Les Aventures de Todd Marvel, détective milliardaire

CHAPITRE II – DADD EN PRISON

Le détective John Jarvis assisté de sonsecrétaire et ami le Canadien Floridor Quesnel était occupé – commeil le faisait tous les jours, depuis quelque temps – à dépouillerun volumineux courrier venu d’Europe, quand on annonça le capitaineMartin Rampal, le fiancé de Rosy Gryce.

Le brave marin paraissait radieux.

– Je parie que Miss Gryce va mieux ?s’écria Floridor, après avoir cordialement serré la main de soncompatriote. Cela se devine rien qu’à ta façon de sourire.

– C’est vrai, elle est aussi bien quepossible.

– À quand la noce ? demanda gaiementJohn Jarvis.

– Dès que ma petite Rosy sera tout à faitrétablie, ce qui ne tardera pas. Maintenant que cette vilainehistoire est finie, elle a autant de hâte de s’appelerMrs Rampal, qu’elle en avait peu il y a quinze jours.

– Et tu nous invites ?

– Il ne manquerait plus que je vousoublie. Vous serez les deux témoins de la mariée, c’est une affaireentendue…

– Je suis heureux de ces bonnesnouvelles, interrompit John Jarvis, somme toute, la blessure estmoins grave que je ne le craignais ?

– La lame a glissé le long des côtesheureusement et n’a pas traversé la cage thoracique. Rosy estdebout depuis plusieurs jours. Bien qu’elle soit un peu honteuse des’être laissée rouler aussi naïvement, jamais je ne l’ai vue aussigaie : elle rit maintenant de bon cœur, quand on lui parle dufaux ministre, avec son bout de cierge, sa Bible et son surplis.Beaucoup, après une aventure pareille ne feraient pas preuve d’unaussi bon caractère.

– Ce qui m’ennuie, reprit Floridor, c’estqu’on n’ait pas pu mettre la main sur le complice de Dadd, ceWalker qui nous a glissé entre les doigts comme une anguille.

– Je vais peut-être vous donner lesmoyens de le pincer. C’est précisément pour cela que je suis venuvous voir.

– Vous avez des « tuyaux » surce triste personnage ? demanda John Jarvis.

– Mieux que cela, j’ai sa photographie,cela vous permettra peut-être de l’identifier, car on ne m’ôterapas de l’idée, que ce nom de Walker n’est pas le sien.

– Je suis tout à fait de votre avis. Cedoit être quelque convict en rupture de ban, et je ne serai pasétonné qu’il fût bien connu de la police. Mais une question :comment avez-vous pu vous procurer cette photo ?

Le capitaine Rampal eut un gros rire.

– Bien facilement. C’est Rosy qui me l’adonnée. Cet effronté scélérat avait eu le toupet de la lui offriravec une dédicace : à ma chère fiancée Rosy. Elle aété si humiliée quand elle a su à qui elle avait eu affaire qu’ellesera aussi contente que moi quand Walker aura été rejoindre soncomplice en prison.

Le capitaine avait tiré la photo de sonportefeuille, il la passa à John Jarvis qui l’examina longuementpuis la tendit à Floridor.

– Il me semble que j’ai déjà vu cettetête-là quelque part, fit le Canadien.

– J’ai la même impression, dit ledétective, mais nous examinerons ce document tout à loisir.

Le capitaine Rampal s’était levé.

– Je me retire, dit-il. Je sais que vousavez de la besogne par-dessus la tête : je serais navré devous faire perdre un temps si précieux.

– Tu es bien pressé, répliquamalicieusement Floridor, avoue plutôt que tu es attendu par MissRosy.

– C’est ma foi vrai, fit le brave marinen gagnant la porte. On m’a toujours dit que j’avais bien fait dene pas entrer dans la diplomatie, je ne sais pas cacher ce que jepense…

Quand le capitaine se fut retiré, John Jarvisreprit la photographie du prétendu Walker et se mit à l’étudiersilencieusement.

