Enfances célèbres

LE PETIT ASTRONOME.

Par une de ces belles nuits d’été si radieusesen Provence, où l’azur du ciel triomphe de la nuit et éclate à lalueur des étoiles agrandies et d’une pleine lune transparente, unenfant de huit ans sortit furtivement d’une humble habitation duvillage de Chantersier, traversa un verger d’oliviers quis’étageaient sur un tertre, et, parvenu au sommet de ce tertre,s’assit sur un roc qui dominait la vallée. Que venait faire là àcette heure de la nuit ce petit garçon vêtu de la veste desartisans ? Était-il poussé par quelque méchante action ?voulait-il dérober des fruits ou tendre des lacets et se livrer àquelque chasse défendue ? Non ; la physionomie de cetenfant est trop riante, son front trop réfléchi et trop inspirépour qu’il médite quelque chose de mal. Le voilà assis, immobile etles bras croisés sur la pointe d’un roc ; il ne regarde pasvers la terre silencieuse et où quelques chants lointains despâtres se font seulement entendre : ses yeux se tournent versle ciel, ils s’y arrêtent, ils y plongent : on le diraitpétrifié dans l’attitude de l’extase ; est-ce qu’ilprie ? Non ; il médite, il pressent ce qui est encoreinconnu pour lui et pour tant d’autres : le cours des astres,leur place et leurs évolutions dans le ciel, et il se demande sic’est une chose impossible de les classer et de les décrire. Aprèsavoir tenu longtemps ses yeux attachés sur le firmament, il lesabaisse tout à coup sur un petit cahier placé sur ses genoux, où iltrace lentement quelques signes et quelques dessins deconstellations ; mais il est troublé dans son occupation pardes bruits de voix parmi lesquelles il croit reconnaître celle deson père.

Voici ce qui s’était passé chez lui depuisqu’il en était sorti furtivement. Son père et sa mère le croyaientendormi et commençaient à s’endormir eux-mêmes, lorsqu’ilsentendirent frapper à leur porte à coups redoublés, et retentir desvoix aiguës et malveillantes qui les appelaient.

« Eh ! eh ! les vieux !criaient ces voix, comment dormez-vous, tandis que votre petitvagabond de Pierre a sauté par sa fenêtre et court dans les champspour y faire la rapine des olives et des figues ? »

Ceux qui parlaient de la sorte formaient unebande de cinq ou six vauriens, les plus mauvais sujets du village,et qui étaient la terreur des fermiers et des cultivateurs. Ilspassaient leur temps à voler les fruits, à couper les branches desarbres et à s’emparer de tout ce qui tombait sous leur main. Commeils savaient qu’on les guettait et qu’ils étaient menacés de laprison, ayant découvert que le petit Pierre, enfant tranquille,studieux, et si honnête qu’il n’aurait pas dérobé une fleur dans unchamp, sortait souvent au milieu de la nuit ; quoiqu’ilsl’eussent suivi et qu’ils eussent bien vu que l’enfant s’asseyaitpaisiblement sur les hauteurs, ils résolurent méchamment del’accuser de leurs méfaits.

« Qu’est-ce donc ? répondit àtravers la porte la voix du père de Pierre, qui se leva tout ahuritandis que sa mère se précipitait dans la chambre à côté oùcouchait son fils, et poussait des cris en trouvant le litvide.

– Ouvrez-nous, et nous vous conduirons,répliquaient les voix, et vous verrez que c’est lui, et non pasnous, qui ravage les terres. »

Pleins d’effroi de ce qu’ils entendaient, etsurtout de la disparition de leur cher enfant, le père et la mèreouvrirent aussitôt.

« Eh bien, où l’avez-vous vu ? oùest-il ? Je suis bien sûr que vous avez menti, dit le père àla troupe aboyante qu’il menaçait du geste.

– Venez ! venez ! répétait lechef de la bande, suivez-nous, et vous allez le trouver assoupi,après s’être gonflé de figues marseillaises. Quant aux olives, ilen a rempli par vingt fois son chapeau, et il en a fait bien sûrquelque tas dans un fossé à sec où il les a cachées, pour vous lesapporter sans doute quand la nuit sera plus avancée. »

À ces paroles, qui accusaient d’une sorte decomplicité l’honnête villageois avec les vols supposés dont onchargeait son fils, ne pouvant retenir sa colère, le père de Pierreleva son bras robuste sur le petit vaurien qui parlait de lasorte ; mais, leste comme une couleuvre, celui-ci glissa entreses jambes et se déroba à la correction.

