Les Aventures de Todd Marvel, détective milliardaire

CHAPITRE III – LA CAVE DE BRONZE

Avec ses montagnes géantes aux profondesvallées, le Mexique offre une prodigieuse variété de couchesgéologiques ; dans cette terre embrasée par les volcans,secouée par les tremblements de terre, on découvre des gisements demétaux précieux et de minéraux rares d’une diversité et d’unerichesse infinies. L’or, l’argent, le platine, le mercure, lecuivre s’y rencontrent aussi bien que les rubis, les émeraudes etles topazes.

Quoique ces trésors soient défendus par desmarécages pestilentiels, des déserts, des montagnesinfranchissables, de tout temps on s’est battu pour leur possessionet cette généreuse terre mexicaine « le plus beau jardin dumonde », comme l’a appelée un poète espagnol, a été largementarrosée de sang.

Aujourd’hui la lutte se continue sous d’autresformes. Malgré leur ténacité, leur furieuse bravoure, dès qu’ils’agit de conquérir des dollars, les Américains ont été de longuesannées avant d’entamer ce pays mystérieux et fermé, replié enlui-même et qui n’avait guère changé depuis Fernand Cortez.Actuellement, ils y possèdent des chemins de fer et des mines,concurrencés en cela par les Anglais et les Allemands, et chaqueannée l’œuvre de pénétration se poursuit avec persévérance.

Demain, c’est au Mexique – où l’on a découvertles plus riches sources du monde – que se livrera la grandebataille pour le pétrole, qui, de plus en plus, deviendra le grandet peut-être l’unique combustible industriel.

Déjà les trois peuples impérialistes prennentposition, achetant fiévreusement des terrains, sollicitant desconcessions des éphémères dictateurs de ce pays où règne enpermanence la guerre civile.

Dans un rayon de dix milles autour del’Estanzilla il n’y avait pas moins de quatre exploitationsminières, deux anglaises, une américaine – la mine d’or de laMexican Mining Bank – et une allemande dont les concessionnairesopéraient des sondages pour la recherche du pétrole.

Ce dernier établissement, encore à ses débuts,ne comprenait que quelques hangars au-dessus desquels s’élevaientles échafaudages du derrick ou superstructure des puits desondage, construit au fond d’une vallée de la Cordillère quebordaient de toutes parts des rochers abrupts.

C’est vers ces bâtiments où brillaient encorequelques lumières qu’un peu avant minuit, se dirigeait à brideabattue une amazone montée sur une superbe jument de raceandalouse. Sans modérer son allure elle franchissaitinsoucieusement les ravins, les cours d’eau et les rochers, suivaitparfois des sentiers qui côtoyaient des gouffres.

Le ciel était d’un bleu profond d’une douceurde velours où les étoiles luisaient comme une poussière dediamants, répandant sur le paysage tourmenté une lueur argentée,infiniment mystérieuse. Dans ce décor de silence et de sérénité,l’amazone passait comme un ouragan.

Elle fit halte à deux pas de la palissade quientourait les bâtiments, sauta en bas de sa jument baignée de sueuret tira la corde d’une cloche. Des abois de chiens retentirent, ily eut un va-et-vient de lumières à l’intérieur et un hommequ’escortaient de grands dogues d’Ulm parut à la barrière àclaire-voie.

– Que désirez-vous ? demanda-t-il àla visiteuse, en espagnol, mais avec un fort accent allemand.

– Il faut que je voie tout de suite leseñor ingénieur, répondit-elle avec impatience. Je suis donaViolante Alvaredo.

L’homme ouvrit aussitôt la barrière etintroduisit la jeune femme dans une pièce aux murs nus, uniquementmeublée de tables et d’escabeaux de bois blanc, et qu’éclairaitd’une vive lueur une lampe à acétylène. Quand Violante entra,l’ingénieur était fort occupé à coller des étiquettes, portantchacune un chiffre et une annotation, sur de petits flacons remplisd’un liquide brun ou verdâtre, qui était du pétrole brut. Sur uneautre table, des spécimens des couches traversées par la sondeétaient méthodiquement alignés dans de petites boîtes plates.