– S’il n’avait pas la moustache blonde,comme nous l’avons constaté à Cliff-House, je sais bien à qui ilressemblerait.

– Et moi aussi.

– Mais on peut changer la couleur de sesmoustaches. Tiens donne-moi le dossier de l’affaire TobyGroggan[12]. Je crois que cette fois je ne metrompe pas. »

Floridor ouvrit une armoire de fer remplie dehaut en bas de paperasses soigneusement classées et en tira undossier qui renfermait, entre autres documents, une série dephotographies.

« Nous avions deviné juste, déclara leCanadien. Il suffit d’un coup d’œil pour se rendre compte que leprétendu Walker n’est autre que ce Toby Groggan qui joua siaudacieusement le rôle de notre ami Rabington pendant que cedernier était retenu prisonnier par Klaus Kristian.

– Il s’est donc évadé ?

– Non, répliqua Floridor en mettant sousles yeux de John Jarvis une coupure de journal assez récente. TobyGroggan, qui avait fait preuve de courage au cours d’un incendie, abénéficié d’une commutation de peine. Il est libre comme l’air.

– Ce qui m’inquiète, c’est qu’il soitrevenu tout droit à San Francisco.

– Ce ne peut être que dans de mauvaisesintentions. Nous savons que ce scélérat, aux multiples avatars,n’est autre que le fils de M. Rabington, ce fils que l’oncroit mort depuis des années. La présence de ce misérable, si prèsde son père, ne me présage rien de bon pour la tranquillité de cedernier. S’il était au courant de ce que nous savons, il n’endormirait plus…

Cette conversation fut interrompue par le Noirqui remplissait les fonctions de valet de pied : il apportaità son maître une lettre urgente qu’on venait d’apporter.

John Jarvis l’ouvrit, et après en avoir prisconnaissance la rejeta sur son bureau avec un mouvement dedépit.

– Lis cela, murmura-t-il : Vousêtes averti que si Dadd n’est pas promptement remis enliberté, de graves ennuis menacent Mr Rabington et sacharmante pupille Miss Elsie. Ne dirait-on pas que cemisérable a entendu notre conversation.

– Êtes-vous bien sûr que cette lettrevienne de lui ?

– Qui veux-tu qui l’ait écrite ?D’ailleurs, compare l’écriture avec celle de la dédicace à Rosy. Iln’y a pas le moindre doute à avoir.

– Je t’avoue que je suis inquiet. Je sensdans tout cela la main de Klaus Kristian.

– Que décidez-vous ? Je suppose quevous n’allez pas céder aux menaces de ce convict ?

– Ce serait mal me connaître que des’imaginer une pareille chose. Je vais tout simplement tâcher depincer ce Toby Groggan – puisque tel est maintenant son nomlégalement – avant qu’il n’ait eu le temps de nuire. Demandel’auto, nous sortons.

– Et nous allons ?

– À la prison, voir Dadd lui-même.Peut-être, nous fournira-t-il quelques renseignements précieux surson complice.

*

**

L’honorable Mr Hobson, directeur de laprison, fit à John Jarvis l’accueil le plus empressé, il consentitsans la moindre difficulté à faire venir Dadd au parloir, afin quele détective pût lui poser toutes les questions qu’il jugeraitconvenable.

Pendant qu’un gardien courait chercher leprisonnier, l’aimable directeur donna sur celui-ci quelques détailsintéressants.

– Ce Dadd, expliqua-t-il, ne me faitnullement l’effet d’un criminel endurci. Il se montre très soumiset même très pieux. Il a fait demander à plusieurs reprisesl’aumônier de la prison, et celui-ci se montre enchanté des bonnesdispositions de son pénitent. En outre, Dadd est un garçon fortintelligent, plutôt sympathique, il a, du premier coup, su seconcilier les bonnes grâces de tout le personnel.

– Ne vous y fiez pas trop, murmura ledétective, c’est un des plus rusés chenapans que je connaisse.

