Actes et paroles – Pendant l’exil

VI LA GUERRE D’ORIENT
29 novembre 1854. Proscrits,
L’anniversaire glorieux que nous célébrons en ce moment [note : La révolution polonaise de 1830.] ramène la Pologne dans toutes les mémoires ; la situation de l’Europe la ramène également dans les événements.

Comment ? je vais essayer de vous le dire. Mais d’abord, cette situation, examinons-la.
Au point où elle en est, et en présence des choses décisives qui se préparent, il importe de préciser les faits.

Commençons par faire justice d’une erreur presque universelle.

Grâce aux nuages astucieusement jetés sur l’origine de l’affaire par le gouver- nement français, et complaisamment épaissis par le gouvernement anglais, au- jourd’hui, en Angleterre comme en France, on attribue généralement la guerre d’orient, ce désastre continental, à l’empereur Nicolas. On se trompe. La guerre d’orient est un crime ; mais ce n’est point le crime de Nicolas. Ne prêtons pas à ce riche. Rétablissons la vérité.

Nous conclurons ensuite.

Citoyens, le 2 décembre 1851,-car il faut toujours remonter là, et, tant que M. Bonaparte sera debout, c’est de cette source horrible que sortiront tous les événe- ments, et tous les événements, quels qu’ils soient, ayant ce poison dans les veines, seront malsains et vénéneux et se gangrèneront rapidement,-le 2 décembre donc,
M. Bonaparte fait ce que vous savez. Il commet un crime, érige ce crime en trône, et s’assied dessus. Schinderhannes se déclare César. Mais à César il faut Pierre. Quand on est empereur, le Oui du peuple, c’est peu de chose ; ce qui importe, c’est le Oui du pape. Ce n’est pas tout d’être parjure, traître et meurtrier, il faut encore être sacré. Bonaparte le Grand avait été sacré. Bonaparte le Petit voulut l’être.

Là était la question.

Le pape consentirait-il ?

Un aide de camp, nommé de Cotte, un des hommes religieux du jour, fut envoyé à Antonelli, le Consalvi d’à présent. L’aide de camp eut peu de succès. Pie VII avait sacré Marengo ; Pie IX hésita à sacrer le boulevard Montmartre. Mêler à ce sang et à cette boue la vieille huile romaine, c’était grave. Le pape fit le dégoûté. Embarras de M. Bonaparte. Que faire ? de quelle manière s’y prendre pour décider Pie IX ? Comment décide-t-on une fille ? comment décide-t-on un pape ? Par un cadeau. Cela est l’histoire.

UN PROSCRIT ( le citoyen Bianchi ) : Ce sont les mœurs sacerdotales.

VICTOR HUGO, s’interrompant : Vous avez raison. Il y a longtemps que Jéré- mie a crié à Jérusalem et que Luther a crié à Rome : Prostituée ! ( Reprenant. ) M. Bonaparte, donc, résolut de faire un cadeau à M. Mastaï.

Quel cadeau ?

Ceci est toute l’aventure actuelle.

Citoyens, il y a deux papes en ce moment, le pape latin et le pape grec. Le pape grec, qui s’appelle aussi le czar, pèse sur le sultan du poids de toutes les Russies. Or le sultan, possédant la Judée, possède le tombeau du Christ. Faites attention à ceci. Depuis des siècles la grande ambition des deux catholicismes, grec et ro- main, serait de pouvoir pénétrer librement dans ce tombeau et d’y officier, non côte à côte et fraternellement, mais l’un excluant l’autre, le latin excluant le grec ou le grec excluant le latin. Entre ces deux prétentions opposées que faisait l’isla- misme ? Il tenait la balance égale, c’est-à-dire la porte fermée, et ne laissait entrer dans le tombeau ni la croix grecque, ni la croix latine, ni Moscou, ni Rome. Grand crève-cœur surtout pour le pape latin qui affecte la suprématie. Donc, en thèse gé- nérale et en dehors même de M. Bonaparte, quel présent offrir au pape de Rome pour le déterminer à sacrer et couronner n’importe quel bandit ? Posez la question à Machiavel, il vous répondra : « Rien de plus simple. Faire pencher à Jérusalem la balance du côté de Rome ; rompre devant le tombeau du Christ l’humiliante éga- lité des deux croix ; mettre l’église d’orient sous les pieds de l’église d’occident ; ouvrir la sainte porte à l’une et la fermer à l’autre ; faire une avanie au pape grec ; en un mot, donner au pape latin la clef du sépulcre. »

C’est ce que Machiavel répondrait. C’est ce que M. Bonaparte a compris ; c’est ce qu’il a fait. On a appelé cela, vous vous en souvenez, l’affaire des Lieux-Saints.

