Belphégor

Chapitre 5OÙ L’ON ASSISTE À DES FAITS TROUBLANTS

Depuis le matin, le musée du Louvre, àl’exception de la salle des Dieux barbares, dont lesportes avaient été hermétiquement closes, avait été rouvert aupublic qui, naturellement, s’y était précipité, dans l’espoir,d’ailleurs vain, d’y apprendre ou d’y voir quelque chose. Lemystère, en effet, demeurait impénétrable.

L’inspecteur Ménardier n’était cependant pasresté inactif.

N’ayant découvert dans le vieux palais, à lasuite d’un minutieux examen, aucune trace d’effraction, l’habilelimier en était arrivé à la conclusion logique que le oules assassins de Sabarat devaient avoir un complice dansla place. Un moment, ses soupçons s’étaient même arrêtés surGautrais. Or, non seulement les renseignements qu’il avaitrecueillis sur le brave gardien étaient excellents, mais il avaitencore acquis la preuve que ce dernier, au cours de la nuit ducrime, n’avait pas quitté son domicile.

Donc, la piste Gautrais était mauvaise, et ilétait inutile de s’y attarder.

Persuadé qu’il avait à lutter contre unadversaire d’une rare audace et d’une habileté peu commune,Ménardier en était arrivé promptement à se convaincre que lapremière chose à faire était de rechercher d’abord comment il avaitpu entrer au Louvre et en sortir avec une facilité qui tenait duprodige ; et il avait décidé de se livrer, la nuit prochaine,en compagnie de quelques agents triés sur le volet, à l’abri detout œil inquisiteur ou de toute oreille indiscrète, à uneexploration nocturne du musée.

À cet effet, il avait prié M. Lavergne de luiconfier les plans du palais, qu’il s’était mis à étudier avec laplus grande attention.

Jacques Bellegarde, plus que jamais décidé àélucider ce terrible mystère, avait agi de son côté…

Après être passé au Petit Parisienpour y prendre connaissance de son courrier, il s’était rendu auLouvre. Lorsqu’il y arriva, il était trois heures de l’après-midi.Son premier soin fut de se rendre à la salle des Dieuxbarbares ; mais il constata, aussitôt qu’il étaitimpossible d’y pénétrer. Deux agents montaient, en effet, une gardevigilante devant la porte d’entrée, qu’obstruait une barrière debois improvisée, mais infranchissable.

Sans tenter de fléchir une consigne qu’ilsavait formelle, le jeune reporter rebroussa chemin, sans mêmeprêter l’oreille aux propos plus ou moins abracadabrantsqu’échangeaient les visiteurs ; et il résolut de se mettretout de suite à la recherche du gardien Gautrais, comptant bien quecelui-ci donnerait une réponse favorable à la requête qu’il luiavait fait adresser par Marie-Jeanne. Et s’engageant dans lagalerie des Antiques, il se dirigeait d’un pas rapide versla statue de la Vénus de Milo, qui détachait nettement,sur le fond noir, ses formes harmonieuses lorsqu’il s’arrêta, saiside stupeur.

Assise sur un pliant, un album sur ses genouxet un crayon à la main, la charmante Parisienne dont il avait faitla connaissance la veille, boulevard Sébastopol, et qui, deuxheures auparavant, avait provoqué, au restaurant desGlycines,la colère de Simone Desroches, contemplait d’unair extasié la divine statue.

Jacques eut une minute d’hésitation ;puis, s’avançant vers elle, et tout en la saluant avec beaucoup dedéférence, il lui dit :

– Décidément, mademoiselle, nous sommesdestinés à nous rencontrer… Je ne me présente pas, puisque j’aidéjà l’honneur d’être connu de vous.

– En effet, monsieur, répliquait Coletteavec un gracieux sourire, j’ai vu votre portrait en tête de l’un devos livres. J’ajouterai que je lis tous vos articles et je ne vouscacherai pas qu’ils m’intéressent vivement.

