Les Aventures de Todd Marvel, détective milliardaire

Troisième épisode – UN VOLINEXPLICABLE

CHAPITRE PREMIER – UN HÉRITAGE ENPÉRIL

Après un virage savant, une luxueuse RollsRoyce venait de stopper devant les grilles dorées de la villa desCèdres, une des plus luxueuses maisons de plaisance de la banlieuede San Francisco.

Le détective John Jarvis descendit de lavoiture et se rendit directement au cabinet de travail du banquierJosias Horman Rabington, et, sans avoir fait antichambre une seuleminute, il fut introduit par un lad vêtu de noir à la minesévère.

Le banquier – un robuste quadragénaire à laphysionomie intelligente et loyale – paraissait préoccupé, mais, àla vue du détective, ses traits se détendirent et il eut un souriresatisfait.

– Mon cher ami, dit-il à John Jarvis enlui désignant un siège, je vous attendais avec une réelleimpatience. J’ai de graves inquiétudes au sujet de ma pupille MissElsie.

– Vous savez que je suis tout à votredisposition, murmura le détective, sans essayer de dissimulerl’émotion qu’il venait de ressentir en entendant prononcer le nomde la jeune fille.

– Voici de quoi il s’agit : la mèrede Miss Elsie avait été autrefois demandée en mariage par OliverBroom, un des rois de l’acier. Il ne fut pas agréé, et il endemeura inconsolable. Il refusa les plus riches partis, gardanttoujours au fond du cœur le culte de celle qui l’avaitdédaigné.

« Lorsqu’elle vint à mourir, il reportaune part de cette tenace affection sur la petite Elsie et l’enfant,de son côté, prit en amitié ce vieillard qui aurait pu être sonpère et qui l’accablait de cadeaux et de gâteries…

– N’est-ce pas chez lui que Miss Elsie vachaque année passer plusieurs semaines.

– Précisément. L’ex-roi de l’acier qui,depuis une dizaine d’années, a quitté le monde des affaires s’estfait construire dans la Louisiane, dans un des plus beaux sites dela vallée du Mississippi, une résidence princière, où il vit enmisanthrope, ne recevant à peu près personne. C’est là qu’Elsie setrouve en ce moment.

« Il n’y a pas longtemps qu’elle y avaitpassé ses vacances habituelles, quand, il y a quinze jours, ellereçut du vieillard une lettre pressante. Il se trouvait,expliquait-il, très affaibli ; la peur de mourir sans avoirrevu la jeune fille le tourmentait. Il exigeait qu’elle vînt luifermer les yeux, sa présence étant d’ailleurs indispensable pourles dispositions testamentaires qu’il voulait prendre en safaveur.

« Oliver Broom est puissamment riche etil a toujours promis de laisser sa fortune à Elsie. Je n’avais doncaucune raison de m’opposer au départ de ma pupille. En tant quetuteur, il était de mon devoir de ne pas laisser échapper unepareille fortune.

« Puis Elsie, très désintéressée, trèsaffectueuse, adore le vieux roi de l’acier. En apprenant qu’ilétait à la dernière extrémité, elle fondit en larmes et fitimmédiatement ses préparatifs de départ. Voilà quinze jours de celaet, depuis, elle ne m’a pas donné une seule fois de ses nouvelles.En revanche, je viens de recevoir de Betty, la femme de chambred’Elsie, cette lettre qui me cause la plus vive inquiétude.

Le banquier tendit à John Jarvis un morceau degros papier d’emballage, sur lequel ces quelques lignes étaientpéniblement tracées au crayon : Venezpromptement à notre secours,Miss Elsie et moisommes séquestrées et nouscroyons qu’on est entrain d’assassinerMr Broom. MissElsie réclame Mr JohnJarvis. Je ne puisvous donner plus dedétails. Votre respectueusementdévouée.

Betty Chanler.

Le détective s’était levébrusquement :

– Je comprends vos inquiétudes, je vaispartir de suite. Vous savez que j’ai pour Miss Elsie comme pourvous-même le plus entier dévouement.

– Vous m’en avez donné la preuve, murmuraMr Rabington en serrant avec émotion la main de John Jarvis.Mon cher ami, il faut que vous délivriez Elsie, et que vous sachiezau juste ce qu’est cette menace d’assassinat dont Oliver Broomparaît menacé.

– Je ferai ce qu’il faudra.

– Et, fit le banquier qui paraissaitmaintenant tout à fait rassuré, je sais que du moment où vous vousmêlez de quelque chose, on peut en regarder la réussite commecertaine.

– Quand y a-t-il un train pour LaNouvelle-Orléans ?

– À 16 heures, nous avons donc encoredeux heures devant nous.

– Ce ne sera pas de trop, car il y a unefoule de détails que j’ai besoin de connaître.

– Je pourrai vous documenter. Je ne suisjamais allé à Isis-Lodge – c’est le nom de la propriété deMr Broom – mais Elsie me l’a tant de fois décrite que je laconnais aussi bien que si je l’avais habitée.