– Il ne m’a pas produit cette impression,répondit le directeur assez sèchement.

– Qu’il soit sympathique tant qu’ilvoudra, reprit John Jarvis quelque peu vexé, il n’en a pas moinstenté d’assassiner une jeune fille.

– Je n’ai pas dit qu’il fût sansreproches, reprit le directeur, sur l’esprit duquel décidément,Dadd avait su déjà prendre une certaine influence, je n’ai pas ditcela, mais il a une façon d’expliquer ce qu’on appelle son crimequi montre l’affaire sous un jour tout différent.

– Je serais curieux de savoir ce qu’ilpeut bien alléguer pour sa justification.

– Il prétend qu’en servant de complice àson ami Walker, dans la cérémonie tragi-comique du mariage enpleine mer, il n’a cru faire qu’une simple farce, une farce d’ungoût déplorable, évidemment, mais quand il a vu des hommes,affublés de peaux de phoque, tirer sur lui, il a perdu la tête. Ils’est imaginé que Miss Gryce l’avait attiré dans un guet-apens.C’est alors qu’il a frappé. Son avocat plaidera la légitimedéfense.

– Quel effronté coquin, se récriaFloridor, je suppose que le jury n’admettra pas une bourdepareille.

– Hé ! hé ! repartit ledirecteur avec un petit rire fêlé, rien n’est moins sûr, celadépendra de la composition du jury. Puis cette Miss Gryce s’estcompromise dans une histoire de chèques qui malgré ce qu’en ontraconté les journaux ne semble claire à personne. Son avocat nemanquera pas d’insister là-dessus.

– Quel est cet avocat ? demanda JohnJarvis.

– Me Garrison.

– Un habile homme, dit Floridor.

– Trop habile même, reprit le détective.Je crois que ce ne sera pas le calomnier en disant qu’il s’estcompromis dans une foule d’affaires, plus ou moins louches, etqu’il passe pour entretenir d’excellentes relations avec les piresbandits de San Francisco, dont il est pour ainsi dire le défenseurattitré.

La conversation fut interrompue par l’arrivéede Dadd lui-même. Toujours vêtu de son trop voyant complet àcarreaux, il s’appuyait sur une canne, et s’avançait péniblemententre deux gardiens.

– Je vous laisse, voilà votre homme, ditle directeur. Il quitta le sévère parloir aux sièges de chênemassif, qu’une forte grille séparait en deux dans toute salargeur.

Les deux gardiens, comme il avait été convenu,s’écartèrent de façon à ne pouvoir entendre la conversation tout enne perdant pas de vue leur prisonnier.

Dadd salua correctement John Jarvis, et leremercia, avec son aplomb habituel, de l’honneur d’une aussiflatteuse visite.

– Je vous attendais un peu, d’ailleurs,ajouta-t-il, je sais que vous avez reçu le petit mot que vous aadressé un de mes amis. Je suppose que vous allez faire quelquesdémarches pour obtenir ma mise en liberté.

– Vous avez un fier toupet, mon garçon,s’écria John Jarvis, qui contenait à grand-peine une formidableenvie de passer la main à travers les barreaux et d’allongerd’importance les oreilles du hideux petit drôle.

– Moi ? Je suis on ne peut plustimide, ricana-t-il, mais, vous comprenez, je me défends, j’emploieles armes qui sont en ma possession.

« Croyez-vous que cela fera plaisir àMiss Rosy, à ses parents et à son futur mari de voir toute cettehistoire étalée au grand jour, jetée en pâture à une foule avide descandale, comme disent les journaux… Moi si j’avais une fiancée, jen’aimerais pas qu’il lui arrivât une pareille aventure.

– Je donnerais de bon cœur dix dollarspour gifler cette petite crapule, grommela Floridor indigné du tongoguenard de Dadd.

Celui-ci ne fit pas mine d’avoir entendu, maisil se recula prudemment de la grille, non sans avoir esquissé unelaide grimace à l’adresse du Canadien.

