Les Aventures de Todd Marvel, détective milliardaire

CHAPITRE III – UNE CLEF QUI N’OUVREPAS

Après cinq semaines d’attente, le jour étaitarrivé où Dadd allait comparaître devant la cour d’assises. Endépit des efforts de Me Garrison, la condamnation de sonclient paraissait certaine. Il se trouvait parmi les membres dujury plusieurs amis de Mr Gryce qui étaient fermement décidésà n’accorder au jeune vaurien aucune circonstance atténuante.

Dadd était au courant de cette circonstance,mais n’en paraissait pas ému. Depuis quelques jours, ilémerveillait ses geôliers par sa belle humeur et les amusait parmille facéties. Ils en venaient à se demander si ce jovial« fellow » était vraiment un assassin ; beaucoup lecroyaient innocent.

Quand on vint le chercher pour le conduire aupalais de justice, il manifesta la plus grande satisfaction :il déjeuna de grand appétit sous les yeux du geôlier qui allait leconduire à la voiture cellulaire.

– Je suis charmé de comparaître devant lejury, déclara-t-il avec son aplomb habituel, je commençais à enavoir assez de vivre en cellule. Franchement, est-ce une existencepour un sportif comme moi ?

– Je ne dis pas… fit le gardien ébahi,alors, vous êtes bien sûr d’être acquitté ?

– Je vous parie dix dollars que je serailibre ce soir !

– Je ne parie jamais.

– Vous seriez sûr de perdre. Je suisinnocent.

– Ce n’est pas ce que tout le monde dit,mais comment convaincrez-vous le jury, les juges ?

– C’est mon affaire. Je leur prouverai àtous que je suis encore plus malin qu’eux. »

Et Dadd éclata d’un de ces bons et francsrires qui le rendaient tout de suite sympathique.

Son repas terminé, il se laissa gaîment mettreles menottes et se mit en route en devisant avec le gardien.Celui-ci le conduisit d’abord au bureau pour remplir certainesformalités. Là se trouvaient déjà une demi-douzaine de détenusarrêtés dans la nuit, et dont on enregistrait les noms et prénoms.Dadd et son geôlier durent attendre leur tour.

Du bureau, on passa dans la vaste cour oùs’alignaient les voitures cellulaires, un peu plus vastes, maissomme toute peu différentes de notre populaire « panier àsalade » sauf qu’elles sont à traction automobile.

Dadd, toujours escorté de son inséparablecompagnon, monta à l’intérieur du véhicule dont un second gardienferma la porte à clef, avant de se hisser sur le marchepied de lavoiture. Le chauffeur mit son moteur en marche et le lourd véhiculedémarra.

Grâce à une petite fenêtre grillée, l’homme dumarchepied, comme le veut le règlement, ne perdait pas de vue leprisonnier, cependant, quand il vit ce dernier engagé dans uneconversation animée avec son gardien, sa surveillance se relâchaquelque peu.

On avait parcouru sans incident la moitié dutrajet, quand dans California Street, la voiture cellulaire duts’arrêter. L’essieu d’un camion chargé de poutres d’acier venait dese rompre, la rue se trouvait barrée dans sa largeur et de ce fait,une foule de véhicules se trouvaient immobilisés.

Immédiatement derrière la voiture cellulaire,qui, prise dans l’encombrement, ne pouvait ni avancer ni reculer,il y avait une charrette de fruits, traînée par deux chevaux quiparaissaient ombrageux, sinon à demi sauvages. En dépit des effortsde leur conducteur, un paysan d’allure athlétique, ils ruaient,hennissaient, pétaradaient, de façon à rendre intenable lasituation du gardien du marchepied.

Une violente discussion s’ensuivit entre lesdeux hommes.

– Faites reculer vos chevaux !criait l’un.

– Vous voyez bien que je ne peux pas,répliquait l’autre !

Après un copieux échange d’épithètesdésobligeantes, la paix se fit entre le charretier et le geôlier,ce dernier consentit même obligeamment à tenir un instant la brided’un des chevaux pendant que son interlocuteur rattachait unesangle.

Quand il voulut reprendre sa place sur lemarchepied, il trouva à sa profonde stupeur la porte qu’il avaitfermée lui-même un quart d’heure auparavant, à moitié ouverte, etle plus inexplicable, c’est que la clef était demeurée sur laserrure, extérieurement.