Assez corpulent, l’ingénieur paraissait avoirdépassé la quarantaine. Sa face carrée, aux mâchoires lourdes,exprimait une énergie puissante, mais brutale : le front trèsvaste était surmonté d’une forêt de cheveux roux ; derrièreles sourcils pâles, les yeux petits et d’un jaune verdâtre,étincelaient d’intelligence et de ruse.

– Asseyez-vous, señora, dit-il enavançant un escabeau à la visiteuse.

Celle-ci paraissait trop surexcitée pouraccepter cette offre. Essoufflée et rouge, les yeux brillants defièvre, elle allait et venait par l’étroite pièce. Elle rejeta sonmanteau et l’ingénieur s’aperçut que son corsage de velours bleuorné de broderies d’or, était taché de sang, il y avait aussi unpeu de sang sur sa main droite, couverte de bagues de grandprix.

Émue, hésitante, en proie sans doute à unviolent combat intérieur, elle ne se décidait pas à prendre laparole, mais l’angoisse se peignait sur ses traits bouleversés,dans ses admirables yeux noirs d’où les larmes semblaient prêtes àjaillir.

– Que se passe-t-il donc, señora ?demanda enfin l’ingénieur. Vous paraissez troublée, jamais je nevous ai vue ainsi.

– Je viens de faire une mort…murmura-t-elle avec un frémissement de tout son corps. J’ai tuéLorenza… une de ces filles de rien qui vivent à l’Estanzilla, avecles hommes que commande Pedro Estrada.

Et comme son interlocuteur demeuraitsilencieux :

– Je ne m’en repens pas !continua-t-elle avec un grondement de colère dans la voix, jerecommencerais au besoin. J’ai surpris cette maudite fille avecPedrillo, je lui ai planté mon poignard dans le sein. L’envie memordait au cœur de le tuer, lui aussi ! Il m’a fallu toute mavolonté, toute la force de mon amour pour ne pas le faire… Ah, lelâche ! comment a-t-il osé me trahir, après ce que j’ai faitpour lui ?… C’est un homme sans âme, un ingrat !…

Violante fondit en larmes, elle sanglotait etse tordait les mains, tandis que l’ingénieur la considérait avec lesang-froid tranquille d’un savant qui dissèque une plante ou uninsecte.

– Il y a longtemps, poursuivit-elle, queje soupçonnais sa trahison, il se montrait presque froid avecmoi ; on eût dit qu’il ne m’embrassait que pour remplir unetâche qu’on ne peut éviter. Ah ! je n’aurais pas dû quitterl’Estanzilla. C’est pendant que j’étais à Presidio que cettecoquine a dû l’enjôler ! Ces derniers temps, c’est à peines’il avait la pudeur de cacher ses sentiments. Lorenza le suivaitpartout, il lui achetait des parures avec l’argent que j’ai gagné,moi, au prix de tant de dangers ! Quelle honte !

– Il me semble que vous ne manquez pas deparures. Vous en avez autant que la Vierge miraculeuse deCosamaloapam, qui en possède pour cent mille piastres, et qui,dit-on, rougit de plaisir, quand on la porte en procession, avectous ses bijoux.

– Ne vous moquez ni de moi ni de laVierge, reprit tristement Violante en caressant d’un geste machinalle collier de grosses perles et la rivière de diamants quis’étalaient sur sa poitrine décolletée. Je donnerais toutes cesbabioles pour que Pedrillo m’aimât comme autrefois.

– Enfin que voulez-vous de moi ?demanda l’ingénieur du ton sec et tranchant de l’homme positifauquel on fait perdre son temps.

Violante eut un regard d’une énergiesauvage.

– Vous avez raison, fit-elle, parlonssérieusement. Je veux que vous m’aidiez à reconquérir Pedrillo…

– Que voulez-vous que je fasse.

– Écoutez-moi. Cela est triste à dire,mais je ne le tiens que par l’argent. Il faut que vous m’aidiez àfaire sortir de l’Estanzilla les bank-notes que j’ai rapportées dePresidio.

Les petits yeux de l’ingénieur lancèrent unéclair furtif, sa physionomie se détendit.

– Je vais réfléchir, dit-il.

