq toutson secret, reprit d’une voix mordante :

– Vous devez être content, puisque vousêtes le plus fort !

Avec une expression de réelle tristesse, leroi des détectives demandait :

– Comment avez-vous pu devenir une aussigrande criminelle ?

La coupable tressaillit et ferma les yeux,comme si elle voulait échapper aux visions que ces quelques motslui inspiraient.

Puis, tout en frémissant, elle articula avecpeine :

– Les drogues, et puis… la peur de lamisère.

Tous, en silence, contemplaient Simone quisemblait se ressaisir. Elle ouvrit ses yeux qui brillaient d’unsingulier éclat… Et portant, d’un geste rapide, furtif, sa main àson corsage, elle en tira un petit objet qu’elle porta à seslèvres…

Chantecoq voulut s’élancer… il était troptard.

Foudroyée, Mlle Desroches tombaitla tête en avant sur le parquet…

Le détective et le commissaire se penchèrentvers elle… Chantecoq ouvrit une de ses mains qui se crispait en unspasme suprême… Elle serrait une ampoule de verre vide et à demiécrasée…

– Poison foudroyant… Elle s’est faitjustice.

Maurice de Thouars eut un violent sursaut dedouleur…

Le bossu courba la tête… et tous sedécouvrirent… non devant la morte, mais devant la mort.

Quelques instants après, dans la salle de T.S. F. du Petit Parisien, un sans-filiste, l’oreille colléeà un récepteur, écoutait une communication que, par un tubeacoustique, il transmettait à un rédacteur. Celui-ci, assis à latable et entouré de plusieurs de ses collègues, la prenait ensténographie, tout en répétant à voix haute :

Chantecoq, le roi des détectives, vientd’arrêter, dans un château des environs de Mantes, le Fantôme duLouvre, qui n’est autre qu’une femme.

Tout à coup une voix vibrait :

– Vous voyez bien que ce n’était pasmoi !

C’était Jacques Bellegarde qui venait d’êtreremis en liberté et s’empressait de regagner son journal.

Tous ses camarades se précipitèrent vers lui,le félicitant, lui serrant les mains.

L’un d’eux s’écria :

– Quel beau papier tu vas nousdonner !

– J’ai vécu, en effet, un romanextraordinaire, déclarait le reporter.

– Sans doute, reprenait l’un dessecrétaires de la rédaction, comme tout roman qui se respecte, ilse termine par un mariage ?

– Peut-être ! fit Jacques, avec uncharmant sourire.

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