Belphégor

Chapitre 7OÙ SIMONE DESROCHES CROIT TRIOMPHER… MAIS…

Tandis qu’à petite allure la limousine desPapillon roulait vers Courteuil, le bossu et Maurice de Thouars,toujours dans son costume d’aviateur, se préparaient, dansl’ancienne prison du château muée en laboratoire, à transformer enlingots d’or le trésor des Valois.

Après avoir ouvert le coffre, tandis que lecomte Maurice rangeait sur la table les piles d’écus d’or frappés àl’effigie du roi Henri III, Lüchner, à l’aide d’une pince debijoutier, commençait à dessertir les diamants et pierresprécieuses qui enrichissaient le diadème de Catherine deMédicis.

Maurice de Thouars lui demandait :

– À combien évaluez-vous le montant dutrésor ?

Sans hésiter, le secrétaire de Papillonrépliquait :

– À cinquante millions environ… En effet,s’il représente une quantité d’or relativement peu considérable, ilrenferme des pierres précieuses, et notamment plusieurs diamants,moins gros peut-être, mais beaucoup plus purs que le fameuxRégent.

– Dites-moi… ne sera-t-il pas trèsdifficile de les écouler ?

– Détrompez-vous, affirmait le bossu.Toutes les précautions ont été prises, et je me suis déjà entenduavec un diamantaire d’Amsterdam qui se charge de tout réaliser ensix semaines.

Tout en continuant son délicat travail,Lüchner ajouta :

– Mlle Desroches vous a-t-elleparlé des conditions dans lesquelles nous devons partager letrésor ?

– Non… C’est une question que je n’ai pasvoulu aborder avec elle.

– Eh bien ! voici… Elle touchecinquante pour cent… Mlle Bergen vingt ; moi vingt…et Jack Teddy…

– Jack Teddy ?

– Oui, l’homme à la salopette… dix pourcent…

– Cela me semble très bien ainsi.

– En effet… déclarait le bossu.

Et, avec un sourire teinté d’ironie, ilfit :

– Ce qui m’étonne, je ne vous le cachepas, c’est de ne pas vous voir figurer dans la répartition.

« Voulez-vous que j’en touche deux mots àMlle Desroches ?

– C’est inutile, puisque je vaisl’épouser.

– Toutes mes félicitations !s’écriait le secrétaire du baron Papillon… Vous n’êtes pas àplaindre… C’est vous qui êtes le plus favorisé et je vous souhaitebien du bonheur à tous les deux.

– Je vous sais gré de vos vœux… mon cherLüchner… fit tout à coup une voix qui résonna sous la voûte de laprison.

C’était Simone Desroches qui, dans un élégantdéshabillé du matin, que la veille elle avait apporté en avion avecquelques menus bagages, faisait son apparition dans la prison.

Jamais, peut-être, elle n’avait été aussibelle… On eût dit l’archange du mal.

S’approchant du bossu, qui continuait sabesogne, elle scanda :

– Je vois que vous êtes très avancé.

Et, s’emparant d’un des diamants que Lüchnervenait de dessertir, elle l’éleva entre ses doigts et le plaça biendans la lumière que semait autour d’elle une puissante lampeélectrique.

– Quelle merveille ! admira-t-elle…Quels feux ! Je n’ai jamais vu un diamant aussi splendide.

– Il y en a de plus beaux encore…scandait M. de Thouars… Et ces rubis, ces topazes, cesémeraudes ?

Simone plongea les mains dans ce véritable tasde pierreries, que le comte Maurice avait amoncelées auprès despiles d’écus… et les fit ruisseler en une féerique cascade.

– Quel dommage ! fit-elle, que je nepuisse pas en garder quelques-unes.

Mais ses instincts de bête de proiel’emportèrent aussitôt sur ses désirs de femme coquette. D’un tonâpre, elle martela :

– Mieux vaut tout liquider… C’est plusprudent, plus sûr et plus profitable.