– Puis, continua-t-elle, un peu calmée,c’est lui rendre service, à Pedrillo ; depuis que cet argentest entré à l’Estanzilla, c’est une orgie perpétuelle, les hommespassent la nuit à danser, à boire et à jouer de la guitare… Toutela somme s’en ira en fumée, comme cela est arrivé chaque fois quenous avons fait une prise importante.

« Cela je ne le veux pas, si PedroEstrada n’est pas ambitieux, il faut que je le sois pour lui. Je mesuis juré qu’il serait dictateur et les bank-notes ne doivent pasêtre employées à autre chose !

– Puis, fit l’ingénieur en baissant lavoix, il y a une autre raison pour que l’argent ne reste pas àl’Estanzilla. Ceux auxquels il appartenait vont essayer de lereprendre. Je sais de source certaine qu’ils sont en ce moment à lamine de Santa Maria où ils organisent une expédition contre PedroEstrada.

– Qui vous a dit cela ?

– Vous devez savoir que je suis toujoursbien informé. Qui donc vous a donné la marche à suivre dans votreaffaire de Presidio ? Qui vous a fait acquérir à vil prix cesterrains que la société que je représente a rachetés à beauxdeniers comptants ? Qui vous a maintes fois prévenus quand ily avait une bonne capture à faire, ou quand les troupes régulièresse préparaient à vous donner la chasse ? Convenez que je mesuis toujours montré votre ami et un ami bien renseigné ?

– Aussi n’ai-je confiance qu’en vous.C’est ici que je déposerai les bank-notes. Je vous sais capable deles défendre.

– Oui, mais il ne faudrait pas troptarder.

– Vous allez venir avec moi, cette nuitmême, à l’instant ! Le moment est propice. Les hommes fontbombance, à cette heure-ci les trois quarts d’entre eux dormentdéjà, assommés par le pulque et l’eau-de-vie de canne.

– Mais Pedro Estrada ?

– Il est parti comme un fou, à francétrier, chercher un médecin pour la Lorenza qui n’était pas encoretout à fait morte.

« Je crains bien, ajouta-t-elle avec unsourire féroce, qu’il ne la trouve pas vivante quand ilrentrera…

– Nous allons partir de suite. Vous savezcomment ouvrir la cave de bronze ?

– Oui, j’ai la double clef de la porte etje sais le mot de la combinaison. Pedrillo n’a pas osé me lesretirer.

Pendant la dernière partie de cetteconversation, l’ingénieur s’était armé, avait jeté un manteau surses épaules et s’était coiffé d’un sombrero. Il se fit amener soncheval par un péon et bientôt il galopa aux côtés de Violante, parles chemins raboteux qui conduisaient à l’Estanzilla.

Ils en étaient encore à une certaine distance,lorsque le son des guitares leur arriva, porté par la brise. Enmême temps ils constatèrent que les fenêtres de l’ancien fortétaient brillamment illuminées.

– Voilà ce qu’ils font toutes les nuits,murmura Violante avec mépris ; ils ne sont guère bons à autrechose !

À mesure que la jeune femme et son compagnonse rapprochaient, ils discernaient plus distinctement le vacarmedes cris, des rires et des chansons.

Ils arrivèrent près du pont-levis qui étaitabaissé.

– C’est parfait, s’écria Violante quandils eurent franchi la porte qu’ils trouvèrent entrebâillée,personne n’est là pour surveiller les allants et venants. Lesgardiens sont ivres morts.

– Tant mieux pour nous ! ricanal’ingénieur.

La cour était déserte ; seuls unedouzaine d’ivrognes dormaient au clair de lune, sur la pierre nue,en chantonnant encore dans leur sommeil quelque vague refrain.

– Ils mériteraient que les yankeesviennent cette nuit et les égorgent jusqu’au dernier ! s’écriaViolante indignée.

– C’est qu’il n’y aurait riend’impossible à cela, grommela son compagnon dont le front serembrunit. Hâtons-nous, il faut aller vite en besogne.

Tous deux allèrent attacher leurs chevaux sousun hangar où s’en trouvaient déjà un grand nombre d’autres, et, sefaufilant le long des murs, gagnèrent le fond de la cour, enévitant de passer près de la salle d’où s’élevait le tumulte del’orgie.