L’intrigue a été nouée. D’abord secrètement. L’agent de M. Bonaparte à Constan- tinople, M. de Lavalette, a demandé de la part de son maître, au sultan, la clef du tombeau de Jésus pour le pape de Rome. Le sultan, faible, troublé, ayant déjà les vertiges de la fin de l’islamisme, tiraillé en deux sens contraires, ayant peur de Nicolas, ayant peur de Bonaparte, ne sachant à quel empereur entendre, a lâché prise et a donné la clef. Bonaparte a remercié, Nicolas s’est fâché. Le pape grec a envoyé au sérail son légat a latere , Menschikoff, une cravache à la main. Il a exigé, en compensation de la clef donnée à M. Bonaparte pour le pape de Rome, des choses plus solides, à peu près tout ce qui pouvait rester de souveraineté au sul- tan ; le sultan a refusé ; la France et l’Angleterre ont appuyé le sultan, et vous savez le reste. La guerre d’orient a éclaté.

Voilà les faits.

Rendons à César ce qui est à César et ne donnons pas à Nicolas ce qui est au Deux-Décembre. La prétention de M. Bonaparte à être sacré a tout fait. L’affaire des Lieux-Saints et la clef, c’est là l’origine de tout.

Maintenant, ce qui est sorti de cette clef, le voici :

A l’heure qu’il est, l’Asie Mineure, les îles d’Aland, le Danube, la Tchernaïa, la mer Blanche et la mer Noire, le nord et le midi voient des villes, florissantes il y a quelques mois encore, s’en aller en cendre et en fumée. A l’heure qu’il est Si- nope est brûlée, Bomarsund est brûlée, Silistrie est brûlée, Varna est brûlée, Kola est brûlée, Sébastopol brûle. A l’heure qu’il est, par milliers, bientôt par cent mille, les français, les anglais, les turcs, les russes, s’entr’égorgent en orient devant un monceau de ruines. L’arabe vient du Nil pour se faire tuer par le tartare qui vient du Volga ; le cosaque vient des steppes pour se faire tuer par l’écossais qui vient des highlands. Les batteries foudroient les batteries, les poudrières sautent, les bastions s’écroulent, les redoutes s’effondrent, les boulets trouent les vaisseaux ; les tranchées sont sous les bombes, les bivouacs sont sous les pluies ; le typhus, la peste et le choléra s’abattent avec la mitraille sur les assiégeants, sur les assiégés, sur les camps, sur les flottes, sur la garnison, sur la ville où toute une population, femmes, enfants, vieillards, agonise. Les obus écrasent les hôpitaux ; un hôpital prend feu, et deux mille malades sont « calcinés », dit un bulletin. Et la tempête s’en mêle, c’est la saison ; la frégate turque Bahira sombre sous voiles, le deux- ponts égyptien Abad-i-Djihad s’engloutit près d’Eniada avec sept cents hommes, les coups de vent démâtent la flotte, le navire à hélice le Prince , la frégate la Nymphe des mers , quatre autres steamers de guerre coulent bas, le Sans-Pareil, le Samson, l’Agamemnon , se brisent aux bas-fonds dans l’ouragan, la Rétribution n’échappe qu’en jetant ses canons à la mer, le vaisseau de cent canons le Henri IV périt près d’Eupatoria, l’aviso à roues le Pluton est désemparé, trente-deux trans- ports chargés d’hommes font côte, et se perdent. Sur terre les mêlées deviennent chaque jour plus sauvages ; les russes assomment les blessés à coups de crosse ; à la fin des journées, les tas de morts et de mourants empêchent l’infanterie de ma- nœuvrer ; le soir, les champs de bataille font frissonner les généraux. Les cadavres anglais et français et les cadavres russes y sont mêlés comme s’ils se mordaient.- Je n’ai jamais rien vu de pareil [note : Voir aux notes.], s’écrie le vieux lord Ra- glan, qui a vu Waterloo. Et cependant on ira plus loin encore ; on annonce qu’on va employer contre la malheureuse ville les moyens « nouveaux »qu’on tenait « en réserve »et dont on frémissait. Extermination, c’est le cri de cette guerre. La tran- chée seule coûte cent hommes par jour. Des rivières de sang humain coulent ; une rivière de sang à Alma, une rivière de sang à Balaklava, une rivière de sang à Inkermann ; cinq mille hommes tués le 20 septembre, six mille le 25 octobre, quinze mille le 5 novembre. Et cela ne fait que commencer. On envoie des ar- mées, elles fondent. C’est bien. Allons, envoyez-en d’autres ! Louis Bonaparte redit à l’ex-général Canrobert le mot imbécile de Philippe IV à Spinola : Marquis, prends Breda . Sébastopol était hier une plaie, aujourd’hui c’est un ulcère, demain ce sera un cancer ; et ce cancer dévore la France, l’Angleterre, la Turquie et la Russie. Voilà l’Europe des rois. O avenir ! quand nous donneras-tu l’Europe des peuples ?