Et, jetant un coup d’œil circulaire sur letrésor dispersé et étalé sur l’établi, elle fit :

– Lüchner, j’estime que votre estimationn’est pas suffisante.

– Je commence à le croire aussi, appuyale bossu.

Et il grommela entre ses dents :

– Pourvu que ce maudit Chantecoq…

– Chantecoq ! s’exclama Simone…

Puis elle reprit d’une voix non plusharmonieuse, mais sèche, implacable :

– Je vous avais annoncé, hier soir, queBelphégor n’avait pas dit son dernier mot.

– Je me rappelle, en effet… ponctuaMaurice de Thouars.

– Eh bien ! Jack Teddy vient de metéléphoner du bureau de poste de Mantes qu’il avait réussi àenlever la fille du détective et qu’il serait ici avec elle dansune demi-heure.

– Ça, c’est le bouquet ! déclaraitLüchner avec une visible satisfaction.

Simone poursuivit :

– En admettant que Chantecoq découvrenotre piste, quand il saura que sa fille est entre nos mains – etil ne tardera pas à l’apprendre – il se gardera bien de nousattaquer et j’aurai le temps de filer en avion avec nos lingots,nos diamants, nos pierreries, et, si besoin est, avec lademoiselle !

– C’est tout simplement prodigieux,s’enthousiasmait M. de Thouars.

Le bossu, qui avait fini de dessertir lediadème, et avait soigneusement enveloppé les diamants dans dupapier de soie, s’en fut vers les piles d’écus, qu’il déposa sur leplateau en y joignant le diadème et plusieurs autres bijoux d’undessin magnifique.

Puis, se dirigeant vers le fourneau à hautetension, il l’ouvrit et y introduisit le plateau… Après avoirrefermé le four, il fit manœuvrer une petite roue de cuivre…Aussitôt, les aiguilles d’un manomètre se mirent à frétiller.

Simone, qui avait suivi l’opération avec unvisible intérêt, se tourna vers M. de Thouars et lui dit :

– Jack Teddy va bientôt arriver… Allez leguetter !

Le comte Maurice s’éloigna.

Alors, Mlle Desroches, s’approchantdu bossu, qui surveillait son tableau, lui dit :

– Combien de temps pensez-vous que celava durer ?

– Trois heures… répondit le secrétaire dePapillon… Il faut au moins deux heures pour que le métal commence àentrer en fusion.

– Alors, ironisa Belphégor, j’ai le tempsde griller quelques cigarettes.

Sur la route de Mantes à Dreux, une puissanteauto fermée filait à une vitesse de cent à l’heure…

L’homme à la salopette, revêtu de son costumede chauffeur, sous lequel nous l’avons vu pénétrer chez Chantecoq,et auquel il avait ajouté une paire de lunettes noires, se tenaitau volant.

Après avoir dépassé plusieurs voitures, etnotamment la limousine du baron et de la baronne Papillon, qu’iln’avait pas eu le temps de reconnaître, il arrivait bientôt en vuedu château de Courteuil.

À l’intérieur de la voiture, Colette, sanschapeau, un manteau jeté sur ses épaules semblait plongée dans unprofond sommeil…

Sans doute le complice de Belphégor luiavait-il fait absorber un narcotique grâce auquel il allait pouvoirl’emporter sans encombre jusqu’à l’endroit où Simone Desroches luiavait donné l’ordre de la rejoindre…

En effet, lorsque, après avoir franchi lagrille du château, l’auto s’engagea dans la cour d’honneur, lajeune fille demeura immobile dans le fond de la voiture, comme sielle avait été anéantie par son lourd et invincible sommeil.

L’homme à la salopette sauta à terre et, aprèsavoir fait signe à M. de Thouars qui s’avançait vers lui de ne pasbouger et de garder le silence, il s’en fut vers la portière,l’ouvrit, et, prenant dans sa poche un flacon qu’il déboucha, il lefit respirer à la jeune fille.