Ils étaient arrivés devant une porte basselorsque Violante se retourna, comme hésitante.

– Avant tout, fit-elle, j’ai bien envied’aller voir si la Lorenza a fini de mourir.

– Pourquoi ?

– Parce que, murmura-t-elle avec unsourire féroce, si par hasard elle était encore vivante, jemettrais bon ordre à cela…

– Je ne vous savais pas si cruelle,répliqua l’ingénieur avec une sourde colère, ne vous occupez pas decette fille ! Je vous déclare que je renonce à vous aider sivous ne voulez pas suivre mes conseils.

– Soit, déclara la jeune femme,haineusement, j’irai voir la Lorenza un peu plus tard.

Elle ouvrit la porte où aboutissaient lesdernières marches d’un large escalier de pierre aux marchesbranlantes. Ils descendirent avec précaution à la clarté d’unepetite lampe électrique que tenait Violante.

Après avoir compté trente marches, ils setrouvèrent dans une galerie creusée dans le roc sur lequel le fortétait construit.

– Voici l’entrée de la cave de bronze,déclara Violante, en montrant l’extrémité de la galerie où sur lateinte bleuâtre du granit se découpait un rectangle d’uneéblouissante couleur verte.

– Qui diable a eu l’idée d’une semblableinstallation ? demanda l’ingénieur avec surprise. Celacoûterait aujourd’hui une somme folle.

– La cave de bronze remonte peut-être autemps de Cortez ; c’est là qu’on serrait les sacs de poudred’or et les barres d’argent avec lesquels les Indiens payaientl’impôt aux conquistadors. Plus tard les Français la transformèrenten poudrière ; enfin, Pedrillo a fait adapter à la porte parun serrurier de Mexico le mécanisme d’un coffre-fort moderne.

Ils s’étaient approchés. Violante manœuvrarapidement les boutons de métal qui commandaient la serrure.

– Quel est le mot ?demanda-t-il.

– Je n’ai pas le droit de vous le dire.D’ailleurs que vous importe, puisque nous prendrons tout.

– C’est juste, fit-il avec dépit.

La porte s’était entrebâillée, mais elle étaitsi massive qu’ils durent réunir leurs efforts pour l’ouvrirentièrement.

La clarté de la lampe électrique montrait lesparois – du même vert éclatant que la porte – d’une chambre de dixà douze mètres de longueur sur quatre de largeur. Il n’y avaitaucun soupirail, aucune prise d’air, aucune ouverture versl’extérieur, et il s’exhalait de ce réduit une amère et nauséeuseodeur de vert-de-gris.

Violante et son compagnon se reculèrentchassés par ce souffle pestilentiel. Ils apercevaient au fond dusouterrain, la valise qui refermait les bank-notes et, à côté, untas régulier d’objets brillants.

Pendant qu’ils attendaient que l’air se fûtrenouvelé dans l’intérieur de la chambre de bronze afin de pouvoiry pénétrer sans danger, ils demeurèrent silencieux. Le chant desguitares assourdi par l’épaisseur des voûtes leur arrivait vague etlointain comme dans un rêve.

Ils se sentaient envahis pas une étrangeémotion que nul des deux n’eût voulu avouer à l’autre.

Tout à coup l’ingénieur tressaillit, il avaitcru entendre le bruit étouffé d’un gémissement.

– Est-ce que je déraisonne ?balbutia-t-il, il m’a semblé…

– Ne faites pas attention à cela,répondit-elle, il y a quelques prisonniers dans les cachots.

De la main elle lui montrait plusieurs portessituées à droite et à gauche de la galerie, qu’il n’avait pasremarquées en arrivant, car le bois et la pierre envahis par lesmoisissures se confondaient dans une même teinte.

– Il faut en finir, ajouta-t-elle, j’aihâte d’être sortie d’ici.

Elle alla jusqu’au fond de la chambre debronze et souleva la valise.

– Qu’est-ce qui brille là-bas ?demanda-t-il.

– Ce sont des lingots d’or, la réserve dePedro Estrada.

– Nous allons les emporter, jesuppose ?

