Belphégor

Chapitre 7LE ROI DES DÉTECTIVES

Cet étrange personnage qui venait de jouer unrôle si inattendu dans le drame du Louvre n’était autre qu’unancien agent de la Sûreté générale qui, avant la guerre, avaitacquis, grâce à ses nombreux et retentissants exploits, une réellecélébrité.

Mobilisé en 1914, comme officier de réserve,Chantecoq, après s’être vaillamment battu et avoir mérité la Légiond’honneur et la croix de guerre, avait été mis en sursis d’appel ets’était livré à une chasse aux espions qui avait achevé d’en faireun véritable héros populaire.

Après l’armistice, il avait donné sa démissionet s’était établi détective privé.

Il avait pris pour secrétaire, ou plusexactement pour collaboratrice, sa fille, la charmante Colette, quis’était vite passionnée pour une profession dont son père avait sufaire mieux qu’un métier, c’est-à-dire un art.

Sa réputation, solidement établie et basée àla fois sur sa valeur professionnelle et son grand caractère, luiavait valu une clientèle d’élite qu’il servait avec autant desuccès que d’honnêteté, d’intelligence et de zèle.

Comment se trouvait-il mêlé à cettehistoire ?… En deux mots, voici :

Chantecoq avait été officieusement chargé parle gouvernement italien de rechercher un bandit qui, à la suited’un vol important commis dans un musée de Florence, s’était cachéà Paris.

Supposant que ce gredin pouvait être lepseudo-Fantôme du Louvre, le grand détective s’était aussitôtadressé au gardien Pierre Gautrais qui avait servi autrefois sousses ordres, pendant la guerre, et auquel il avait sauvé la vie.

Gautrais auquel son ancien chef inspirait uneadmiration et un dévouement sans bornes, s’était d’autant plusempressé d’entrer dans ses vues qu’il se sentait vaguementsoupçonné par l’inspecteur Ménardier… Selon lui, Chantecoq, mieuxque personne, ne manquerait pas d’élucider promptement cetteangoissante énigme.

Malheureusement les circonstances, ainsi qu’onvient de le constater n’avaient pas donné raison à l’excellentgardien. Et Chantecoq, lui aussi, était obligé de s’avouer qu’il setrouvait en face du problème le plus ardu et le plus troublantqu’il eût à résoudre.

Mais ces difficultés n’étaient nullementfaites pour décourager celui que Bellegarde avait salué du nom de« roi des détectives ». Dès le lendemain matin, ils’était enfermé dans son cabinet de travail, situé aurez-de-chaussée du petit hôtel particulier où il demeurait, auxTernes, avenue de Verzy…

C’était une vaste pièce meublée avec goût,ornée de jolis bibelots et au fond de laquelle se dressait unegrande bibliothèque garnie de livres aux riches reliures… On eûtdit beaucoup plus le studio d’un artiste que le bureau d’unpolicier.

Assis devant sa table, après avoir récapituléles événements de la veille, il s’efforçait d’en tirer lesdéductions capables de lui faire entrevoir, ne fût-ce qu’une toutepetite lueur, à travers les ténèbres dans lesquelles il sedébattait, lorsqu’une porte s’ouvrit doucement, livrant passage àColette qui s’arrêta pendant un instant, pour contempler son pèreavec une expression de souriante tendresse.

Chantecoq, absorbé dans ses réflexions,n’avait pas remarqué sa présence. S’avançant à pas de loup,Colette, en un geste plein d’une grâce exquise, se pencha vers sonpère et l’entoura de ses bras.

– Bonjour, chérie, fit le limier en luirendant son baiser.

– Rien de nouveau depuis hier soir ?interrogeait Colette, en s’asseyant sur un siège, en face de sonpère.

– Non, rien.

– Ménardier a dû être furieux, lorsqu’ilvous a vus tous les deux, M. Bellegarde et toi !…

– Et comment !… Il voulait maintenirBellegarde en état d’arrestation !

– Allons donc !

– J’ai eu même assez de peine à leconvaincre qu’en agissant ainsi, il se couvrirait de ridicule. Maislaissons Ménardier tranquille ; nous avons à nous entretenirde choses beaucoup plus intéressantes.

– Le Fantôme ?

– Oui, le Fantôme.

– Je crois, soulignait Colette, que nousavons affaire à un rude adversaire.

Chantecoq garda le silence.

– Et toi, papa, qu’est-ce que tu enpenses ? interrogea la jeune fille.

– Je cherche ! répliqua ledétective, dont le front assombri reflétait le doute et l’anxiétéqui étaient en lui.

Brusquement, il se leva… et se mit à arpenterlentement son cabinet… Puis, au bout d’un instant, ils’écria :

– Pourquoi ce gredin s’est-il attaqué àune statue aussi encombrante et aussi difficile àemporter ?

« Pourquoi n’a-t-il pas choisi plutôt untableau, un objet précieux, un émail, une miniature, un ivoire, unjoyau ? Et puis, par où est-il entré ? Par où s’est-ilenfui ?

Tout en parlant, Chantecoq s’était rapprochéde sa fille qui, le coude appuyé sur la table, semblait absorbéedans ses pensées… Et tout en lui posant la main sur l’épaule, ilfit :

– Eh bien ! petite ?

Colette tressaillit… Puis, s’efforçantaussitôt de se ressaisir, elle répliqua, un peu gênée :

– Moi aussi, je cherche !

Chantecoq, tout en lui caressantaffectueusement la joue, reprenait :

– Je crois plutôt que tu penses à un beaujeune homme…

– Père ! protesta la jeune fille enrougissant.

– Rassure-toi ! scandait ledétective avec une solennité comique, tu ne tarderas pas à le voirapparaître.

Et, prenant un pneumatique déposé sur sonbureau, il le tendit à sa fille en disant :

– Lis ce message, que je viens derecevoir.

Il était ainsi rédigé :

31, avenue d’Antin

Tél. : Élysée 86-29

Cher monsieur Chantecoq,

Un empêchement imprévu m’oblige à vousprier de bien vouloir remettre à cet après-midi, quinze heures, lerendez-vous que nous avons pris la nuit dernière, auLouvre.

Avec tous mes meilleurssentiments,

Jacques Bellegarde.

J’ai cherché à vous joindre au téléphone…Mais impossible d’obtenir la communication. Voilà pourquoi je vousenvoie ce bleu. J’espère qu’il vous parviendra à temps.

– Décidément, ponctuaitChantecoq, le service du téléphone va de plus en plus mal. Je vaisadresser une réclamation.

– N’en fais rien, père ! demandaitColette. C’est moi qui ai décroché le récepteur.

– Pourquoi ?

– Tu étais rentré si tard et, ce matin,tu dormais si bien, que je n’ai pas voulu qu’on te dérangeât.

– Voyez-vous ça ! s’exclamait ledétective, avec un bon sourire. Eh bien ! j’ai profité de ceque la communication était rétablie pour lui demander d’être ici àtrois heures… Es-tu contente ?

D’un geste brusque et sans doute volontaire,Colette fit tomber à terre une pile de dossiers rangés sur latable. Vite, elle se baissa pour ramasser les feuillets épars surle tapis… dissimulant ainsi à son père le trouble qui s’étaitemparé d’elle.

Chantecoq, dont le sourire s’était accentué enune expression de profonde tendresse, la regardait… Colette sereleva… Sa moisson de documents était terminée… Et, tout enreplaçant les papiers dans leurs chemises, elle fit, d’une voixdans laquelle tremblait le discret frémissement d’une vagueespérance :

– Papa, si nous travaillions ?…

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