Lorsqu’il fut à distance, ilriposta :

« Allons, le vieux, ne vous fâchez pas,et suivez-nous, si vous voulez. »

Impatient de retrouver son fils, le père dupetit Pierre se mit en marche ; sa femme le suivit, malgrél’injonction qu’il lui fit de ne pas quitter la maison. Quand unemère croit ses enfants en danger ou en faute, elle accourt toujourscomme un ange gardien.

La nuit était froide, mais claire ; ainsique nous l’avons dit, la lune et de belles étoiles éclairaient lefirmament. Le père et la mère, en se soutenant l’un l’autre, purentdonc suivre la trace des petits malfaiteurs qui couraient devanteux. Ceux-ci, arrivés au pied du tertre au sommet duquel Pierreétait assis, se mirent à crier en agitant leurs bras enl’air :

« Le voilà ! le voilà ! il serepose après avoir tout ravagé.

– Pierre ! Pierre ! cria lamère, descends ! viens vers nous, mon enfant !

– Arrive, malheureux ! » criaitle père à son tour.

L’enfant, reconnaissant la voix de sesparents, se hâta d’accourir.

« Que fais-tu dehors à cette heure ?dit le père en secouant rudement son fils. Quoi ! petitmisérable, tu es sorti par la fenêtre pour aller marauder et volerdes fruits ?

– Que dites-vous, mon père ?répliqua l’enfant, dont les sanglots éclatèrent. J’ai eu tort desortir la nuit sans votre permission ; mais de quoim’accusez-vous ? voler moi ! oh non ! jamais !jamais ! Regardez dans mes poches, fouillez-moi, vous netrouverez que les pages au crayon que j’écris en regardant lesétoiles !

– Oh ! je le savais bien, dit lamère, qu’il n’était pas capable des méchantes actions dont onl’accusait !

– Femme, tais-toi ! les enfantscommencent toujours par mentir quand on les surprend en faute.Qu’il se repente, qu’il s’avoue coupable, ou bien je lui donne unerude correction ! »

L’enfant tomba à genoux devant sonpère :

« Pardonnez-moi, lui disait-il en luibaisant les mains, pardonnez-moi de vous avoir désobéi en quittantla maison sans votre permission ; mais je n’ai rien fait demal. Demandez au curé ce qu’il pense de moi, je suis toujours lepremier à l’école, je prie le bon Dieu et je lis pendant les heuresde récréation !

– Mais, malheureux, reprit le père,pourquoi sortir au milieu de la nuit, au lieu de dormirtranquille ?

– Levez les yeux, répliqua l’enfant, etdites-moi si ces belles étoiles qui semblent nous regarder neméritent pas qu’on les étudie et qu’on les connaisse.

– Es-tu fou ? Comment veux-tupénétrer si haut et si loin ?

– Mon père, il y avait des pâtresautrefois, il y a bien longtemps, qu’on appelait les bergers de laChaldée ; comme moi ils étudièrent les étoiles, et ilsfinirent par marquer leur place dans le ciel ; qui sait si jene finirai pas comme eux par faire quelque découverte et par donnerdes noms aux étoiles ! Quand je parle de tout cela au curé, ilne se moque pas de moi, je vous assure, et il m’a même promis de meprêter un livre sur ce sujet.

– Allons, allons, il faut toujours céderaux enfants, reprit le père à moitié convaincu ; dès demainj’irai voir M. le curé, et je saurai si tu dis vrai ; enattendant, au lit et bien vite ; tu mériterais d’être punipour avoir troublé mon somme et celui de ta mère. »

Mais l’enfant embrassa si tendrement sesparents, qu’ils ne purent lui garder rancune. Ils rentrèrent toustrois au logis, bras dessus, bras dessous, et en parfaiteharmonie.

Le lendemain matin, Pierre se rendit àl’école, selon sa coutume, et son père, avant de se mettre autravail, alla faire visite au curé. Il le trouva lisant sonbréviaire dans son petit jardin attenant à l’église ; il luiraconta ce qui s’était passé la veille.

Le bon prêtre était un homme savant, commel’étaient tous les prêtres à cette époque.