– Écoutez, proposa John Jarvis,surmontant la répulsion et le dégoût qu’il éprouvait, si vous nousfournissez les moyens d’arrêter Walker, je m’arrangerai pourobtenir votre mise en liberté et vous aurez une bonne somme.

– Je ne marche pas. Je sais que laprésence de Walker vous embête bigrement, répliqua Dadd aveccynisme, mais c’est justement pour ça que je ne vous donnerai aucun« tuyau » sur son compte. Et d’abord moi je n’ai pasl’habitude de trahir les copains !

« Vous parliez d’une belle somme, je saiscomment en avoir une encore plus belle, je connais un certainMr Rabington qui donnerait gros pour apprendre certaineschoses qu’il ignore. »

John Jarvis était redevenu parfaitementcalme ; un moment exaspéré par le persiflage du jeune bandit,il le considérait maintenant de l’œil tranquille, dont unnaturaliste observe les allées et venues d’un scorpion rouge, d’uncrapaud pipa ou de tout autre animal immonde et dangereux.

– Je suis charmé de connaître vosintentions, lui répondit-il froidement, vos menaces, vous devez lesupposer, n’ont aucun effet sur moi, mes précautions sont prisespour en empêcher la réalisation. Quant à Walker, je vous prometsqu’il sera bientôt sous les verrous.

Dadd haussa les épaules.

– Walker est trop malin pour se faireprendre, et moi je serai libre le jour où cela me conviendra.

John Jarvis et Floridor se retirèrent ;le Canadien était exaspéré.

– Quelle impudente petitefripouille ! s’écria-t-il, et ce qu’il y a de plus exaspérant,c’est que le directeur Mr Hobson le prend pour un petit saint.Nous avons perdu complètement notre temps en venant ici.

– Ce n’est pas mon avis. Nous avonsappris une chose importante.

– Laquelle ?

– Dadd était tellement heureux de nousmenacer, qu’il a manqué de prudence. Nous savons maintenant qu’ilpossède les moyens de correspondre avec le dehors. Il y a là unpoint de départ, une filière pour arriver jusqu’à Toby Groggan.Retournons chez le directeur.

Mr Hobson parut fort étonné en apprenantque « ce pauvre Dadd » communiquait avec des complicesdemeurés en liberté et malgré les affirmations répétées des deuxdétectives, il n’en voulut rien croire.

– Ce que vous me dites là est impossible,déclara-t-il. Dadd est au secret, il ne reçoit aucune lettre. Legardien qui le surveille est en fonctions depuis dix ans et possèdetoute ma confiance.

« La seule faveur que j’aie accordée ànotre prisonnier – encore est-ce une bien légère faveur – c’est derecevoir des journaux ou, plus exactement, un journal, le SanFrancisco Evening. Cette feuille est, d’ailleurs,soigneusement examinée par moi avant d’être remise à sondestinataire.

John Jarvis avait dressé l’oreille.

– Pourrai-je voir un de ces journaux,demanda-t-il.

– Parfaitement, en voici précisément unque je viens de recevoir. Vous pourrez constater par vous-mêmequ’il ne contient rien de suspect, pas une annotation au crayon,pas un mot souligné, par une tache.

Le détective déplia le papier qui avaitl’aspect neuf, sans cassures, du journal fraîchement sorti despresses et exhalant encore l’odeur spéciale, très caractéristiquede l’encre d’imprimerie.

À la grande surprise de Mr Hobson, JohnJarvis avait pris sa loupe et lisait chaque article ligne parligne.

– Parbleu ! s’exclama-t-ilbrusquement, je l’aurais parié. Prends un crayon, Floridor, et notede ce que je vais te lire. Y es-tu ?

– Oui.

– ÉcrisT-U-A-S-LA-L-I-M-E-ET-LA-S-C-I-E.

– Hein ? s’exclama Mr Hobsonabasourdi. Qu’est-ce que cela signifie ?

