Scène IX
Christian, Cyrano ; au fondRoxane, causant avec Carbon et quelques cadets.
CHRISTIAN, appelant vers la tentede Cyrano.
Cyrano ?
CYRANO, reparaissant, armé pourla bataille.
Qu’est-ce ? Te voilàblême !
CHRISTIAN.
Elle ne m’aime plus !
CYRANO.
Comment ?
CHRISTIAN.
C’est toi qu’elle aime !
CYRANO.
Non !
CHRISTIAN.
Elle n’aime plus que monâme !
CYRANO.
Non !
CHRISTIAN.
Si !
C’est donc bien toi qu’elle aime, – et tu l’aimesaussi !
CYRANO.
Moi ?
CHRISTIAN.
Je le sais.
CYRANO.
C’est vrai.
CHRISTIAN.
Comme un fou.
CYRANO.
Davantage.
CHRISTIAN.
Dis-le-lui !
CYRANO.
Non !
CHRISTIAN.
Pourquoi ?
CYRANO.
Regarde mon visage !
CHRISTIAN.
Elle m’aimerait laid !
CYRANO.
Elle te l’a dit !
CHRISTIAN.
Là !
CYRANO.
Ah ! je suis bien content qu’elle t’ait dit cela !
Mais va, va, ne crois pas cette chose insensée !
– Mon Dieu, je suis content qu’elle ait eu la pensée
De la dire, – mais va, ne la prends pas au mot,
Va, ne deviens pas laid : elle m’en voudraittrop !
CHRISTIAN.
C’est ce que je veux voir !
CYRANO.
Non, non !
CHRISTIAN.
Qu’elle choisisse !
Tu vas lui dire tout !
CYRANO.
Non, non ! Pas ce supplice.
CHRISTIAN.
Je tuerais ton bonheur parce que je suis beau ?
C’est trop injuste !
CYRANO.
Et moi, je mettrais au tombeau
Le tien parce que, grâce au hasard qui fait naître,
J’ai le don d’exprimer… ce que tu sens peut-être ?
CHRISTIAN.
Dis-lui tout !
CYRANO.
Il s’obstine à me tenter, c’estmal !
CHRISTIAN.
Je suis las de porter en moi-même un rival !
CYRANO.
Christian !
CHRISTIAN.
Notre union – sans témoins –clandestine,
– Peut se rompre, – si nous survivons !
CYRANO.
Il s’obstine !…
CHRISTIAN.
Oui, je veux être aimé moi-même, ou pas du tout !
– Je vais voir ce qu’on fait, tiens ! Je vais jusqu’aubout
Du poste ; je reviens : parle, et qu’elle préfère
L’un de nous deux !
CYRANO.
Ce sera toi !
CHRISTIAN.
Mais… je l’espère !
(Il appelle.)
Roxane !
CYRANO.
Non ! Non !
ROXANE, accourant.
Quoi ?
CHRISTIAN.
Cyrano vous dira
Une chose importante…
(Elle va vivement à Cyrano.Christian sort.)