Je continue.

Sur les navires, après chaque affaire, des chargements de blessés qui font hor- reur. Pour ne citer que les chiffres que je sais, et je n’en sais pas la dixième partie, quatre cents blessés sur le Panama , quatre cent quarante-neuf sur le Colombo qui remorquait deux transports également chargés et dont j’ignore les chiffres, quatre cent soixante-dix sur le Vulcain , quinze cents sur le Kanguroo . On est blessé en Crimée, on est pansé à Constantinople. Deux cents lieues de mer, huit jours entre la blessure et le pansement. Chemin faisant, pendant la traversée, les plaies abandonnées deviennent effroyables ; les mutilés qu’on transporte sans as- sistance, sans secours, misérablement entassés les uns sur les autres, voient les lombrics, cette vermine du sépulcre, sortir de leurs jambes brisées, de leurs côtes enfoncées, de leurs crânes fendus, de leurs ventres ouverts ; et, sous ce fourmille- ment horrible, ils pourrissent avant d’être morts dans les entre-ponts pestilentiels des steamers-ambulances, immenses fosses communes pleines de vivants man- gés de vers. ( Victor Hugo s’interrompant :)-Je n’exagère point. J’ai là les journaux anglais, les journaux ministériels. Lisez vous-mêmes. ( L’orateur agite une liasse de journaux. [Note : Voir aux Notes.]).-Oui, j’insiste, pas de secours. Quatre chi- rurgiens, sur le Vulcain , quatre chirurgiens sur le Colombo , pour neuf cent dix- neuf mourants ! Quant aux turcs, on ne les panse pas du tout. Ils deviennent ce qu’ils peuvent [note : Id. ].-Je ne suis qu’un démagogue et un buveur de sang, je le sais bien, mais j’aimerais mieux moins de caisses de médailles bénites au camp de Boulogne, et plus de médecins au camp de Crimée.

Poursuivons.

En Europe, en Angleterre, en France, le contre-coup est terrible. Faillites sur faillites, toutes les transactions suspendues, le commerce agonisant, l’industrie morte. Les folies de la guerre s’étalent, les trophées présentent leur bilan. Pour ce qui est de la Baltique seulement, et en calculant ce qui a été dépensé rien que pour cette campagne, chacun des deux mille prisonniers russes ramenés de Bomarsund coûte à la France et à l’Angleterre trois cent trente-six mille francs par tête. En France, la misère. Le paysan vend sa vache pour payer l’impôt et donne son fils pour nourrir la guerre,-son fils ! sa chair ! Comment se nomme cette chair, vous le savez, l’oncle l’a baptisée. Chaque régime voit l’homme à son point de vue. La république dit chair du peuple ; l’empire dit chair à canon.-Et la fa- mine complète la misère. Comme c’est avec la Russie qu’on se bat, plus de blé d’Odessa. Le pain manque. Une espèce de Buzançais couve sous la cendre popu- laire et jette ses étincelles çà et là. A Boulogne, l’émeute de la faim, réprimée par les gendarmes. A Saint-Brieuc, les femmes s’arrachent les cheveux et crèvent les sacs de grains à coups de ciseaux. Et levées sur levées. Emprunts sur emprunts. Cent quarante mille hommes cette année seulement, pour commencer. Les millions s’engouffrent après les régiments. Le crédit sombre avec les flottes. Telle est la situation.

Tout ceci sort du Deux-Décembre.

Nous, proscrits dont le cœur saigne de toutes les plaies de la patrie et de toutes les douleurs de l’humanité, nous considérons cet état de choses lamentable avec une angoisse croissante.