Presque aussitôt, Colette entrouvrit lespaupières… Sa poitrine se dilata comme si elle avait hâte derespirer à pleins poumons l’air pur et frais du matin.

Et, s’appuyant sur la main que lui tendaitJack Teddy, elle mit pied à terre… Elle semblait harassée d’émotionet de fatigue.

L’homme à la salopette invita cette fois M. deThouars à le rejoindre… Et le comte Maurice, s’inclinant avecdéférence devant l’otage de Belphégor, lui dit :

– Veuillez me suivre, mademoiselle, jevais vous conduire auprès de M. votre père.

Fort galamment, il offrit son bras à Colette,qui s’y appuya… tout en murmurant :

– N’est-ce pas plus grave que l’on a bienvoulu me le dire ?

– Non, mademoiselle, et je puis même vousassurer que la vie de M. votre père n’est nullement en danger.

Ces paroles parurent réconforter la jeunefille. Sous le regard du portier, qui était accouru et auquelLüchner avait dû, pour expliquer la présence au château de ceshôtes inconnus, raconter une de ces fables ingénieuses dont ilavait le secret, Maurice de Thouars et Colette pénétrèrent dans lechâteau, suivis par l’homme à la salopette.

Après avoir gravi l’escalier d’honneur, ilspénétrèrent tous trois dans le grand salon où se trouvait la portequi donnait dans l’escalier dit des oubliettes.

Maurice de Thouars l’ouvrit et invita Coletteà en franchir le seuil.

À la vue du couloir, de ces marches étroites,elle eut un instinctif mouvement de recul.

– Où m’emmenez-vous ?demanda-t-elle.

– Je vous l’ai déjà dit, mademoiselle…Près de votre père.

– Où se trouve-il donc ?

– Dans une aile du château auquell’escalier donne seul accès.

Le bellâtre ajouta :

– Les architectes des temps passésavaient parfois de ces caprices…

Colette n’insista pas.

D’ailleurs, Jack Teddy avait déjà refermé laporte et barrait la route à la fille du détective, au cas oùcelle-ci eût voulu esquisser un mouvement de retraite.

– Je vous suis, monsieur, décida lafiancée de Jacques.

Et, descendant les degrés, ils arrivèrentjusqu’aux anciennes prisons.

En apercevant à travers les grilles SimoneDesroches et le bossu qui, debout devant le tableau d’électricité,les yeux fixés sur le manomètre, guettaient les oscillations del’aiguille, Colette s’arrêta, tout en manifestant une violentesurprise.

Maurice de Thouars, la prenant par la main luidit :

– Entrez donc, mademoiselle, je vous enprie.

Simone se retourna. À la vue de sa rivale quivenait de pénétrer dans la salle, elle eut un éclat de riretriomphant.

De nouveau, la fiancée de Jacques esquissa unmouvement de retraite. Mais elle se heurta à l’homme à la salopettequi s’encadrait dans la porte.

D’une voix railleuse, Simonelançait :

– Vous venez chercher votrepère ?

– Oui, mademoiselle.

– Il n’est pas ici.

Et, sur un ton de menace implacable,Mlle Desroches poursuivit :

– Et si jamais il y vient…

Elle s’arrêta.

– Le voici ! s’écriait Jack Teddy,en enlevant sa casquette, ses lunettes et sa fausse moustache.

– Chantecoq ! s’écria Simone.

Déjà, le détective braquait sur elle unrevolver…

Tandis que Maurice de Thouars et le bossu,sidérés par tant d’audace, restaient figés sur place le granddétective reprenait :

– Cette fois, Belphégor… je tetiens !

Maurice de Thouars crispa rageusement lespoings. Et tandis que, sournoisement, le bossu se rapprochait de latable, le grand limier disait à Simone :

– Vous avez voulu faire enlever ma fillepar un de vos complices, mais je suis arrivé à temps pour l’enempêcher. Et ce gredin, ainsi que la demoiselle de compagnie ElsaBergen, je les ai remis moi-même entre les mains de la justice… Et,maintenant, réglons nos comptes.