– Non, c’est impossible, Pedrillo m’adéfendu d’y toucher sous peine de grands malheurs. Je lui ai juréde ne jamais essayer de les prendre.

– Vous êtes vraiment naïve, ricana-t-il,vous croyez tout ce qu’on vous dit. Le malheur sera pour lui de neplus trouver ses lingots ! Allons, passez-les-moi, ils serontmieux entre nos mains qu’entre les siennes !

Après une seconde d’hésitation, la jeune femmeobéit et remit à l’ingénieur une barre d’or de la forme et de lagrosseur d’une brique. Elle retourna en chercher une secondequ’elle lui donna comme la première.

Mais au moment où elle soulevait la troisième,un déclenchement se produisit et la porte de bronze se refermarapidement, avec le bruit d’un coup de canon, dont les voûtes dusouterrain répercutèrent longtemps le grondement solennel.

L’ingénieur demeura immobile, si troublé qu’illaissa tomber sa lampe électrique qui s’éteignit.

Il trébuchait dans les ténèbres, tâtonnantpour trouver l’escalier, si ému qu’il ne songeait même pas aux deuxlingots qu’il avait déposés à terre.

– Elle est perdue ! bégaya-t-il enclaquant des dents. Pourquoi n’a-t-elle pas voulu me dire lemot ?…

Un frisson d’épouvante lui descendait le longde l’échine, lorsque tout à coup jaillit des portes refermées unhurlement de bête qu’on égorge, un appel déchirant qui n’avait plusrien d’humain, et la sonorité du métal, dont les vibrations serépercutaient avec une lenteur majestueuse, comme celles descloches, amplifiait de terrifiante façon ces accentsdouloureux.

Se cognant aux murailles, l’ingénieur s’enfuità moitié fou et ses pieds se heurtèrent contre les premièresmarches de l’escalier. Il lui semblait qu’il était poursuivi parles râles d’agonie de la misérable Violante, scellée toute vivedans le sépulcre de bronze, à l’atmosphère vénéneuse.

Il gravit quelques marches, le visage baignéd’une sueur glacée, puis s’arrêta une seconde, le cœur gonflé parune intolérable angoisse, il constatait que l’horrible clameur quil’avait remué dans toutes les fibres de son être allait déjà endiminuant, se muait en un gémissement ininterrompu comme legrondement d’un gong.

– Il faut pourtant que jeredescende ! se cria-t-il à lui-même.

Farouchement, il revint sur ses pas, et, àquatre pattes sur le visqueux, il chercha sa lampe. Les mainstendues il explorait les ténèbres, s’efforçant au sang-froid.Pendant dix minutes mortelles, il tâtonna au hasard. Enfin, iltrouva ce qu’il voulait.

La voix de la moribonde, cette voix quisemblait venir de l’autre côté du tombeau, s’était tue brusquement.Dans un milieu hermétiquement isolé de l’air extérieur, l’asphyxieaccomplit son œuvre avec une rapidité foudroyante. Violante étaitsans doute déjà morte, ou tout au moins évanouie.

Ce funèbre silence parut à l’ingénieur aussiterrible à supporter que les cris déchirants qui retentissaientquelques instants auparavant. Il venait de ramasser précipitammentles deux lingots et se préparait à quitter ce lieu de désolationlorsqu’une inquiétude lui vint.

Il gratta le métal avec son couteau, le cuivreapparut sous la mince couche d’or. Il rejeta les lingots, furieuxde la déconvenue. Il remarqua alors que sur l’éclatant fond vert dela porte de bronze on avait grossièrement dessiné une tête de mort,suivie du chiffre 3.

– Il aurait fallu, songea-t-il,comprendre cet avertissement ou cette menace énigmatique. PedroEstrada est sans doute le seul à savoir qu’en déplaçant letroisième lingot, on déclenche le mécanisme de la fermeture…

Maintenant qu’il avait surmonté sa peur d’uninstant et maté ses nerfs, l’ingénieur demeurait exaspéré de cetteexpédition manquée.

– Allons-nous-en, grommela-t-il.