Insistons-y, répétons-le, crions-le, et qu’on le sache et qu’on ne l’oublie plus désormais, je viens de le démontrer les faits à la main, et cela est incontestable, et l’histoire le dira, et je défie qui que ce soit de le nier, tout ceci sort du Deux- Décembre.

Otez l’intrigue dite affaire des Lieux-Saints, ôtez la clef, ôtez l’envie de sacre, ôtez le cadeau à faire au pape, ôtez le Deux-Décembre, ôtez M. Bonaparte ; vous n’avez pas la guerre d’orient.

Oui, ces flottes, les plus magnifiques qu’il y ait au monde, sont humiliées et amoindries ; oui, cette généreuse cavalerie anglaise est exterminée ; oui, les écos- sais gris, ces lions de la montagne ; oui, nos zouaves, nos spahis, nos chasseurs de Vincennes, nos admirables et irréparables régiments d’Afrique sont sabrés, ha- chés, anéantis ; oui, ces populations innocentes,-et dont nous sommes les frères, car il n’y a pas d’étrangers pour nous,-sont écrasées ; oui, parmi tant d’autres, ce vieux général Cathcart et ce jeune capitaine Nolan, l’honneur de l’uniforme an- glais, sont sacrifiés ; oui, les entrailles et les cervelles, arrachées et dispersées par la mitraille, pendent aux broussailles de Balaklava ou s’écrasent aux murs de Sé- bastopol ; oui, la nuit, les champs de bataille pleins de mourants hurlent comme des bêtes fauves ; oui, la lune éclaire cet épouvantable charnier d’Inkermann où des femmes, une lanterne à la main, errent çà et là parmi les morts, cherchant leurs frères ou leurs maris, absolument comme ces autres femmes qui, il y a trois ans, dans la nuit du 4 décembre, regardaient l’un après l’autre les cadavres du bou- levard Montmartre [note : Voir aux Notes.] ; oui, ces calamités couvrent l’Europe ; oui, ce sang, tout ce sang ruisselle en Crimée ; oui, ces veuves pleurent, oui, ces mères se tordent les bras,-parce qu’il a pris fantaisie à M. Bonaparte, l’assassin de Paris, de se faire bénir et sacrer par M. Mastaï, l’étouffeur de Rome !

Et maintenant, méditons un moment, cela en vaut la peine.

Certes, si parmi les intrépides régiments français qui, côte à côte avec la vaillante armée anglaise, luttent devant Sébastopol contre toute la force russe, si, parmi ces combattants héroïques, il y a quelques-uns de ces tristes soldats qui, en décembre 1851, entraînés par des généraux infâmes, ont obéi aux lugubres consignes du guet-apens, les larmes nous viennent aux yeux, nos vieux cœurs français s’émeuvent, ce sont des fils de paysans, ce sont des fils d’ouvriers, nous crions pitié ! nous di- sons : ils étaient ivres, ils étaient aveugles, ils étaient ignorants, ils ne savaient ce qu’ils faisaient ! et nous levons les mains au ciel, et nous supplions pour ces in- fortunés. Le soldat, c’est l’enfant ; l’enthousiasme en fait un héros ; l’obéissance passive peut en faire un bandit ; héros, d’autres lui volent sa gloire ; bandit, que d’autres aussi prennent sa faute. Oui, devant le mystérieux châtiment qui com- mence, mon Dieu ! grâce pour les soldats ; mais quant aux chefs, faites !

Oui, proscrits, laissons faire le juge. Et voyez ! La guerre d’orient, je viens de vous le rappeler, c’est le fait même du Deux-Décembre arrivé pas à pas, et de trans- formation en transformation, à sa conséquence logique, l’embrasement de l’Eu- rope. O profondeur vertigineuse de l’expiation ! le Deux-Décembre se retourne, et le voici qui, après avoir tué les nôtres, dépêche les siens. Il y a trois ans, il se nom- mait coup d’état et il assassinait Baudin ; aujourd’hui il se nomme guerre d’orient, et il exécute Saint-Arnaud. La balle qui, dans la nuit du 4, sur l’ordre de Lourmel, tua Dussoubs devant la barricade Montorgueil, ricoche dans les ténèbres selon on ne sait quelle loi formidable et revient fusiller Lourmel en Crimée. Nous n’avons pas à nous occuper de cela. Ce sont les coups sinistres de l’éclair ; c’est l’ombre qui frappe ; c’est Dieu.

La justice est un théorème ; le châtiment est rigide comme Euclide ; le crime a ses angles d’incidence et ses angles de réflexion ; et nous, hommes, nous tres- saillons quand nous entrevoyons dans l’obscurité de la destinée humaine les lignes et les figures de cette géométrie énorme que la foule appelle hasard et que le pen- seur appelle providence.

