Belphégor

Chapitre 6UNE FLAMME QUI MEURT

Dans le grand salon de la maison d’Auteuil,Elsa Bergen et Maurice de Thouars, l’air grave, préoccupé,échangeaient quelques vagues propos, lorsqu’un valet de chambreannonça :

– Le baron et la baronnePapillon !

La baronne ne donna pas le temps à Elsa Bergende s’avancer vers elle… Elle se précipita dans le salon, clamant,avec des larmes dans la voix :

– Alors, notre chère Simone ne vapas ?…

Le baron Papillon s’approchait à son tour, et,avec le regard vide de ceux qui sont pleins d’eux-mêmes et le tondéclamatoire de ces gens superficiels qui s’efforcent de masquerleur insensibilité de profonds égoïstes, il demanda :

– Au moins, notre pauvre amie n’est pasen danger ?

Mlle Bergen répliquait avectristesse :

– Nous n’avons plus beaucoupd’espoir.

– Que dit le médecin ?

– Simone n’a pas voulu lerecevoir !

– Il fallait la forcer !

– C’eût été hâter ses derniersmoments.

À ces mots, Mme Papillon se laissatomber sur un siège. Quant à son mari, tout en s’efforçant dedonner à son masque pétri de prétention imbécile et creuse uneexpression de douloureuse surprise, il s’en fut vers Maurice deThouars et lui serra la main avec une effusion exagérée :

– Voyons, fit-il d’une voix caverneuse,que s’est-il passé ?

Dissimulant avec peine l’énervement que luicausaient toutes ces visites, Maurice de Thouarsrépliquait :

– Déjà, depuis quelque temps, la santé denotre chère Simone nous causait de grandes inquiétudes.

– N’abusait-elle pas destupéfiants ?

– Hélas ! oui… Mais ce qui l’asurtout frappée, c’est la visite de ce Fantôme.

Au mot de Fantôme, la baronne eut un sursautd’épouvante.

– Le Fantôme ! s’écria-t-elle enprojetant les bras en avant… Le Fantôme ! Ah ! ne m’enparlez pas ! Il me semble que je le vois sans cesse rôderautour de moi.

« J’avais eu l’idée de partir pour notrechâteau de Courteuil, qui est situé entre Dreux et Mantes…

« Il me semblait qu’à l’abri de ceshautes et épaisses murailles, derrière ces ponts-levis, nouseussions été plus en sécurité…

« Mais le secrétaire de mon mari, M.Lüchner, m’en a dissuadée, prétendant que si le Fantôme étaitdécidé à nous rendre visite, il pénétrerait tout aussi facilementdans notre château de Courteuil que dans notre hôtel de Paris…Alors, je suis restée ! Mais je suis à bout… Je n’en dorsplus !

– Elle était déjà un peu détraquée,soufflait l’amateur de bibelots à l’oreille du beau Maxime… Mais,avec toutes ces histoires, je crains qu’elle ne devienne tout àfait folle… Tenez… écoutez-là.

En effet, la baronne Papillon qui, à présent,ne semblait nullement jouer la comédie, continuait, tout engesticulant :

– Ce Fantôme ! Je le vois partout…La nuit, le jour… dans mon salon, dans ma chambre à coucher, dansmon cabinet de toilette…

Et, proférant un cri de terreur, elle montrad’un doigt tremblant la porte qui venait de s’ouvrir :

– Le voici ! clama-t-elle,épouvantée. C’est lui ! C’est lui !

– Mais non ! rectifiait Elsa Bergen,c’est Dominique.

Les yeux écarquillés, la baronne contemplait,un peu calmée, le valet de chambre, qui venait d’apparaître ets’avançait, d’un pas cérémonieux, vers la demoiselle de compagnie àlaquelle il dit :

– Je viens rappeler à Mademoiselle que M.Chantecoq attend déjà depuis un quart d’heure dans le boudoir.

– Chantecoq ! s’exclama la baronnePapillon. Chantecoq, le roi des détectives. Oh ! faites-leentrer ! Faites-le venir vite ! Je veux le voir… Je veuxme placer sous sa protection…

– Dominique, faites entrer M. Chantecoq,ordonnait Mlle Bergen.

Le valet de chambre se retira pour revenirquelques instants après avec le célèbre limier qui, en apercevantle couple plutôt ridicule que représentaient le collectionneur etson épouse, s’arrêta sur le seuil, en l’attitude d’un homme bienélevé qui redoute d’être indiscret. Mais Mlle Bergen,avec beaucoup d’affabilité, le présentait aux Papillon.

Chantecoq s’inclina devant la baronne, serrala main que le baron lui tendait et adressa une amicale salutationà M. de Thouars qui lui répondit avec non moins de cordialité.

