Contes et nouvelles – Tome IV – La Sonate à Kreutzer suivie de Pourquoi ?

IX

 

– Vous connaissez la domination desfemmes, reprit-il en serrant dans son sac le thé et le sucre ;c’est elle qui cause des souffrances à tous.

– Comment, la domination desfemmes ? répliquai-je. Mais les droits sont plutôt l’apanagedes hommes.

– Précisément, fit-il avec vivacité,c’est l’idée que je voulais exprimer. C’est justement ce quiexplique ce phénomène extraordinaire : d’une part, leurextrême humiliation, de l’autre, leur souverain pouvoir. C’estcomme pour les Juifs. Ils se vengent par la puissance de leurargent de l’assujettissement dans lequel on les tient. « Vousnous permettez seulement de nous livrer au commerce ? Entendu.Mais par le commerce, nous deviendrons vos maîtres », disentles juifs. « Vous ne voulez voir en nous qu’un objet àsatisfaire vos sens ? soit. Par les sens, nous vousasservirons », disent les femmes.

Ce n’est point la privation du droit de voter,ou d’exercer une magistrature qui constitue l’absence des droits dela femme ; ces occupations ne constituent point des droits.L’inégalité de la femme est dans l’interdiction d’aller vers unhomme ou de s’en éloigner, d’en choisir un à son gré, au lieud’être choisie. Cela vous choque, n’est-ce pas ? Bon !Alors, privez l’homme des mêmes droits, puisqu’il en jouit et quevous les refusez à la femme. Pour égaliser les chances, elle tablesur la sensualité de l’homme, elle s’en rend maîtresse absolue parles sens, de telle sorte que c’est lui qui paraît choisir et qu’enréalité, c’est elle qui choisit. Et, quand elle possède à fondl’art de séduire, elle abuse et prend un empire terrible surl’homme.

– Où voyez-vous donc cette puissance siextraordinaire ?

– Où ? Mais partout, dans tout.Visitez les magasins, dans les villes importantes. Il y a là desmillions entassés, un travail gigantesque, presque incalculable. Ya-t-il, je vous le demande, dans les neuf dixièmes de ces magasins,la moindre chose pour l’usage des hommes ?

Tout le luxe de la vie est pour les femmes,qui le recherchent, qui le favorisent. Voyez les ateliers. Laplupart fabriquent de vaines parures de femmes. Des millionsd’hommes, des générations entières d’ouvriers succombent dans cestravaux de forçats pour des fantaisies de femmes : Comme desreines puissantes, les femmes tiennent dans l’esclavage et letravail les neuf dixièmes de l’humanité. Et tout cela parce qu’onleur refuse des droits égaux à ceux de l’homme. Elles se vengentsur nos sens, en essayant de nous prendre à leurs pièges. Ellessont arrivées à exercer sur nous une action telle que nous perdonstout calme en leur présence. Dès qu’un homme s’approche d’unefemme, le voilà pris, par ses charmes et adieu leraisonnement !

J’ai toujours éprouvé un sentiment de gêne envoyant une dame ou une jeune fille du monde en toilette de bal.Aujourd’hui, j’en ressens une véritable horreur. J’y vois un dangerpour les hommes, quelque chose de contraire à la nature. J’aitoujours envie d’appeler la police, de demander du secours pourfaire enlever l’objet dangereux !

Vous riez ! s’emporta-t-il. Je suis loinde plaisanter ! Je suis persuadé qu’un jour viendra, pas siéloigné peut-être, où l’on se demandera avec stupéfaction commentil s’est trouvé une époque où l’on permettait des actionssusceptibles de jeter autant de trouble dans le repos de la sociétéque le font les femmes en excitant les sens par la parure de leurcorps. Autant dresser sur les promenades publiques des embûchessous les pieds des promeneurs. Encore serait-ce moinsdangereux.

Pourquoi, vous demanderai-je, prohibez-vousles jeux de hasard et laissez-vous les femmes paraître à demi nuesen public, bien que ce soit mille fois plus périlleux que lejeu ?

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