En famille

II

Quand Perrine revint prendre sa placeauprès de son âne, il s’était enfoncé le nez dans la voiture defoin, et il mangeait tranquillement comme s’il avait été devant unrâtelier.

« Vous le laissez manger ?s’écria-t-elle.

– J’vous crois.

– Et si le charretier sefâche ?

– Faudrait pas avecmoi. »

Il se mit en posture d’invectiver unadversaire, les poings sur les hanches, la têterenversée.

« Ohé,croquant ! »

Mais son concours ne fut pas nécessairepour défendre Palikare ; c’était au tour de la voiture de foind’être sondée à coups de lance par les employés de l’octroi, etelle allait passer la barrière.

« Maintenant ça va être àvous ; je vous quitte. Au revoir, mam’zelle ; si vousvoulez jamais avoir de mes nouvelles, demandez Gras Double, tout lemonde vous répondra. »

Les employés qui gardent les barrièresde Paris sont habitués à voir bien des choses bizarres, cependantcelui qui monta dans la voiture photographique eut un mouvement desurprise en trouvant cette jeune femme couchée ; et surtout enjetant les yeux çà et là d’un rapide coup d’œil qui ne rencontraitpartout que la misère.

« Vous n’avez rien àdéclarer ? demanda-t-il en continuant son examen.

– Rien.

– Pas de vin, pas deprovisions ?

– Rien. »

Ce mot deux fois répété était d’uneexactitude rigoureuse : en dehors du matelas, de deux chaisesde paille, d’une petite table, d’un fourneau en terre, d’unappareil et de quelques ustensiles photographiques, il n’y avaitrien dans cette voiture : ni malles, ni paniers, nivêtements.

« C’est bien, vous pouvezentrer. »

La barrière passée, Perrine tourna toutde suite à droite, comme Gras Double lui avait recommandé,conduisant Palikare par la bride. Le boulevard qu’elle suivaitlongeait le talus des fortifications, et dans l’herbe roussie,poussiéreuse, usée par plaques, des gens étaient couchés quidormaient sur le dos ou sur le ventre, selon qu’ils étaient plus oumoins aguerris contre le soleil, tandis que d’autres s’étiraientles bras, leur sommeil interrompu, en attendant de le reprendre. Cequ’elle vit de la physionomie de ceux-là, de leurs têtes ravagées,culottées, hirsutes, de leurs guenilles, et de la façon dont ilsles portaient, lui fit comprendre que cette population desfortifications ne devait pas, en effet, être très rassurante lanuit, et que les coups de couteau devaient s’échanger làfacilement.

Elle ne s’arrêta pas à cet examen,maintenant sans intérêt pour elle, puisqu’elle ne se trouverait pasmêlée à ces gens, et elle regarda de l’autre côté, c’est-à-direvers Paris.

Hé quoi ! ces vilaines maisons, ceshangars, ces cours sales, ces terrains vagues où s’élevaient destas d’immondices, c’était Paris, le Paris dont elle avait sisouvent entendu parler par son père, dont elle rêvait depuislongtemps, et avec des imaginations enfantines, d’autant plusféeriques que le chiffre des kilomètres diminuait à mesure qu’elles’en rapprochait ; de même, de l’autre côté du boulevard, surles talus, vautrés dans l’herbe comme des bestiaux, ces hommes etces femmes, aux faces patibulaires, étaient desParisiens.

Elle reconnut le cours de Vincennes à salargeur et, après l’avoir dépassé, tournant à gauche, elle demandale Champ Guillot. Si tout le monde le connaissait, tout le monden’était pas d’accord sur le chemin à prendre pour y arriver, etelle se perdit plus d’une fois dans les noms de rues qu’elle devaitsuivre. À la fin cependant, elle se trouva devant une palissadeformée de planches, les unes en sapin, les unes en bois non écorcé,celles-ci peintes, celles-là goudronnées, et quand, par la barrièreouverte à deux battants, elle aperçut dans le terrain un vieilomnibus sans roues et un wagon de chemin de fer sans roues aussi,posés sur le sol, elle comprit, bien que les bicoques environnantesne fussent guère en meilleur état, que c’était là le Champ Guillot.Eût-elle eu besoin d’une confirmation de cette impression, qu’unedouzaine de petits chiens tout ronds, qui boulaient dans l’herbe,la lui eût donnée.

Laissant Palikare dans la rue, elleentra, et aussitôt les chiens se jetèrent sur ses jambes, lesmordillant avec de petits aboiements.

