Scène I
Christian, Carbon deCastel-Jaloux, Le Bret, les cadets, puis Cyrano.
LE BRET.
C’est affreux !
CARBON.
Oui. Plus rien.
LE BRET.
Mordious !
CARBON, lui faisant signe deparler plus bas.
Jure en sourdine !
Tu vas les réveiller.
(Aux cadets.)
Chut ! Dormez !
(À Le Bret.)
Qui dort dîne !
LE BRET.
Quand on a l’insomnie on trouve que c’est peu !
Quelle famine !
(On entend au loin quelques coupsde feu.)
CARBON.
Ah ! maugrébis des coups defeu !…
Ils vont me réveiller mes enfants !
(Aux cadets qui lèvent latête.)
Dormez !
(On se recouche. Nouveaux coupsde feu plus rapprochés.)
UN CADET, s’agitant.
Diantre !
Encore ?
CARBON.
Ce n’est rien ! C’est Cyrano quirentre !
(Les têtes qui s’étaient relevéesse recouchent.)
UNE SENTINELLE, audehors.
Ventrebieu ! qui va là ?
LA VOIX DE CYRANO.
Bergerac !
LA SENTINELLE, qui est sur letalus.
Ventrebieu !
Qui va là ?
CYRANO, paraissant sur lacrête.
Bergerac, imbécile !
(Il descend. Le Bret va au-devantde lui, inquiet.)
LE BRET.
Ah ! grand Dieu !
CYRANO, lui faisant signe de neréveiller personne.
Chut !
LE BRET.
Blessé ?
CYRANO.
Tu sais bien qu’ils ont prisl’habitude
De me manquer tous les matins !
LE BRET.
C’est un peu rude,
Pour porter une lettre, à chaque jour levant,
De risquer !
CYRANO, s’arrêtant devantChristian.
J’ai promis qu’il écriraitsouvent !
(Il le regarde.)
Il dort. Il est pâli. Si la pauvre petite
Savait qu’il meurt de faim… Mais toujours beau !
LE BRET.
Va vite
Dormir !
CYRANO.
Ne grogne pas, Le Bret !… Sachececi.
Pour traverser les rangs espagnols, j’ai choisi
Un endroit où je sais, chaque nuit, qu’ils sont ivres.
LE BRET.
Tu devrais bien un jour nous rapporter des vivres.
CYRANO.
Il faut être léger pour passer ! – Mais je sais
Qu’il y aura ce soir du nouveau. Les Français
Mangeront ou mourront, – si j’ai bien vu…
LE BRET.
Raconte !
CYRANO.
Non. Je ne suis pas sûr… vous verrez !…
CARBON.
Quelle honte,
Lorsqu’on est assiégeant, d’être affamé !
LE BRET.
Hélas !
Rien de plus compliqué que ce siège d’Arras.
Nous assiégeons Arras, – nous-mêmes, pris au piège,
Le cardinal infant d’Espagne nous assiège…
CYRANO.
Quelqu’un devrait venir l’assiéger à son tour.
LE BRET.
Je ne ris pas.
CYRANO.
Oh ! oh !
LE BRET.
Penser que chaque jour
Vous risquez une vie, ingrat, comme la vôtre,
Pour porter…
(Le voyant qui se dirige vers unetente.)
Où vas-tu ?
CYRANO.
J’en vais écrire une autre.
(Il soulève la toile etdisparaît.)