Il se rapprocha de l’escalier, mais au momentoù il allait s’y engager, un homme apparut au haut des marches, auxrayons de la lune sa silhouette se détachait en vigueur sur lecadre de la porte qui aboutissait à la cour et qui était demeuréeouverte.

L’ingénieur étouffa un juron, la retraite luiétait coupée par le nouveau venu, dans lequel il crut reconnaîtrePedro Estrada.

Il n’eut que le temps d’éteindre sa lampe etde se rejeter en arrière ; il laissa l’inconnu qui était munid’une petite lanterne sourde descendre tranquillement, mais aumoment où il mettait le pied sur le sol de la galerie, il lui brûlala cervelle, presqu’à bout portant, avec son browning.

La minute d’après, il s’élançait vers lehangar où il avait attaché son cheval, montait en selle etfranchissait au galop la porte de l’Estanzilla.

Il n’en était pas éloigné de plus de cinqcents mètres quand un homme se dressa devant lui en lui intimantl’ordre de faire halte.

Pour toute réponse, il déchargea son browningdans la direction de celui qui lui barrait le passage et enfonçases éperons dans le ventre de son cheval ; des coups de feuéclatèrent.

Plusieurs balles traversèrent son manteau etblessèrent son cheval ; une autre lui enleva son feutre. Lalune un instant voilée par un nuage se dégageait éblouissante, lestraits du fugitif apparurent en pleine lumière.

– Klaus Kristian ! cria une voixdans la nuit.

– Nous nous reverrons, Todd Marvel !répondit le docteur, avec un ricanement.

Au milieu de la grêle de projectiles quicontinuait à siffler à ses oreilles, le bandit enleva son cheval etd’un bond lui fit franchir une large crevasse, ce qui rendait toutepoursuite inutile.

Les ouvriers de la mine d’or de Santa Mariaque le détective avait armés pour faire le siège de l’Estanzilla,sortaient maintenant de derrière les rochers et les buissons où ilss’étaient mis en embuscade. Grâce à l’obscurité, grâce aussi à lanégligence des bandits, ils avaient peu à peu cerné la petiteforteresse.

– Je suis allé jusque dans la courintérieure, déclara Floridor, il est inutile de nous cachermaintenant, les portes sont ouvertes et le pont-levis abaissé.Personne ne nous fera résistance.

– Et Ned Markham ?

– Il est entré dans l’Estanzilla et n’enest pas ressorti. Je crains qu’il ne se soit laissé surprendre.

– Nous allons bien voir.

D’un coup de sifflet Todd Marvel rassembla seshommes : ils étaient au nombre d’un centaine, tous résolus etbien armés.

L’Estanzilla fut sur-le-champ occupée sanscoup férir.

Ceux des bandits qui n’étaient pascomplètement ivres furent capturés avant d’avoir eu le temps defaire usage de leurs armes, mais on ne put découvrir ni Violante,ni Pedro Estrada.

Les prisonniers interrogés déclarèrent que« le général » et son amie avaient isolément quitté lefort, dans le courant de la soirée.

– Je crains bien que nous n’arrivionstrop tard, dit le détective. L’intervention de Klaus Kristian danscette affaire ne me dit rien de bon, puis, Markham a disparu.

– Je ne crois pas qu’il nous ait trahis,en tout cas nous ne pouvons porter aucun jugement avant d’avoirvisité la cave de bronze.

Ils en découvrirent sans peine l’emplacementet descendirent. Floridor qui marchait le premier, armé d’unetorche de résine, arrivait au bas de l’escalier lorsqu’il se trouvaen face d’un cadavre qui gisait au milieu d’une mare de sang. Ilreconnut Ned Markham.

– Le malheureux ! murmura-t-il, il adurement expié son crime.

« Il vaut mieux peut-être qu’il en aitété ainsi.

« Ce sera sans doute, plus tard, pourMiss Lilian un adoucissement à ses peines d’apprendre que son père,avant de mourir, a essayé de réparer le mal qu’il avaitfait. »

Ce fut là toute l’oraison funèbre du voleur debank-notes.