« Qu’est-ce qu’il y a ? »cria une voix.

Elle regarda d’où venait, cet appel, et,sur sa gauche, elle aperçut un long bâtiment qui était peut-êtreune maison, mais qui pouvait bien être aussi tout autrechose ; les murs étaient en carreaux de plâtre, en pavés degrès et de bois, en boîtes de fer-blanc, le toit en carton et entoile goudronnée, les fenêtres garnies de vitres en papier, enbois, en feuilles de zinc et même en verre, mais le tout construitet disposé avec un art naïf qui faisait penser qu’un Robinson enavait été l’architecte, avec des Vendredis pour ouvriers. Sous unappentis, un homme à la barbe broussailleuse était occupé à trierdes chiffons qu’il jetait dans des paniers disposés autour delui.

« N’écrasez pas mes chiens,cria-t-il, approchez. »

Elle fit ce qu’il commandait.

« Qu’est-ce que vous voulez ?demanda-t-il lorsqu’elle fut près de lui.

– C’est vous qui êtes le propriétaire duChamp Guillot ?

– On le dit. »

Elle expliqua en quelques mots cequ’elle voulait, tandis que, pour ne pas perdre son temps enl’écoutant, il se versait, d’un litre qu’il avait à sa portée, unverre de vin à rouges bords et l’avalait d’un trait,

« C’est possible, si l’on payed’avance, dit-il en l’examinant.

– Combien ?

– Quarante-deux sous par semaine pour lavoiture, vingt et un sous pour l’âne.

– C’est bien cher.

– C’est mon prix.

– Votre prix d’été ?

– Mon prix d’été.

– Il pourra manger leschardons ?

– Et l’herbe aussi, s’il a les dentsassez solides.

– Nous ne pouvons pas payer à lasemaine, puisque nous ne resterons pas une semaine, mais au jourseulement ; nous passons par Paris pour aller à Amiens, etnous voulons nous reposer.

– Alors, ça va tout de même ; sixsous par jour pour la roulotte, trois sous pour l’âne.

Elle fouilla dans sa jupe, et, un a un,elle en tira neuf sous :

« Voila la premièrejournée.

– Tu peux dire à tes parents d’entrer.Combien sont-ils ? Si c’est une troupe, c’est deux sous enplus par personne.

– Je n’ai que ma mère.

– Bon. Mais pourquoi ta mère n’est-ellepas venue faire sa location ?

– Elle est malade, dans lavoiture.

– Malade. Ce n’est pas un hôpitalici. »

Elle eut peur qu’on ne voulût pasrecevoir une malade.

« C’est-à-dire qu’elle estfatiguée. Vous comprenez, nous venons de loin.

– Je ne demande jamais aux gens d’où ilsviennent. »

Il étendit le bras vers un coin de sonchamp ;

« Tu mettras ta roulotte là-bas, etpuis tu attacheras ton âne ; s’il m’écrase un chien, tu me lepayeras cent sous. »

Comme elle allait s’éloigner, ill’appela :

« Prends un verre devin.

_ Je vous remercie, je ne bois pas devin.

– Bon, je vas le boire pourtoi. »

Il se jeta dans le gosier le verre qu’ilavait versé, et se remit au tri de ses chiffons, autrement dit àson « triquage ».

Aussitôt qu’elle eut installé Palikare àla place qui lui avait été assignée, ce qui ne se fit pas sanscertaines secousses, malgré le soin qu’elle prenait de les éviter,elle monta dans la roulotte :

« À la fin, pauvre maman, nousvoilà arrivées.

– Ne plus remuer, ne plus rouler !Tant et tant de kilomètres ! Mon Dieu, que la terre estgrande !

– Maintenant que nous avons le repos, jevais te faire à dîner. Qu’est-ce que tu veux ?

– Avant tout, dételle ce pauvrePalikare, qui, lui aussi, doit être bien las ; donne-lui àmanger, à boire ; soigne-le.

– Justement, je n’ai jamais vu autant dechardons ; de plus, il y a un puits. Je reviens tout desuite. »

En effet, elle ne tarda pas à revenir etse mit à chercher çà et là dans la voiture, d’où elle sortit lefourneau en terre, quelques morceaux de charbon et une vieillecasserole, puis elle alluma le feu avec des brindilles et lesouffla, en s’agenouillant devant, à pleins poumons.

Quand il commença à prendre, elleremonta dans la voiture :

« C’est du riz que tu veux,n’est-ce pas ?