Il sauta d’un bond à l’intérieur, il y trouvason camarade, râlant sur le plancher, une fine cordelette autour ducou.

Dadd avait disparu, ne laissant d’autrestraces de sa présence que les menottes qui lui liaient les mainsderrière le dos et dont il avait trouvé moyen de sedébarrasser.

Le malheureux geôlier était désespéré.

– Je vais être révoqué, peut-êtrepoursuivi ! se disait-il éperdu, on ne me croira jamais… Lecharretier et le chauffeur du camion doivent être complices !…Il faudrait donner la chasse à ce gibier de potence, et pourtant,je ne puis pas laisser mon camarade sans secours…

Il commença donc par couper la corde quiétranglait son collègue, et fut heureux de constater que l’asphyxien’avait pas eu le temps de faire son œuvre. Rassuré sur ce point,il se lança à la poursuite du fugitif, après avoir réquisitionnél’aide de trois policemen.

Toutes les recherches furent inutiles, il nefut pas plus possible de retrouver Dadd que s’il s’était évanoui enfumée.

John Jarvis aussitôt prévenu se livra à uneenquête qui mit en lumière divers traits curieux tout à l’honneurde la sagacité de Master Dadd.

– Voici, expliqua le célèbre détective audirecteur de la prison et à l’inspecteur en chef de la police,comment les faits se sont passés. Reprenons les choses dès lecommencement. Il a bien fallu que quelqu’un débarrasse notre hommede ses menottes. Avant de monter dans la voiture Dadd n’a-t-il vupersonne ?

– Il est demeuré dix minutes dans lebureau de l’écrou où se trouvaient quelques malfaiteurs arrêtés lanuit dernière.

– Cela suffit. Soyez certains que, parmieux, il s’en trouvait un ou peut-être plusieurs, qui s’étaient faitarrêter pour quelque délit insignifiant, dans le seul but dedélivrer Dadd de ses menottes.

– Mais, objecta le directeur, il ne leura pas adressé la parole, il leur a tourné le dos tout letemps.

– Précisément, le truc est bien connudans les pénitenciers ; les deux bandits se sont rapprochésdos à dos jusqu’à ce que le ressort des menottes de Dadd se soittrouvé à portée des mains de son complice, celui-ci n’a eu qu’unléger mouvement à faire pour déclencher le ressort. Quand Dadd estmonté dans la voiture, les menottes étaient ouvertes au lieu d’êtrefermées, comme le croyaient ses gardiens.

« Il est facile alors de reconstituer lascène, pendant qu’un autre complice, déguisé en charretier occupel’attention du gardien placé sur le marchepied, Dadd se débarrassede ses menottes et profite du moment où son geôlier lui tourne ledos pour lui passer au cou une cordelette préparée d’avance.L’homme est à moitié étranglé avant d’avoir pu jeter un cri…

– Tout cela n’explique pas, interrompitl’inspecteur en chef, comment Dadd a pu ouvrir la porte de lavoiture ?

– Il n’a pas eu besoin de l’ouvrir, laporte était ouverte, il n’a eu qu’à la pousser, ce qui vousexplique qu’on ait retrouvé la clef sur la serrure, extérieurement.Vous avez cette clef ?

– La voici.

– Regardez-la avec attention. C’est unede ces clefs à pivot intérieur dont font usage les détrousseurs decoffre-fort. La clef est divisée en deux parties dont l’une tournesur l’autre, de façon à donner à celui qui s’en sert l’illusionqu’il a fait jouer le pêne de la serrure… Avec cette clef, on peutouvrir une porte, mais on ne peut pas la fermer. Le gardien s’estimaginé avoir fermé la porte, alors qu’il n’avait fait que fairetourner la tige de la clef sur le penneton.

« Le reste se devine, Dadd quefavorisait, dans ce cas, sa petite taille, s’est faufilé dans lacohue et maintenant il doit être loin. Avouez que voilà une évasionbien combinée. Ce n’est pas pour rien que Dadd est l’élève dudocteur Klaus Kristian.

*

**

Un mois après cette audacieuse évasion, MissRosy Gryce, complètement guérie de sa blessure, épousait lecapitaine Martin Rampal. Elle eut pour témoins le milliardaire ToddMarvel et son secrétaire.

Une prime importante avait été offerte pour lacapture de Dadd et de Toby Groggan, mais en dépit des plus activesrecherches, ils ne purent être découverts[14].

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