« Vous êtes trop heureux, dit-il àl’ignorant villageois, votre fils est un enfant prodigieux, quipourra bien devenir un jour un grand homme. »

Le père regardait le curé bouche béante etsans comprendre.

« Mais pour qu’il devienne ce que vousdites, monsieur le curé, faut-il qu’il se promène dans les champspendant la nuit, et qu’il soit pris pour un vagabond ?

– Tout peut s’arranger, répliqua leprêtre ; il y a toujours dans nos montagnes des bergers quimènent paître leurs troupeaux, de minuit jusqu’à l’aube. Confiezvotre fils aux plus honnêtes, et abandonnez-le librement à sesrêveries et à ses études ; je le guiderai moi-même, je luiprêterai des livres, et je vous promets qu’avant peu on parlera delui. »

Le père baisa la main de l’excellent curé avecdes larmes de reconnaissance.

L’école était voisine du presbytère, etc’étaient le desservant du curé et lui-même qui la dirigeaient. Cedernier instruisait de préférence les enfants studieux et quimontraient des dispositions particulières. Il s’était aperçu bienvite des rares aptitudes du petit Pierre, et avait donné tous sessoins à leur développement.

Quand l’enfant apprit ce que M. le curéavait décidé avec son père, il sauta de joie, et, quelques joursaprès, son contentement fut encore plus grand, lorsqu’au retourd’un petit voyage qu’il fit à Digne, le bon prêtre lui remit unvolume sur l’astronomie.

Cette science restait encore dans lesnuages ; beaucoup d’erreurs transmises par l’antiquité étaientacceptées comme des vérités ; rien de cette précision et decette certitude, que les découvertes de Copernic, de Galilée, etplus tard de Newton, devaient donner au mouvement des astres dansle ciel.

N’importe ! les expériences erronéesrecueillies par les siècles avaient leur intérêt et leur valeur.Tout n’était pas fabuleux dans le système des anciens transmis aumoyen âge ; le nom des astres, leur place dans le ciel,l’heure de leur apparition, de leur accroissement et de leurdécroissance, le calcul du retour des comètes, les phases de lalune, etc., etc., tout cela a été adopté par l’astronomiemoderne.

Quand le petit Pierre eut en sa possession celivre précieux si plein d’attraits, malgré ses erreurs, il ne lequitta plus. Au moyen d’un petit télescope que lui prêtait le curé,il constatait dans le ciel la place des astres dont il lisait ladescription, et dès lors il semblait pressentir et préparer lesdécouvertes qui devaient l’illustrer un jour. Il suivait avecétonnement le passage de Mercure devant le disque du soleil et lesconjonctions de Vénus et de Mercure. Il notait ses observations,qu’il n’osait publier encore : il attendait que l’âge etl’autorité vinssent donner du poids à ses découvertes.

Pourvu que le firmament fût lumineux et lesétoiles éclatantes, le vent le plus froid soufflant des Alpes nel’arrêtait pas ; il sortait chaque soir durant tout l’hiver,enveloppé dans un petit manteau de grosse laine que lui avait faitsa mère. La passion de l’enfant était telle, qu’il ne se lassaitjamais du spectacle du ciel ; il y suivait l’apparition et lamarche des astres avec un intérêt toujours plus vif. Il donnait desnoms aux étoiles qui n’en avaient pas dans son livre, et aux plusgrosses de la voie lactée. Les innombrables myriades denébuleuses le captivaient ; mais comment les classeret les désigner ? Parfois il se trouvait avec des bergers quiavaient observé les constellations et qui les connaissaient bien,quoique ignorant les noms que leur donnait la science. Ces bergerssavaient s’orienter la nuit au moyen des astres et prévoyaient aveccertitude le temps qu’il ferait, suivant les nuages qui glissaientsur la lune. Mais d’autres fois l’enfant avait affaire à de grospâtres à l’esprit lourd, qui ne regardaient pas même les étoiles,et tenaient toujours leurs yeux abaissés sur la terre où leurstroupeaux broutaient ; alors il les secouait par leur manteauet les forçait à tourner leur regard vers quelque flamboyanteconstellation. Il leur nommait la Grande Ourse, composéede sept étoiles, et vulgairement appelée le Chariot. Cetteconstellation marque le nord, et sert à se diriger durant lanuit ; puis, par les fortes gelées, il leur désignait leBaudrier d’Orion, composé de trois grandes étoiles du plusvif éclat. C’était ensuite ces deux belles étoiles jumellesappelées les gémeaux Castor et Pollux ;durant l’été, il leur faisait voir la Lyre et leCygne, deux constellations très-scintillantes.