– J’ai si peu faim.

– Aurais-tu faim pour autre chose ?J’irai chercher ce que tu voudras. Veux-tu ?…

– Je veux bien du riz. »

Elle versa une poignée de riz dans lacasserole où elle avait mis un peu d’eau, et, quand l’ébullitioncommença, elle remua le riz avec deux baguettes blanchesdépouillées de leur écorce, ne quittant la cuisine que pour allerrapidement voir comment se trouvait Palikare et lui dire quelquesmots d’encouragement qui, à vrai dire, n’étaient pasindispensables, car il mangeait ses chardons avec une satisfaction,dont ses oreilles traduisaient l’intensité.

Quand le riz fut cuit à point, à peinecrevé et non réduit on bouillie, comme le servent bien souvent lescuisinières parisiennes, elle le dressa sur une écuelle en unepyramide à large base, et le posa dans la voiture.

Déjà elle avait été emplir une petitecruche au puits et l’avait placée auprès du lit de sa mère avecdeux verres, deux assiettes, deux fourchettes ; elle posa sonécuelle de riz à côté et s’assit sur le plancher, les jambesrepliées sous elle, sa jupe étalée

« Maintenant, dit-elle, comme unepetite fille qui joue à la poupée, nous allons faire la dînette, jevais te servir. »

Malgré le ton enjoué qu’elle avait pris,c’était d’un regard inquiet qu’elle examinait sa mère, assise surson matelas, enveloppée d’un mauvais fichu de laine qui avait dûêtre autrefois une étoffe de prix, mais qui maintenant n’était plusqu’une guenille, usée, décolorée.

« Tu as faim, toi ? demanda lamère.

– Je crois bien, il y alongtemps.

– Pourquoi n’as-tu pas mangé un morceaude pain ?

– J’en ai mangé deux, mais j’ai encoreune belle faim : tu vas voir ; si ça met en appétit deregarder manger les autres, la platée sera troppetite. »

La mère avait porté une fourchette deriz à sa bouche, mais elle la tourna et retourna longuement sanspouvoir l’avaler.

– Ça ne passe pas très bien, dit-elle enréponse au regard de sa fille.

– Il faut te forcer : la secondebouchée passera mieux, la troisième mieux encore. »

Mais elle n’alla pus jusque-là, et aprèsla seconde elle reposa sa fourchette sur sonassiette :

« Le cœur me tourne, il vaut mieuxne pas persister.

– Oh ! maman !

– Ne t’inquiète pas, ma chérie, ce n’estrien ; on vit très bien sans manger quand on n’a pas d’effortsà faire ; avec le repos l’appétit reviendra. »

Elle défit son fichu et s’allongea surson matelas haletante, mais si faible qu’elle fût elle ne perditpas la pensée de sa fille, et en la voyant les yeux gonflés delarmes elle s’efforça de la distraire :

« Ton riz est très bon,mange-le ; puisque tu travailles tu dois te soutenir ; ilfaut que tu sois forte pour me soigner ; mange, ma chérie,mange.

– Oui, maman, je mange ; tu vois,je mange. »

À la vérité elle. devait faire effortpour avaler, mais peu à peu, sous l’impression des douces parolesde sa mère, sa gorge se desserra, et elle se mit à mangerréellement ; alors l’écuelle de riz disparut vite, tandis quesa mère la regardait avec un tendre et tristesourire :

« Tu vois qu’il faut seforcer.

– Si j’osais, maman !

– Tu peux oser.

– Je te répondrais que ce que tu me dis,c’était cela même que je te disais.

– Moi, je suis malade.

– C’est pour cela que si tu voulaisj’irais chercher un médecin ; nous sommes à Paris, et à Parisil y a de bons médecins.

– Les bons médecins ne se dérangent passans qu’on les paye.

– Nous le payerions.

– Avec quoi ?

– Avec notre argent ; tu dois avoirsept francs dans ta robe et en plus un florin que nous pouvonschanger ici ; moi j’ai dix-sept sous. Regarde dans tarobe. »

Cette robe noire, aussi misérable que lajupe de Perrine, mais moins poudreuse, car elle avait été battue,était posée sur le matelas et servait de couverture ; sa pocheexplorée donna bien les sept francs annoncés et le florind’Autriche.

« Combien cela fait-il entout ? demanda Perrine, je connais si mal l’argentfrançais.

– Je ne le connais guère mieux quetoi. »

Elles firent le compte, et en estimantle florin à deux francs elles trouvèrent neuf francsquatre-vingt-cinq centimes.