Achevant de rompre la glace, la demoiselle decompagnie poursuivait :

– Le baron Papillon, qui est un grandamateur d’antiquités, est aussi le plus fin, le plus averti de tousnos collectionneurs parisiens.

Mais Mme Papillon ne donna pas à laScandinave le temps de continuer et elle s’écria :

– Monsieur Chantecoq, vous allez bientôtarrêter le Fantôme… n’est-ce pas ?

Chantecoq répondit en souriant :

– Je l’espère, madame.

– Figurez-vous que je ne visplus !

– Madame reprit le limier, je ne vois paspourquoi le Fantôme s’attaquerait à vous plutôt qu’à une autre.

– Nous possédons une telle quantité debelles choses…

– Évidemment ! reconnaissait ledétective, c’est fort tentant pour un cambrioleur. Maisrassurez-vous, baronne…

« Les constatations que j’ai faites mepermettent de vous affirmer que Belphégor – c’est ainsi que nousnommons le Fantôme – est un malfaiteur beaucoup trop habile et tropprudent pour continuer ses exploits, maintenant surtout qu’il aatteint l’objectif qu’il poursuivait.

– C’est-à-dire ?

– Le trésor des Valois.

– Le trésor des Valois !s’exclamèrent simultanément Elsa Bergen, Maurice de Thouars et leménage Papillon.

– Parfaitement ! déclara lepolicier.

– Il y avait donc un trésor caché auLouvre ? interrogeait le baron.

– Oui… sous la statue de Belphégor.

– Et le Fantôme s’en estemparé ?

– En un tournemain.

– Quand cela ?

– La nuit dernière.

– Décidément, s’écriait MmePapillon, la police est bien mal faite à Paris.

– On n’avait donc pas établi au Louvre,un service de surveillance ? observait Maurice de Thouars.

– Ah ! si, déclarait Chantecoq…L’inspecteur Ménardier se trouvait même dans la salle des Dieuxbarbares avec deux de ses meilleurs agents.

– Et ils n’ont pu arrêter cemonstre ?

– Cela leur eût été bien difficile.

– Pourquoi ?

– Ils étaient profondément endormis.

– J’espère bien qu’on va lesrévoquer ! scandait le collectionneur.

– Ce n’est pas leur faute… excusaitChantecoq. Belphégor leur avait fait, sans qu’ils s’en doutent,respirer des gaz somnifères.

– Des gaz somnifères ! scandaitMme Papillon, en levant les bras au ciel.

Et, reprise de toute sa terreur, elle se mit àpiailler :

– C’est effrayant ! C’estabominable ! Jamais on n’a vu une chose pareille !

– Ne criez pas aussi fort, madame !intervenait Mlle Bergen… Simone pourrait entendre.

– Mais oui, tais-toi donc ! appuyale baron.

– Baronne, reprenait Chantecoq, vous nem’avez pas donné le temps de terminer. J’avais à ajouter quelquesmots qui, je l’espère, vont tout à fait vous rassurer. L’inspecteurMénardier m’a assuré qu’il était sur la piste du bandit et que sonarrestation n’était plus qu’une question d’heures.

– Ah ! je respire ! fitMme Papillon.

– Je crois qu’après cette bonne parole,conclut le collectionneur, nous n’avons plus qu’à nous retirer.

– Oui, c’est cela, partons… acquiesçaitla baronne… Au revoir, mademoiselle Bergen.

Et en tête de linotte qu’elle était,Mme Papillon ajouta :

– Cette pauvre Simone !… Vous luidirez mille choses aimables de notre part… Espérons que ce ne serarien !

« Au revoir, monsieur de Thouars ;monsieur Chantecoq, tous mes compliments.

Et la demi-toquée s’en fut avec son mari qui,après avoir pris congé de tous, la rejoignait dans l’antichambre,en grommelant des paroles inintelligibles qui n’étaient pas certesdes éloges à l’adresse de la compagne de sa vie.

Mlle Bergen soupira :

– Deux grotesques !… Elle surtoutest insupportable.

Chantecoq reprenait :

– J’ai bien vu qu’elle vous agaçait etj’ai cherché à vous en débarrasser.

– Et vous y avez réussi, monsieurChantecoq !… Tous mes meilleurs remerciements.

– Je me doutais bien, déclarait Mauricede Thouars, que cette histoire de trésor des Valois n’était qu’unefantaisie de votre imagination.

– Pas du tout ! protestait le roides détectives ; elle est parfaitement authentique.

– Et l’inspecteur Ménardier vous aaffirmé qu’il était sur la piste du coupable ?

– Il m’a même donné rendez-vous, cetaprès-midi, vers cinq heures à la préfecture de police pour medonner son nom.

– Et vous irez ? interrogeait lademoiselle de compagnie.

– Certainement !

– En ce cas, posait M. de Thouars, vousrenoncez à votre enquête ?