Livide, effarée, le dos appuyé sur lamuraille, Simone fixait Chantecoq avec une étrange fixité.

Doucement, le bossu avança la main pour saisirune paire de fortes tenailles qui traînaient sur l’établi… Et labrandissant brusquement, il allait la projeter à toute volée à latête du policier…

Mais celui-ci, qui avait l’œil à tout, ne luien donna pas le temps… Un coup de feu retentit… Le bossu laissaéchapper son arme improvisée… La balle du détective venait de luitraverser le bras.

M. de Thouars voulut s’élancer entre Chantecoqet Simone…

Mais Chantecoq le saisit au collet endisant :

– Assez de casse comme ça ! Ne meprivez pas du plaisir de vous livrer intacts à mon ami Ferval.

Il n’avait pas prononcé ces mots, queGautrais, accompagné de Pandore et de Vidocq, faisait irruptiondans la pièce.

Un commissaire de police et quatre agents dela brigade mobile les accompagnaient.

– Monsieur le commissaire, fit Chantecoqen lui désignant Simone et ses deux acolytes, voici Belphégor etses complices… Je les remets entre vos mains.

Deux agents se jetèrent sur le bossu et M. deThouars, qui n’opposèrent aucune résistance.

Le commissaire s’approcha de Simone… et ilallait s’emparer d’elle, lorsque la muraille contre laquelle elles’appuyait s’entrouvrit, démasquant un passage secret, dont laveille, en cas d’alerte, le secrétaire du baron Papillon lui avaitrévélé l’existence.

Et tout en disparaissant par l’ouverture, elles’écria :

– Tu ne me tiens pas encore !…

Le roi des détectives se précipita, mais il seheurta à la muraille qui s’était refermée.

Chantecoq, tout en menaçant le bossu de sonarme, lui dit :

– Livre-moi tout de suite le secret decette porte ou je te brûle la cervelle.

Lüchner n’hésita pas…

S’approchant de la muraille, il appuya sur unressort dissimulé entre deux pierres… La muraille se déplaçaaussitôt…

– Lâchez les chiens ! ordonna lepère de Colette à Gautrais, qui détacha les deux danois qu’iltenait en laisse.

Aussitôt, Pandore et Vidocq s’élancèrent àtravers la baie et gravirent de toute la vitesse de leurs quatrepattes l’escalier dérobé par lequel s’était enfui Belphégor, et quiaboutissait à la plate-forme de l’une des tours du château.

Ils y arrivèrent au moment où Simone allait selaisser glisser sur un toit voisin d’où, par une de ses fenêtres àtabatière, il lui eût été possible de gagner, par les combles, unecachette que le prévoyant bossu, en cas d’alerte, s’étaitaménagée.

Mais Pandore et Vidocq ne lui en laissèrentpas le loisir… Se jetant sur elle, ils l’empoignèrent chacun par unbras… et comme elle cherchait à se dégager, elle sentit les crocsdes deux chiens s’enfoncer dans sa chair.

Alors, se sentant perdue, et comprenantqu’elle n’avait plus qu’à se rendre ou à mourir, malgré la douleurque lui causait la double morsure qui s’accentuait à chacun de sesmouvements, elle chercha à gagner le créneau afin de se précipiterdans le vide…

Pandore et Vidocq resserrèrent l’étreinte deleurs mâchoires et elle eut l’impression de lire la mort dans leursyeux.

Un cri de rage impuissante lui échappa et elles’abattit sur les dalles…

Une haleine chaude passa sur son visage… Unegueule béante s’approcha de sa gorge… C’était Pandore quis’apprêtait à l’étrangler.

Mais un coup de sifflet retentit… Les deuxbêtes lâchèrent aussitôt leur proie pour retourner docilement versGautrais qui venait de surgir, avec Chantecoq, sur laplate-forme.

Et le détective, empoignant dans ses bras lajeune femme à moitié évanouie, s’écria :

– Maintenant, Belphégor, je te tiens toutà fait !

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