« Tu vois que nous avons plus qu’ilne faut pour le médecin, continua Perrine.

– Il ne me guérirait pas par desparoles, il ordonnerait des médicaments, comment lespayer ?

– J’ai mon idée. Tu penses bien quequand je marche à côté de Palikare, je ne passe pas tout mon tempsà lui parler, quoiqu’il aimerait cela ; je réfléchis aussi àtoi, à nous, surtout à toi, pauvre maman, depuis que tu es malade,à notre voyage, à notre arrivée à Maraucourt. Est-ce que tu croisque nous pouvons nous y montrer dans notre roulotte qui, sisouvent, sur notre passage a fait rire ? Cela nous vaudrait-ilun bon accueil ?

– Il est certain que même pour desparents qui n’auraient pas de fierté, cette entrée seraithumiliante.

– Il vaut donc mieux qu’elle n’ait paslieu ; et puisque nous n’avons plus besoin de la roulotte nouspouvons la vendre. D’ailleurs à quoi nous sert-ellemaintenant ? Depuis que tu es malade, personne n’a voulu selaisser photographier par moi ; et quand même je trouveraisdes gens assez braves pour se fier à moi, nous n’avons plus deproduits. Ce n’est pas avec ce qui nous reste d’argent que nouspouvons dépenser trois francs pour un paquet de développement,trois francs pour un virage d’or et d’acétate, deux francs pour unedouzaine de glaces. Il faut la vendre.

– Et combien lavendrons-nous ?

– Nous la vendrons toujours quelquechose : l’objectif est en bon état ; et puis il y a lematelas…

– Tout, alors ?

– Cela te fait de lapeine ?

– Il y a plus d’un an que nous vivonsdans cette roulotte, ton père y est mort, cela fait que simisérable qu’elle soit, la pensée de m’en séparer m’estdouloureuse ; de lui c’est tout ce qui nous reste, et il n’estpas une seule de ces pauvres choses à laquelle son souvenir ne soitattaché. »

Sa parole haletante s’arrêta tout àfait, et sur son visage décharné des larmes coulèrent sans qu’ellepût les retenir.

« Oh ! maman, s’écria Perrine,pardonne-moi de t’avoir parlé de cela.

– Je n’ai rien à te pardonner, machérie ; c’est le malheur de notre situation que nous nepuissions, ni toi ni moi, aborder certains sujets sans nousattrister réciproquement, comme c’est la fatalité de mon état queje n’aie aucune force pour résister, pour penser, pour vouloir,plus enfant que tu ne l’es toi-même. N’est-ce pas moi qui aurais dûte parler comme tu viens de le faire, prévoir ce que tu as prévu,que nous ne pouvions pas arriver à Maraucourt dans cette roulotte,ni nous montrer dans ces guenilles, cette jupe pour toi, cette robepour moi ? Mais en même temps qu’il fallait prévoir cela, ilfallait aussi combiner des moyens pour trouver des ressources, etma tête si faible ne m’offrait que des chimères, surtout l’attentedu lendemain, comme si ce lendemain devait accomplir des miraclespour nous : je serais guérie, nous ferions une grosserecette ; les illusions des désespérés qui ne vivent plus quede leurs rêves. C’était folie, la raison a parlé par tabouche : je ne serai pas guérie demain, nous ne ferons pas unegrosse, ni une petite recette, il faut donc vendre la voiture et cequ’elle contient. Mais ce n’est pas tout encore ; il fautaussi que nous nous décidions à vendre… »

Il y eut une hésitation et un moment desilence pénible.

« Palikare », ditPerrine.

– Tu y avais pensé ?

– Si j’y avais pensé ! Mais jen’osais pas le dire, et depuis que l’idée me tourmentait que nousserions forcées un jour ou l’autre de le vendre, je n’osais mêmepas le regarder, de peur qu’il ne devine que nous pouvions nousséparer de lui, au lieu de le conduire à Maraucourt où il auraitété si heureux, après tant de fatigues.

– Savons-nous seulement si nous-mêmesnous serons reçues à Maraucourt ! Mais enfin, comme nousn’avons que cela à espérer et que, si nous sommes repoussées, il nenous restera plus qu’à mourir dans un fossé de la route, il fautcoûte que coûte que nous allions à Maraucourt, et que nous nous yprésentions de façon à ne pas faire fermer les portes devantnous…

– Est-ce que c’est possible, celamaman ? Est-ce que le souvenir de papa ne nous protégeraitpas ? lui qui était si bon ! Est-ce qu’on reste fâchécontre les morts ?