– Non, puisque je suis ici.

– J’avoue que je ne comprends pas.

– C’est pourtant bien simple, mon chermonsieur, reprenait le détective. Ménardier prétend qu’il tientBelphégor, ou tout au moins qu’il va le tenir. Or, je suisconvaincu qu’il suit une route différente de la mienne et qu’il estsur le point de commettre une grave erreur. Donc, jecontinue !

« Voilà pourquoi, concluait Chantecoq,j’aurais voulu demander quelques renseignements à MlleDesroches.

– Hélas ! répliquait la Scandinave,elle ne vous entendrait même pas. Mais je pourrai, peut-être, vousrépondre pour elle. Simone n’a guère de secrets pour moi.

– Puisqu’il en est ainsi, mademoiselle,reprenait le grand limier, je n’hésite pas à vous poser tout desuite une question d’une importance capitale.

« Les lettres dérobées à MlleDesroches sont-elles de nature à compromettre leursignataire ?

Mlle Bergen réfléchit un instant.Puis, elle fit :

– Soupçonneriez-vous Jacques Bellegarded’être…

D’un geste bref, énergique, Chantecoql’arrêta. Puis il répliqua sur un ton catégorique :

– Je n’ai pas de soupçons, jecherche.

Gravement, Chantecoq poursuivait :

– Vous comprenez maintenant pourquoij’attache un si grand prix à votre réponse.

– Monsieur Chantecoq, reprenait lademoiselle de compagnie, je ne voudrais pas un seul instant quevous vous figuriez que je cherche à me venger d’un homme qui a sicruellement fait souffrir ma pauvre amie. Je suis, en effet, trèsau-dessus d’un pareil sentiment.

Silencieux, Maurice de Thouars approuvait dela tête les paroles de la Scandinave, qui poursuivait :

– Mais je dois reconnaître, dansl’intérêt de la vérité, que ces lettres, dont Simone m’en avaitfait lire quelques-unes, renferment certains passages qui peuventêtre gênants pour celui qui les avait écrits.

Elle allait continuer, mais Juliette, la femmede chambre, accourait… bouleversée, et clamant d’une voixtremblante :

– Venez vite ! Mademoiselle est auplus mal !

Elsa Bergen s’élança vers la porte etdisparut. Maurice de Thouars se disposait à la suivre ; seretournant vers Chantecoq, il lui dit :

– Excusez-nous, monsieur !

Le détective, tout en s’inclinant légèrement,répondit :

– C’est moi au contraire, qui vousdemande pardon… j’ignorais que Mlle Desroches fût aussigravement atteinte.

– Elle est perdue ! murmura M. deThouars.

Et il ajouta avec un accent de grandedouleur :

– Ce n’est plus qu’une flamme quimeurt !

Et tandis qu’une flamme de colère s’allumaitdans ses yeux, il scanda haineusement :

– Ce Bellegarde est un grandcoupable.

Et accompagnant Chantecoq jusque dans levestibule, où le valet de chambre s’apprêtait à ouvrir la porte, M.de Thouars escalada à grandes enjambées les marches de l’escalierqui conduisait au premier étage.

Lorsqu’il pénétra dans la chambre de Simone,Elsa Bergen, Juliette et une infirmière s’efforçaient de maintenirdans son lit la malheureuse jeune femme.

En proie à un délire effrayant, les yeuxrévulsés, le visage décomposé, elle s’écriait, en agitant lesbras :

– Le Fantôme ! Je le vois ! Ilest là ! Il est là !…

Échappant, en un suprême effort, à celles quis’efforçaient de la calmer, d’un bond, elle sauta à bas de son litet courut vers la fenêtre, comme si elle voulait se jeter dans lejardin.

Mlle Bergen et l’infirmière, quil’avaient rejointe, la maîtrisèrent assez facilement et déposèrentsur une chaise longue Simone qui, brisée par ce dernier sursaut, nemanifestait plus aucune énergie, et demeura prostrée, anéantie, lesyeux clos.

Maurice de Thouars s’était précipité sur unflacon de sels placé sur la table de nuit… et le passait àl’infirmière, qui faisait immédiatement respirer le révulsif àSimone. Au bout d’un instant, elle se ranima un peu et murmurad’une voix très faible, mais où subsistait encore l’écho d’unindicible déchirement :

– Jacques ! Jacques !

Et tout en serrant nerveusement la main d’ElsaBergen, elle ajouta, haletante, épuisée.

– Vous lui direz que je luipardonne !

Sa tête retomba en avant… Elle venait deperdre connaissance.

Ce fut en vain que la demoiselle de compagnieessaya de la ranimer.

Et d’une voix brisée, Maurice de Thouars dit àla femme de chambre, consternée :

– Juliette, il était temps ; allezchercher un prêtre… car c’est l’agonie qui commence !

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