La lecture de son livre lui avait appris àdistinguer les planètes des étoiles ; il savait la place deMercure, de Vénus, de Mars, de Jupiter et de Saturne. Ces planètessont aussi belles à l’œil nu que les étoiles de premièregrandeur ; mais elles n’ont pas cette vivacité et cettevibration de lumière qu’on remarque dans les étoiles. Vénus estsurtout d’un éclat extraordinaire quand elle paraît le soir aprèsle coucher du soleil : cela n’arrive que tous les dix-neufmois. Elle offre alors un spectacle frappant ; on la prendpour un nouvel astre ou pour une comète. Quelquefois même on ladistingue en plein jour, et les passants crient aumiracle !

Jupiter est aussi très-brillant, mais salumière est plus blanche que celle de Vénus ; celle de Marsest rougeâtre, Saturne est d’une couleur plombée ; c’est detoutes les planètes celle qui est la moins éclatante à l’œil àcause de son éloignement.

Le petit Pierre savait tout cela et seplaisait à l’enseigner aux bergers, jusqu’alors indifférents auxmagnificences du firmament.

Bientôt la renommée du savoir de l’enfant serépandit dans tout le pays. Ses compagnons d’école, un peu jalouxdes préférences que le bon curé avait pour lui, le harcelaient sanscesse et cherchaient à le prendre en défaut dans ses études. Pierreétait doux et tranquille comme tous ceux qui pensent beaucoup.Malgré les sournoises méchancetés de quelques-uns de ses camarades,il restait leur ami.

Un jour, pour la fête de son père, il avaitconvié toute l’école à une collation champêtre ; sa mère, quil’idolâtrait, avait dressé une longue table sous la tonnelle dujardin attenant à leur petite maison. Chaque enfant apporta unefleur au père de Pierre, puis on procéda au goûter, qui secomposait de ces friandises qui figurent aussi bien, dans cetheureux pays, sur la table du pauvre que sur celle du riche.C’étaient de petites figues blanches appeléesmarseillaises, et d’autres longues et grosses qu’on nommefigues grises ; c’étaient de vertes olives confitesdans le sel, qu’on met en poche et qu’on croque comme desdragées ; puis des pyramides dorées d’une friture sucrée faiteavec une pâte légère formant des losanges trois fois repliés, queles Lyonnais appellent bugnes et les Provençauxoreillettes ; c’étaient à côté des gâteaux cuits aufour, faits avec une pâte composée de farine, d’œufs et de fleursd’oranger, et dans laquelle on met des morceaux de cédrat. Cegâteau, appelé fougassette, est la passion des enfants.C’étaient encore des jattes de lait caillé et des pots de résiné àl’arome pénétrant ; c’était enfin, ce qui fit bientôt petillertous ces jeunes yeux, du vin blanc claret que le père du petitastronome composait lui-même avec les raisins de sa tonnelle. Tantque dura le goûter, la paix et un demi-silence régnèrent parmitoute cette bande joyeuse ; mais après, ce furent des cris etdes gambades, et bientôt, le vin claret aidant, quelques petitesquerelles commencèrent.

La nuit était venue, et la lune brillait en cemoment de tout son éclat ; quelques beaux nuages blancs luifaisaient cortége. Pierre tout à coup échappe au jeu et au bruit deses camarades et se met à considérer le ciel. Un d’eux, le plusjaloux de ses compagnons d’école, s’apercevant de cettedemi-extase, vint le tirer par la manche.

« Monsieur le savant, lui dit-il, puisquevous connaissez si bien ce qui se passe là-haut, dites-moi donc sic’est la lune qui court en ce moment par-dessus votre tête ou si cesont les nuages ?

– Quoi ! vous ne savez pascela ? répondit Pierre avec une sorte de dédaininvolontaire.

– Et toi-même, tu n’en es pas sûr, monpetit homme, répliqua l’autre ; autrement, tu l’aurais ditbien vite ! Voyons, vous autres, ajouta-t-il en se tournantvers la bande qui les avait rejoints, qu’en pensez-vous ?est-ce la lune qui court ou les nuages ?