– Je te parle d’après les idées de tonpère, auxquelles nous devons obéir. Nous vendrons donc et lavoiture et Palikare. Avec l’argent que nous en tirerons, nousappellerons un médecin ; qu’il me rende des forces pourquelques jours, c’est tout ce que je demande. Si elles reviennent,nous achèterons une robe décente pour toi, une pour moi, et nousprendrons le chemin de fer pour Maraucourt, si nous avons assezd’argent pour aller jusque-là ; sinon nous irons jusqu’où nouspourrons, et nous ferons le reste du chemin à pied.

– Palikare est un bel âne ; legarçon qui m’a parlé à la barrière me le disait tantôt. Il est dansun cirque, il s’y connaît ; et c’est parce qu’il trouvaitPalikare beau, qu’il m’a parlé.

– Nous ne savons pas la valeur des ânesà Paris, et encore moins celle que peut avoir un âne d’Orient.Enfin, nous verrons, et puisque notre parti est arrêté, ne parlonsplus de cela : c’est un sujet trop triste, et puis je suisfatiguée. »

En effet, elle paraissait épuisée, etplus d’une fois elle avait dû faire de longues pauses pour arriverà bout de ce qu’elle voulait dire.

« As-tu besoin dedormir ?

– J’ai besoin de m’abandonner, dem’engourdir dans la tranquillité, du parti pris et l’espoir d’unlendemain.

– Alors, je vais te laisser pour ne paste déranger, et comme il y a encore deux heures de jour, je vais enprofiter pour laver notre linge. Est-ce que ça ne te paraîtra pasbon d’avoir demain une chemise fraîche ?

– Ne te fatigue pas.

– Tu sais bien que je ne suis jamaisfatiguée. »

Après avoir embrassé sa mère, elle allade-ci de-là dans la roulotte, vivement, légèrement ; prit unpaquet de linge dans un petit coffre ou il était enfermé, le plaçadans une terrine ; atteignit sur une planche un petit morceaude savon tout usé, et sortit emportant le tout. Comme après que leriz avait été cuit, elle avait empli d’eau sa casserole, elletrouva cette eau chaude et put la verser sur son linge. Alors,s’agenouillant dons l’herbe, après avoir ôté sa veste, ellecommença a savonner, à frotter, et sa lessive ne se composant enréalité que de deux chemises, de trois mouchoirs, de deux paires debas, il ne lui fallait pas deux heures pour que fût tout lavé,rincé et étendu sur des ficelles entre la roulotte et lapalissade.

Pendant qu’elle travaillait, Palikareattaché, à une courte distance d’elle, l’avait plusieurs foisregardée comme pour la surveiller, mais sans rien de plus. Quand ilvit qu’elle avait fini, il allongea le cou vers elle et poussa cinqou six braiments qui étaient des appels impérieux.

« Crois-tu que jet’oublie ? » dit-elle.

Elle alla à lui, le changea de place etlui apporta à boire dans sa terrine qu’elle avait soigneusementrincée, car s’il se contentait de toutes les nourritures qu’on luidonnait ou qu’il trouvait lui-même, il était au contraire trèsdifficile pour sa boisson, et n’acceptait que de l’eau pure dansdes vases propres ou le bon vin qu’il aimait par-dessustout.

Mais cela fait, au lieu de le quitter,elle se mit à le flatter de la main en lui disant des paroles detendresse comme une nourrice à son enfant, et l’âne, qui tout desuite s’était jeté sur l’herbe nouvelle, s’arrêta de manger pourposer sa tête contre l’épaule de sa petite maîtresse et se fairemieux caresser : de temps en temps il inclinait vers elle seslongues oreilles et les relevait avec des frémissements quidisaient sa béatitude.

Le silence s’était fait dans l’enclosmaintenant fermé, ainsi que dans les rues désertes du quartier, eton n’entendait plus, au loin, qu’un sourd mugissement sans bruitsdistincts, profond, puissant, mystérieux comme celui de la mer, larespiration et la vie de Paris qui continuaient actives etfiévreuses malgré la nuit tombante.

Alors, dans la mélancolie du soir,l’impression de ce qui venait de se dire étreignit Perrine plusfort, et, appuyant sa tête à celle de son âne, elle laissa coulerles larmes qui depuis si longtemps l’étouffaient, tandis qu’il luiléchait les mains.

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