Après avoir retrouvé, non sans surprise, lesdeux lingots de cuivre doré rejetés par Klaus Kristian, Todd Marvelet Floridor étaient arrivés à la porte de bronze ; ilscomprirent du premier coup que la dynamite seule pourrait avoirraison d’une pareille fermeture. Les mineurs de Santa Maria avaientheureusement apporté une certaine quantité d’explosifs pour le casoù l’on eût été forcé de pratiquer une brèche.

On s’occupa sans perdre de temps d’installerun fourneau de mine sous le seuil de la cave.

On avait d’autant plus de raisons de se hâterqu’un retour offensif de Klaus Kristian et des travailleurs de laconcession allemande placés sous ses ordres n’était pasimpossible.

Les préparatifs étaient terminés et Floridorvenait de mettre le feu au cordon Bickford qui devait provoquerl’explosion, lorsque le vieux mineur qui l’avait aidé attira sonattention.

– Il me semble qu’on a appelé, ici, toutprès, fit-il.

– Je n’ai rien entendu, dit le Canadien,en haussant les épaules.

– C’était une voix très faible.

– Tu te trompes, tes oreilles onttinté ! Allons-nous-en !

Ils s’éloignèrent précipitamment quand, tout àcoup, Floridor se frappa le front. Il revint précipitamment sur sespas et écrasa sous son talon la mèche qui continuait à brûler.

– Mon Dieu, qu’allais-je faire !balbutia-t-il, tu ne t’étais pas trompé, il y a un prisonnier ici.Nous avions totalement oublié le fiancé de Miss Lilian, GérardPerquin !

« Quelques minutes de plus et c’en étaitfait de lui !

– Mais pourquoi n’a-t-il pas appelé plustôt ? grommela le vieux mineur.

La porte fut enfoncée d’un coup d’épaule parFloridor et l’on tira le malheureux Belge du réduit où il gisaitsur un peu de paille pourrie.

Il était si affaibli qu’il paraissait horsd’état de se tenir debout.

Il fut transporté dans la cour avecprécaution : il parut respirer avec délice l’air pur de lamontagne, et une faible rougeur colora presque aussitôt ses jouesamaigries.

Sur l’ordre de Todd Marvel on le coucha dansun hamac de fibres d’aloès, et en attendant qu’il fût assez fortpour pouvoir supporter des aliments plus solides, on lui fit boirequelques gorgées de vin d’Espagne.

Au bout d’une demi-heure de soins – bienqu’encore très faible – il était en état de remercier ses sauveurset de leur donner les renseignements qu’ils attendaient avecimpatience.

Grâce au signalement et aux photographies deViolante et de Markham dont il était muni, il avait pu les suivre àla piste jusqu’à l’Estanzilla. Il se rendait à la mine de SantaMaria pour y chercher du renfort, quand, signalé à ses ennemis parKlaus Kristian, il avait été pris par eux et jeté dans un cachotfétide où les bandits oubliaient souvent de lui apporter àmanger.

Il avait entendu tout ce que s’étaient ditKlaus Kristian et Violante Alvaredo mais, quand les portes debronze s’étaient refermées avec un bruit de tonnerre, ses nerfsdéjà ébranlés n’avaient pu résister à une pareille commotion.

Il s’était évanoui.

Il commençait à peine à revenir à lui, quandle mot de dynamite avait frappé ses oreilles.

C’était miracle qu’il eût eu la force depousser le faible cri d’appel que le vieux mineur avaitentendu.

Ce récit fut interrompu par une violentedétonation, le fort trembla dans ses fondations.

Un rugissement souterrain sembla s’élever desassises de la montagne.

Les portes de la cave de bronze venaient desauter.

*

**

Les bank-notes furent retrouvées intactes àcôté du cadavre de Violante dont le visage noirci et marbré detaches violettes gardait pourtant dans la mort une tragiquebeauté.

Son agonie, dans la cave de bronze, avait dûêtre terrible.

Son immense chevelure, toute dénouée etsouillée de vert-de-gris, était éparse autour d’elle, ses onglesétaient arrachés et des larmes de sang gouttelaient de sesprunelles.

Son dernier geste avait été pour tracer la nomde Pedrillo d’un doigt défaillant sur l’éblouissante couche verted’oxyde de cuivre qui recouvrait les parois de la chambre.

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