– Tout simplement que Dadd va recevoiraujourd’hui une lime et une scie. Son correspondant anonyme leprévient, sans doute pour qu’il examine avec une attention spécialeles mets dont se compose le menu du lunch qui lui est envoyé parson restaurant, car je suppose que Master Dadd, en véritablegentleman, fait venir ses repas du dehors. Il n’est pas difficilede deviner quel usage peut faire un prisonnier d’une scie et d’unelime.

– Une évasion ! bégaya le directeurdevenu blême, il ne manquerait plus que cela ! Décidément cepetit Dadd est plus dangereux que je ne croyais… Mais commentavez-vous pu deviner cela ?

– C’est très facile, fit le détective ensouriant, au-dessus de certaines lettres on a fait une piqûred’épingle, à peu près invisible si on ne regarde pas avec beaucoupd’attention, c’est très simple comme vous voyez. Prenez la loupe,vous vous rendrez compte par vous-même.

– Très fort, grommela le digneMr Hobson de plus en plus ébahi. Mais, pardon, encore unequestion : pourquoi le message n’indique-t-il pas à Dadd où iltrouvera la lime ?

– Parce qu’il le sait, sans nul doute,par un précédent message.

– Pourvu que ce jeune vaurien n’ait pasdéjà lunché ! Venez avec moi.

Mr Hobson emmena ses deux visiteursjusqu’au local situé près de la loge du concierge où les envoisdestinés aux prisonniers étaient déposés pour y être examinés parun préposé spécial.

Ce fonctionnaire, armé d’un outil adhoc, une fourchette sans courbure, aux pointes aiguës et trèslongues, venait précisément d’accorder son visa au lunch destiné àMaster Dadd. Les éléments dudit lunch étaient disposés, avec unluxe appétissant, sur un grand plateau recouvert d’une cloche deverre, précaution rendue presque indispensable par le nombre desinsectes.

Le menu très simple et conforme aux règlementsde la prison, comprenait une tranche de rosbif saignant, un platd’asperges, un triangle de ce capiteux fromage de Limburger, d’unarôme aussi violent que notre Livarot, et quelques fruits.

– Rien de suspect là-dedans ?demanda Mr Hobson.

– Non, M. le directeur, regardezd’ailleurs.

Le préposé, sous les regards attentifs desspectateurs, larda de son trident, d’abord le rosbif, puis les plusgrosses des asperges, puis les fruits ; il ne négligea que lefromage, si avancé, qu’il tombait en liquéfaction.

– C’est singulier, fit le directeur, déjàhésitant, est-ce que nous nous serions trompés ?

– Voulez-vous me permettre de regarder àmon tour ? dit le détective.

Dédaignant le rosbif, il alla droit auxasperges, et commença par les plus petites. La première nerenfermait rien, à la seconde le trident heurta un corps dur, quiétait une petite lime d’excellent acier.

– Admirable ! s’exclamaMr Hobson.

– Maintenant cherchons la scie, fit JohnJarvis imperturbable.

– Elle est dans un fruit, déclara leCanadien, par exemple cette grenade…

– Tu n’y es pas, je pense qu’elle setrouve plutôt dans ce modeste fromage.

Un coup de trident donna raison au subtildétective, le Limburger renfermait un bout de scie à métaux, de cetacier spécial, chromé et vanadié, qui a raison d’un barreau de ferordinaire, en moins de temps que si c’était un simple bâton dechaise.

– Permettez-moi de vous dire que vousêtes un homme étonnant ! déclara Mr Hobson avec respect,mais pourquoi diable avez-vous commencé par les asperges les pluspetites ?

– C’était tout naturel. Ceux qui ont faitcet envoi ont pensé tout naturellement que les grosses aspergesexciteraient plus de méfiance que les petites et ils ont agi enconséquence.