Tous s’arrêtèrent à l’apparence etrépliquèrent que c’était la lune qui glissait rapidement dans leciel.

« Vous vous trompez, reprittranquillement le petit Pierre, et je vais vous le prouver sansréplique. Suivez-moi sous ce grand merisier. »

Chacun marcha sur ses pas et se plaça auprèsde lui sous les branches de l’arbre.

« Et maintenant, levez la tête, leurdit-il ; voyez, la lune nous apparaît toujours entre les mêmesfeuilles, tandis que les nuages s’en vont loin de nous. »

Cette démonstration frappa tous ces enfants àtête folle, qui ne comprenaient pas tant de pensée et de réflexion,et dès ce jour ils témoignèrent à Pierre une sorte de respect.

À quelque temps de là, ce fut une grande fêtedans le village de Chantersier. Mgr l’évêque de Digne, qui était entournée épiscopale, s’y arrêta pour la confirmation. On décoral’église avec des tentures d’étoffes et des fleurs, et on dressasur la place où s’ouvrait le grand portail un arc de triomphechampêtre, recouvert de branches de buis et orné de bouquets delavande et de roquette. Aux fenêtres des maisons qui donnaient surla place, on avait étalé, en guise de tentures, des draps, descouvertures et des rideaux. Le curé et son desservant avaientrevêtu leurs plus beaux habits sacerdotaux. Tous les enfants del’école avaient été transformés en enfants de chœur, et parmi euxon remarquait le petit Pierre, dont la bonne mine et l’œil vifcharmaient tous les regards. Il était debout sur le seuil de laporte de l’arc de triomphe opposée à celle par laquelle Mgrl’évêque devait arriver ; il tenait un papier à la main danslequel il regardait souvent.

Tout à coup un grand mouvement se fit dans levillage ; on entendit un bruit de roues : c’était lecarrosse de monseigneur. Aussitôt retentirent des acclamationsjoyeuses ; mais elles furent couvertes par un chant d’églisequ’entonnèrent le curé, les chantres et les enfants de chœur.

Monseigneur était descendu de voiture, et,suivi de ses grands vicaires, traversait l’arc de triomphechampêtre. Le chant s’arrêta, et le petit Pierre, placé en face del’évêque, se mit à débiter une harangue d’une voix claire etsonore. Il commença par dire quelle fête c’était pour le pays quela venue de monseigneur ; quelle bénédiction pour les enfantssur qui il allait faire descendre l’Esprit saint ; quellefélicité pour tous les cœurs ! car, non-seulement monseigneurreprésentait la charité et la religion, mais il représentait aussila science et les belles-lettres. Monseigneur savait que les mondesqui brillent sur nos têtes durant une belle nuit attestent lagloire de Dieu ; que chaque étoile comme chaque insecte révèleson infini ; que les grands philosophes grecs étaient uneémanation de son esprit ; que les poëtes, les savants, lesartistes attestent par leurs œuvres sa grandeur. Et, tout enparlant ainsi, l’enfant parcourait rapidement l’histoire ancienneet l’histoire moderne, et nommait les grands hommes qui semblaientavoir été marqués du doigt de Dieu.

Le prélat l’écoutait avec attention etsemblait tout émerveillé. Il crut d’abord que le curé, dont ilconnaissait la belle intelligence, avait composé cetteharangue ; mais quand il apprit par lui que le petit Pierrel’avait pensée et écrite seul, il s’écria :

« Cet enfant sera un jour la merveille deson siècle. »

Il embrassa le petit orateur et entra dansl’église accompagné de toute sa suite.

Dans l’église étaient rangés les enfants quidevaient recevoir la confirmation ; ils portaient tous uneécharpe blanche croisée sur leur poitrine, et tenaient à la main uncierge et un bouquet blanc. Tête nue, les mains jointes,agenouillés en rang, rien n’était touchant comme l’attitude, levisage recueilli de tous ces jeunes néophytes.

La confirmation est un des sacrements les plusvivifiants de l’Église ; on le reçoit jeune, parce qu’il doitinfluer sur toute la vie. Merveilleux symbole ; l’Esprit saintdescend en nous et nous inonde de ses clartés ! c’est-à-direqu’il nous suggère la triple lumière du bien, du beau et dujuste ; il nous élève au-dessus de la brute et de sesappétits ; il fait que l’intelligence domine lamatière !