Le curieux, disons-le en passant, c’est que la clef est inutile. Le pape, voyant hésiter l’Autriche, et d’ailleurs, flairant sans doute la chute prochaine, persiste à reculer devant M. Bonaparte. M. Bonaparte ne veut pas tomber de M. Mastaï à M. Sibour ; et il en résulte qu’il n’est pas sacré et qu’il ne le sera pas ; car, à travers tout ceci, la providence rit de son rire terrible.

Je viens d’exposer la situation, citoyens. A présent,-et c’est par là que je veux ter- miner, et ceci me ramène à l’objet spécial de cette solennelle réunion,-cette situa- tion, si grave pour les deux grands peuples, car l’Angleterre y joue son commerce et l’orient, car la France y joue son honneur et sa vie, cette situation redoutable, comment en sortir ? La France a un moyen : se délivrer, chasser le cauchemar, secouer l’empire accroupi sur sa poitrine, remonter à la victoire, à la puissance, à la prééminence, par la liberté. L’Angleterre en a un autre, finir par où elle au- rait dû commencer ; ne plus frapper le czar au talon de sa botte, comme elle le fait en ce moment, mais le frapper au cœur, c’est-à-dire soulever la Pologne. Ici, à cette même place, il y a un an précisément aujourd’hui, je donnais à l’Angleterre ce conseil, vous vous en souvenez. A cette occasion, les journaux qui soutiennent le cabinet anglais m’ont qualifié d’ « orateur chimérique », et voici que l’événe- ment confirme mes paroles. La guerre en Crimée fait sourire le czar, la guerre en Pologne le ferait trembler. Mais la guerre en Pologne, c’est une révolution ? Sans doute. Qu’importe à l’Angleterre ? Qu’importe à cette grande et vieille Angleterre ? Elle ne craint pas les révolutions, ayant la liberté. Oui, mais M. Bonaparte, étant le despotisme, les craint, lui, et il ne voudra pas ! C’est donc à M. Bonaparte, et à sa peur personnelle des révolutions, que l’Angleterre sacrifie ses armées, ses flottes, ses finances, son avenir, l’Inde, l’Orient, tous ses intérêts. Avais-je tort de le dire il y a deux mois ? pour l’Angleterre, l’alliance de M. Bonaparte n’est pas seulement une diminution morale, c’est une catastrophe.

C’est l’alliance de M. Bonaparte qui depuis un an fait faire fausse route à tous les intérêts anglais dans la guerre d’orient. Sans l’alliance de M. Bonaparte, l’An- gleterre aurait aujourd’hui un succès en Pologne, au lieu d’un échec, d’un désastre peut-être, en Crimée.

N’importe. Ce qui est dans les choses ne peut point n’en pas sortir. Les situa- tions ont leur logique qui finit toujours par avoir le dernier mot. La guerre en Po- logne, c’est-à-dire, pour employer le mot transparent adopté par le cabinet an- glais, un système d’agression franchement continental , est désormais inévitable. C’est l’avenir immédiat. Au moment où je parle, lord Palmerston en cause aux Tui- leries avec M. Bonaparte. Et, citoyens, ce sera là ma dernière parole, la guerre en Pologne, c’est la révolution en Europe.

Ah ! que la destinée s’accomplisse !

Ah ! que la fatalité soit sur ces hommes, sur ces bourreaux, sur ces despotes, qui ont arraché à tant de peuples, à tant de nobles peuples leurs sceptres de nations !- Je dis le sceptre, et non la vie.-Car, proscrits, comme il faut le répéter sans cesse pour consterner les lâchetés et pour relever les courages, la mort apparente des peuples, si livide qu’elle soit, si glacée qu’elle semble, est un avatar et couvre le mystère d’une incarnation nouvelle. La Pologne est dans le sépulcre, mais elle a le clairon à la main ; la Hongrie est sous le suaire, mais elle a le sabre au poing ; l’Italie est dans la tombe, mais elle a la flamme au cœur ; la France est dans la fosse, mais elle a l’étoile au front. Et, tous les signes nous l’annoncent, au printemps prochain, au printemps, heure des résurrections comme le matin est l’heure des réveils, amis, toute la terre frémira d’éblouissement et de joie, quand, se dressant subitement, ces grands cadavres ouvriront tout à coup leurs grandes ailes !

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