– Je vous remercie beaucoup de cettepetite leçon de choses. J’ai grande envie de fourrer Dadd au cachotpour lui apprendre à se moquer du monde. Je vais commencer par luisupprimer les journaux !

– Gardez-vous-en bien, grâce à eux, nousserons au courant des projets de votre pensionnaire et nousfinirons peut-être par mettre la main sur son correspondant. Puis,nous ne sommes pas forcés de remettre à Dadd les mêmes exemplairesque ceux qui lui seront adressés.

– Je comprends, ce sera nous qui écrironsà Dadd qui croira toujours avoir affaire à son complice.

– Précisément, je viendrai demain matinet peut-être aurai-je découvert quelque chose de nouveau.

John Jarvis et Floridor prirent congé del’excellent Mr Hobson, qui avait complètement changé d’avissur le compte de son pieux et discret pensionnaire.

Le lendemain les lettres piquées sur le numérodu San Francisco Evening News donnaient cettephrase : Ton envoi a-t-il été intercepté ?N’as-tu pas reçu le journal. Si tout va bien,signal rouge, si non, signal noir.

John Jarvis remplaça ce message par lesuivant : Patience, plus de signaux jusqu’ànouvel ordre.

Sur la demande du détective, Mr Hobson,sous un prétexte quelconque fit venir Dadd à son cabinet, pendantce temps la cellule du détenu était minutieusement fouillée, on ydécouvrit, entre autres objets, une petite fiole de chloroforme etdeux mouchoirs de poche, un noir et un rouge, John Jarvis arbora cedernier à la haute et étroite fenêtre qui éclairait la cellule etil eut soin de remplacer le chloroforme par de l’eau pure.

Floridor de son côté avait fait une autreenquête. Caché dans l’embrasure d’une porte, il avait vu un gossedépenaillé, un véritable « hoodlum » ([13]),déposer chez la concierge de la prison le numéro du SanFrancisco Evening, et il l’avait filé dans l’espoir d’arriverpar lui jusqu’aux mystérieux expéditeurs des journaux.

L’attente du Canadien avait été déçue,l’enfant, sa course faite, s’était dirigé vers les quais où ils’était mis à jouer avec d’autres polissons du même acabit.

Floridor l’avait alors abordé, et, aprèsl’avoir amadoué par le don d’une pièce de cinq cents, lui avaitposé quelques questions, et avait appris ceci : chaque matin,vers neuf heures, un gentleman à grande barbe attendait l’enfant àl’angle de Kearney Street et lui remettait le numéro du journaldestiné à Dadd.

À l’heure dite le Canadien se rendit àl’endroit indiqué, mais il n’y aperçut ni l’enfant, ni le gentlemanà longue barbe, ce qui lui donna à penser qu’il avait dû lui-mêmeêtre filé.

À partir de ce jour les envois de journauxcessèrent brusquement.

John Jarvis comprit qu’il avait affaire àforte partie. Il dut se contenter de faire surveiller Dadd plusétroitement que jamais.

La même semaine, l’avocat de ce dernier,Me Garrison, demanda que son client fût mis en libertéprovisoire moyennant une caution de mille dollars, et faillit avoirgain de cause près des juges.

John Jarvis, mis au courant du fait, dut userdes hautes influences qu’il possédait pour empêcher que, cette foisencore, le jeune bandit n’échappât au châtiment qu’il méritait etne reprît le cours de ses exploits.

Quand Me Garrison vint annoncer àDadd, au parloir de la prison, le rejet de sa demande, il trouvason client fort déprimé. La brusque suppression de sacorrespondance, l’isolement où il se trouvait réduit, lui donnaientà craindre que Toby n’eût été arrêté à son tour.

Me Garrison, un malicieux petitvieillard, sec comme un sarment de vigne et toujours en proie à unenervosité qui ne lui permettait pas de tenir en place, connaissaitsans doute les raisons de la mélancolie de Master Dadd, maishabitué à traiter des affaires souvent compromettantes avec lesmalfaiteurs professionnels, l’expérience lui avait appris à fairepreuve de la plus grande prudence, avec ceux qu’il était chargé dedéfendre.