« Avant tout, sachez qu’Oliver Broom estun des plus curieux excentriques de toute l’Amérique. D’uneintelligence extraordinaire, il était regardé comme un destravailleurs les plus acharnés, comme un des hommes d’affaires lesplus subtils, de ce monde spécial qu’on a appelé l’empire desaffaires et que le milliardaire Carnegie a si bien décrit dans sonlivre.

– C’est un milieu que je connais àmerveille, fit le détective avec un bizarre sourire.

– Arrivé à cinquante ans, le milliardaireliquida brusquement toutes ses parts dans différents trusts et seprit d’une belle passion pour l’archéologie. Son châteaud’Isis-Lodge est un véritable musée, des millions de dollars ontété dépensés par lui pour y entasser des idoles, des statues, desvases et jusqu’à des tombeaux et des momies. Il vit dans uneprofonde solitude au milieu de ces épaves du temps passé, et mapupille est la seule personne au monde qui ait trouvé grâce devantsa misanthropie, à part peut-être un vieux domestique de confiancequi répond au nom de Wilbur Dane et qui est, paraît-il, un trèshonnête homme, très dévoué à son maître.

John Jarvis ayant griffonné rapidementquelques lignes sur son carnet, le banquier poursuivit.

– En Europe, Oliver Broom passerait pourun fou, ici on le regarde simplement comme un excentrique et, commeen dépit de sa misanthropie avérée, il donne chaque année degrosses sommes aux institutions de bienfaisance, on le regardecomme un bon vieux gentleman tout au plus un peu bizarre.

Il est aussi très orgueilleux. Il s’est faitconstruire dans son parc un superbe mausolée de granit noir, ornéde sphynx copiés en Égypte et enfin il s’est pourvu à l’avance d’uncercueil, le plus coûteux qu’il a pu trouver, un cercueil enplatine.

– En platine ! répéta le détectiveavec stupeur.

– L’affaire a fait en son temps grandbruit dans le monde des milliardaires. Le plus amusant c’est qu’àcause de la hausse du platine, le vieil original se trouve avoirfait un placement de tout premier ordre. S’il revendait soncercueil au cours actuel, il en tirerait aisément trois ou quatrecents mille dollars…

Le banquier fut brusquement interrompu parl’entrée d’un lad qui portait sur un plateau d’or une enveloppe, degros papier gris, et, comme le détective le reconnut d’un coupd’œil, d’un papier semblable de tout point à celui de la lettre deBetty. Mr Rabington décacheta la lettre d’une main tremblante,et sans un mot, la tendit à John Jarvis. Elle ne contenait que cesmots qui paraissaient avoir été tracés avec du charbon. QueMr John Jarvis se hâte, la vie de Miss Elsie est endanger.

Betty.

Le détective s’était levé, très pâle.

– Je n’attendrai pas une minute de plus,déclara-t-il. Mon auto fait au besoin du cent cinquante à l’heure.Je peux gagner du temps sur les trains les plus directs. Je passeseulement chez moi pour prendre mon fidèle Canadien Floridor, dontla collaboration m’est indispensable dans une expédition de cegenre.

Mr Rabington était atterré. Il tournaitet retournait entre ses doigts le billet de Betty, sans trouver uneparole à dire.

– Pourvu que vous n’arriviez pas troptard, murmura-t-il enfin. Je suis dans une mortelle inquiétude. Jene dormirai pas avant d’avoir reçu de vous un télégramme rassurant…Mais, je n’y songeais pas ! Voulez-vous que je vousaccompagne ?

– C’est tout à fait inutile. Votreprésence là-bas attirerait l’attention et me gênerait plus qu’ellene me servirait. Vous pouvez être persuadé que je ferai tout ce quidoit être fait. Vous aurez un télégramme dès que je pourrai vous enenvoyer un.

Aussi troublés que s’ils se fussent dit unéternel adieu, les deux amis échangèrent un suprême shake-hand auseuil de la villa, puis le banquier regagna tristement son cabinetde travail. Une demi-heure plus tard, l’auto de John Jarvis quepilotait le Canadien Floridor, fuyait à travers les campagnes à lavitesse d’un bolide. À un passage à niveau – dans cette partie del’Amérique les barrières sont inconnues – la locomotive d’unexpress effleura la voiture qui fit une formidable embardée et quieût capoté sans la poigne et l’habileté du Canadien. Un peu plusloin, l’auto culbuta un cheval et le tua, le vaquero qui conduisaitle troupeau mit Floridor en joue avec le rifle dont il était armé.John Jarvis pour toute réponse jeta sur la route un paquet debank-notes. Quand l’homme qui s’était baissé pour ramasser lesprécieux papiers, se releva, la voiture n’était déjà plus qu’unpoint noir à l’horizon.

Cette course vertigineuse dura deux jours etdeux nuits.

Quand Floridor était fatigué John Jarvisprenait le volant à son tour et le Canadien faisait un somme puisreprenait son poste sitôt qu’il avait pris un repos suffisant.

Il faisait nuit noire quand enfin ilsatteignirent le village de Clairmount à trois millesd’Isis-Lodge.

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