– Vous êtes trop indulgente,mademoiselle, reprenait le reporter. Aussi, j’espère que vousvoudrez bien accepter mes excuses au sujet du fâcheux incident detout à l’heure.

Il s’arrêta, un peu embarrassé.

Colette reprenait toujours souriante, etfeignant un certain étonnement :

– Monsieur, je ne sais pas ce que vousvoulez dire.

Jacques sentit qu’il valait mieux ne pasinsister ; mais désireux de continuer la conversation, il fit,tout en jetant un regard rapide vers l’album que Colette tenait surses genoux :

– Vous avez beaucoup de talent,mademoiselle.

La jeune fille éclata de rire. Et tout enprésentant au journaliste une page de son album, que nesillonnaient encore que quelques vagues traits de crayon, ellefit :

– Vous voyez… je n’ai pas encorecommencé.

Un peu gêné de sa bévue et s’emparant de lapremière idée qui lui traversait l’esprit, Jacquesreprenait :

– Alors, mademoiselle, vous n’avez paspeur des fantômes ?

Gaiement, Colette répliquait :

– Je n’y crois guère.

– Pourtant, il paraît qu’il y en a un auLouvre.

– Oui, je sais.

– Figurez-vous que j’ai résolu de luidonner la chasse.

– Eh bien ! bonne chasse, monsieurBellegarde.

Et reprenant son crayon, la jolie Parisiennese remit à dessiner, signifiant ainsi à son interlocuteur quel’entretien, à son gré, avait suffisamment duré.

Jacques était trop bien élevé pour s’imposerdavantage ; et après avoir salué la charmante artiste, ils’éloigna non sans regret, et même un peu rêveur.

Lorsqu’il eut disparu, un homme qui sedissimulait derrière une statue et semblait observer avec beaucoupd’attention les deux jeunes gens, sortit de sa cachette.

C’était Claude Barjac.

S’approchant de sa fille qui, en l’apercevant,avait légèrement rougi, il lui demanda d’un air grave :

– Que te disait-il ?

Colette allait répondre… mais… surgissant toutà coup d’une salle voisine, Gautrais, l’air effaré, s’avançait versBarjac, et, tout en enlevant sa casquette, il fit :

– Monsieur, je voudrais vous dire unmot.

D’un geste bref, le père de Colette l’invitaità parler. Le gardien, sur lequel son interlocuteur semblait exercerun singulier ascendant, reprit aussitôt :

– Ce journaliste, qui parlait à l’instantà votre demoiselle…

– Oui, eh bien ?

– Il m’a fait demander l’autorisation del’introduire cette nuit dans la salle des Dieuxbarbares…

– Et après ?

– En ce moment, il doit courir après moipour chercher ma réponse.

– Eh bien ! ordonnait Barjac sur unton impératif, rejoins-le vite et dis-lui que c’est entendu.

– Mais, monsieur ! balbutiait legardien, littéralement ahuri.

– Fais ce que je te dis… imposait Barjac.Tu n’as pas besoin de comprendre.

Gautrais s’empressa de déguerpir.

Alors, Colette se levant et regardant son pèreavec émotion :

– Père… fit-elle… je ne voudrais pasqu’il arrivât malheur à M. Bellegarde.

– Tu t’intéresses donc à lui ?questionnait Barjac, fronçant les sourcils.

Visiblement troublée, la jeune fillerépondit :

– J’ai lu ses articles… ses livres, et jelui trouve beaucoup de talent.

Barjac enveloppa de son regard profond safille, qui ajouta :

– Et je ne te cacherai pas qu’il m’esttrès sympathique.

Colette, timidement, baissa les yeux, tandisque sur les lèvres de Barjac errait un étrange sourire…

Pendant ce temps, Gautrais avait rejointJacques Bellegarde dans le vestiaire… Alors, se penchant vers lui,il lui glissa quelques mots à l’oreille.

Le jeune reporter parut très satisfait ;et, tout en lui serrant la main, il fit, également à voixbasse :

– Alors, entendu ?

– Entendu, ponctua Gautrais d’un airsombre…

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