C’est en ce sens que l’évêque de Digne, quiétait non-seulement un saint homme, mais un savant ecclésiastique,parla à ces enfants attentifs qui l’écoutaient, comme si la voix deDieu se fût fait entendre. Toute l’assistance était émue, maispersonne ne l’était autant que le petit astronome, qui trouvaitdans les paroles de l’évêque l’approbation de ses propres pensées.Pierre était radieux de ce que l’illustre prélat ne séparait pas lafoi de la science. Il eût voulu, son discours terminé, aller baiserle bas de sa robe et lui demander sa bénédictionparticulière ; mais la timidité et le respect le retinrent, etquand la cérémonie fut terminée, après avoir déposé son habitd’enfant de chœur, il s’éloigna de l’église avec la foule, sansespérer de laisser un souvenir à ce grand évêque dont la paroleétait si pénétrante.

À l’issue de la cérémonie, pour fêterdignement monseigneur l’évêque, le bon curé de Chantersier réunit àdîner tous les notables du village. Quand les convives furent assiset que le repas eut commencé, l’évêque dit au curé :

« Il manque quelqu’un ici.

– Qui donc, monseigneur ?

– J’aurais voulu voir assis parmi nous cepetit orateur qui sera un jour un grand homme.

– Je crains, répondit le bon curé, quiaimait pourtant Pierre comme son fils, de lui donner tropd’orgueil.

– Vous avez raison, répliqual’évêque ; mieux vaut lui être utile que d’exalter sonesprit. » Et il parut réfléchir.

Quand le repas fut terminé, l’évêques’entretint avec le curé et quelques-uns des invités des intérêtsde la paroisse, puis il leur dit adieu ; car il devait allercoucher le soir même dans un autre village, où il donnait laconfirmation le lendemain.

Toute la population entoura la voiture del’évêque au moment du départ en poussant des vivat ; oncroyait que le carrosse allait regagner la grande route à traverschamps, et tous les assistants furent surpris de lui voir suivre unpetit sentier tortueux qui ne conduisait pas au chemin que l’évêquedevait prendre. Plusieurs l’accompagnèrent avec curiosité, et cettecuriosité redoubla quand ils virent la voiture de Monseigneurs’arrêter devant la modeste maison du père de Pierre.

Monseigneur descendit lui-même de soncarrosse ; il traversa le petit jardin et se fit annoncer auxparents du merveilleux enfant. Ceux-ci accoururent sur le seuil deleur porte en poussant des exclamations de reconnaissance et debonheur.

« Voulez-vous me confier votrefils ? leur dit l’évêque avec bonté.

– Quoi ! monseigneur, est-cepossible, répliqua le père en tremblant de joie ; vous voulezvous charger de l’éducation de notre enfant !

– Oui, je le désire, réponditl’évêque ; car cet enfant me semble doué de l’esprit de Dieu,et sera, j’en suis sûr, une des gloires de sonpays ! »

La mère pleurait à l’idée d’une séparation.Pierre, qui était accouru, lui disait tout bas de bonnes parolespour la consoler.

« Si vous y consentez, continua l’évêque,je vais l’emmener dans ma voiture ; je veux me hâter dedévelopper une intelligence aussi rare. »

Le petit Pierre était rayonnant ; sonpère se redressait avec orgueil et remerciait l’évêque enrépétant :

« Oui, monseigneur ! »

La mère seule éprouvait un déchirement dansses entrailles ; elle eût voulu retarder la séparation.

« Mais, dit-elle timidement, ce n’est pastrop de quelques jours pour que je prépare ses habits et tout cequ’il lui faudra loin de nous.

– J’y pourvoirai, répondit l’évêque.Allons, bonne mère, du courage ; c’est pour le bien de votrefils. Dans peu de jours vous pourrez venir le voir à laville. »

L’enfant embrassa son père et plus tendrementencore sa mère qui pleurait ; puis il monta lestement dans lavoiture à la place que l’évêque lui indiquait en face de lui.

Une semaine après, Pierre Gassendi entrait aucollége de Digne, où il fit de fortes études classiques, qui lepréparèrent à devenir un des hommes les plus célèbres parmi lessavants et les philosophes de son siècle.

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