Il trouvait moyen de leur rendre d’importantsservices, sans qu’ils pussent prendre avantage sur lui de cetteespèce de complicité plus ou moins tacite.

– Est-ce que dans votre jeune âge,demanda-t-il à Dadd, à brûle-pourpoint, vous n’avez pas été employédans les télégraphes ?

Le jeune bandit regarda son défenseur d’un airinterrogatif. Il ne comprenait pas dans quel but une pareillequestion lui était adressée.

– Oui, répondit-il avec une grimace, jene sais comment vous avez appris ce détail, mais si vous espérezobtenir de l’administration un certificat élogieux me concernant,vous faites entièrement fausse route… Pour parler franchement, onm’a flanqué dehors. Je faisais un très mauvais télégraphiste.

Me Garrison parut entièrement decet avis.

– Je parie, fit-il en riant, que vous neconnaissez seulement pas les signaux de Morse ?

Dadd jeta à son défenseur un regardexpressif.

– Je les connais parfaitement,répondit-il, avec la ligne et le point combinés de diverses façons,on reproduit tout l’alphabet. Je serais encore en mesure à l’heureactuelle d’expédier un télégramme. Mais pourquoi me demandez-vouscela ?

– Pour rien. Histoire de causer. Celapeut toujours servir de connaître l’alphabet Morse.

Dadd n’insista pas. Du premier coup, il avaitcompris que sans vouloir se montrer plus explicite, MeGarrison venait de lui donner une indication précieuse, à la barbemême du détective, chargé, conformément au règlement, d’assister àl’entretien.

Après le départ de l’avocat, Dadd fut ramené àsa cellule dans une disposition d’esprit beaucoup plus favorable.Son découragement, ses inquiétudes, avaient disparu.

– Évidemment, se répétait-il, ce vieuxGarrison, qui est futé comme un renard, a eu ses raisons pour meparler de l’alphabet Morse. C’est un homme qui n’a pas l’habitudede dire des choses inutiles. Tout cela signifie que Toby ne demeurepas inactif, il va trouver sans doute un autre moyen decorrespondre. Par exemple, je serais curieux de savoir comment ils’y prendra. Je ne reçois plus ni lettres ni journaux, et il y adevant ma porte un argousin, qui, toutes les cinq minutes, regardece que je fais…

Tout le restant de la matinée, Dadd demeuraaux aguets, mais inutilement, aucun mystérieux signal ne lui futtransmis. La moitié de l’après-midi s’écoula de la même façon et leprisonnier commençait à penser qu’il s’était trompé sur lesintentions de Me Garrison, quand une tache lumineuse,qui allait et venait sur la muraille blanchie à la chaux attira sonattention.

La tache demeura immobile quelques secondes,puis se déplaça lentement de droite à gauche pour demeurer denouveau immobile.

Dadd faillit jeter un cri de triomphe qui eûtimmanquablement éveillé l’attention du gardien en faction dans lecouloir.

– Le trait et le point !…balbutia-t-il éperdu.

Il venait de se rendre compte que, posté dansune des maisons situées en face de la prison, Toby armé d’un miroiren guise de réflecteur, se servait d’un rayon de soleil commemessager. Bien des fois, Dadd étant enfant, s’était amusé à ce jeu.Il se hissa aussitôt sur son lit pour atteindre la fenêtre quiétait très élevée et y arbora son mouchoir de poche pour faireentendre à son ingénieux correspondant qu’il avait compris.

Pendant deux heures il enregistra patiemmentle message qui lui était transmis. Le gardien qui le surveillait àtravers le guichet, le vit étendu sur son lit et paraissantsomnoler, et n’eut aucun soupçon.

Ce soir-là… Dadd se coucha plein d’espoir, nonsans s’être déclaré à lui-même que décidément, l’avocat Garrisonétait un maître homme.

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