Enfances célèbres

PASCAL ET SES SŒURS

On montre encore à Clermont la maison oùnaquirent Pascal et ses deux sœurs. Le petit Blaise, qui devaitrendre si illustre le nom de Pascal, vint au monde faible etchétif ; il avait à peine un an lorsqu’il resta comme inanimédans les bras de sa mère ; on crut qu’il était mort. Mais leslarmes et les prières maternelles semblèrent opérer un miracle.L’enfant sourit tout à coup, la santé lui revint et il se développaintelligent et beau. Sa sœur Jaqueline fut douée comme lui d’unesprit merveilleusement précoce ; leurs visages seressemblaient ; elle avait de son frère le front élevé, l’œiléclatant, le nez arqué, la mine fière. Quand Jaqueline eut huit anset qu’il en eut dix, c’étaient deux enfants dont la beautécaptivait et dont l’esprit inattendu et original était un sujetd’étonnement pour tout le monde. Entraîné vers les sciences, lejeune Pascal suppliait son père de l’initier à ces merveilleuxmystères qu’il rêvait. Mais son père résistait, craignant que cetteétude ne le détournât de celle des langues.

L’enfant réitéra ses instances et demanda àson père de lui apprendre au moins les éléments des mathématiques.N’ayant pu l’obtenir, le jeune Pascal se mit à réfléchir seul surces premières notions. À l’heure des récréations, il se retiraitdans une salle isolée, et là, un crayon à la main, il s’appliquaità tracer des figures géométriques ; il établissait desprincipes, il en tirait des conséquences, il trouvait desdémonstrations, et il poussa ses recherches si avant que, sans lesecours d’aucun des ouvrages qui traitent de l’algèbre, il y fittout seul d’immenses progrès. Son père le surprit un jour dans cetexercice ; il en fut si touché que des larmes jaillirent deses yeux. Dès ce jour il n’enchaîna plus l’essor du génie de sonfils, et il permit à Blaise d’assister aux conférences des savantsqui s’assemblaient chez lui toutes les semaines. Jaqueline aussiméditait à l’écart et, comme son frère, était tourmentée parl’obsession d’un génie naissant. Mais ce n’était point la sciencequi la sollicitait. Dès l’âge de sept ans elle pensait envers ; la poésie chantait à son oreille. Quand sa sœurGilberte (depuis Mme Périer), l’aînée des troisenfants, qui remplaçait leur mère morte, voulut lui apprendre àlire, Jaqueline résista ; à l’heure de la leçon elle secachait pour y échapper. Mais un jour ayant entendu sa sœur liredes vers tout haut, captivée par cette cadence qui déjà vibraitdans son cœur, elle lui dit : « Quand vous voudrez mefaire lire, faites-moi lire des vers, et je lirai ma leçon tant quevous voudrez. » Depuis ce jour elle parlait toujours de vers,elle en apprenait par cœur avec facilité ; elle voulut enconnaître les règles, et à huit ans, avant de savoir lirecouramment, elle se mit à en composer.

Le père de ces enfants de génie s’était établià Paris pour veiller sur leur éducation, et Jaqueline y trouva deuxjeunes compagnes (les demoiselles Saintot) qui avaient, commeelles, les plus heureuses dispositions pour la poésie. Un jour, lestrois petites filles résolurent de faire une comédie ; ellesen choisirent le sujet, en composèrent le plan, et en firent tousles vers sans l’aide de personne. C’était une pièce suivie en cinqactes, et dans laquelle toutes les règles d’alors étaientobservées. Elles la jouèrent elles-mêmes deux fois avec d’autresacteurs de leur âge. On réunit grande compagnie pour les entendreet chacun s’étonna que ces enfants eussent pu faire un aussi longouvrage. On y trouva des traits charmants. La cour et la ville enparlèrent, et Jaqueline, qui n’avait pas dix ans, devint un enfantcélèbre en poésie comme l’était déjà dans la science son jeunefrère Blaise.

La reine Anne d’Autriche, qui résidait auchâteau de Saint-Germain, voulut voir la petite muse.Mme de Morangis, amie de la famille Pascal etqui était de la cour, se chargea d’y conduire Jaqueline. De Paris àSaint-Germain c’était alors tout un voyage ; un carrosse de lareine y mena la petite fille célèbre, accompagnée deMme de Morangis. La reine était grosse del’enfant qui fut depuis Louis XIV. Jaqueline composa sur cettecirconstance un sonnet où elle célébrait les espérances que laFrance fondait sur ce prince encore à naître. Arrivée àSaint-Germain, elle fut introduite dans le cabinet de la reine,qui, entourée d’une suite nombreuse, reçut Jaqueline avec bonté etprit de ses mains les vers qu’elle avait composés. Mais en lesentendant, la reine s’imagina que ces vers n’étaient pas d’uneenfant si jeune, ou du moins qu’on lui avait beaucoup aidé. Tousceux qui étaient présents eurent la même pensée. Alors Mademoiselle(qui fut plus tard la grande Mademoiselle) s’approcha de Jaquelineet lui dit : « Puisque vous faites si bien les vers,faites-en pour moi. » Aussitôt Jaqueline se retira quelquesinstants dans un angle du cabinet de la reine, et tranquillementelle improvisa les vers suivants :

ÀMADEMOISELLE DE MONTPENSIER.

Fait sur-le-champ par son commandement.

Muse, notre grande princesse

Te commande aujourd’hui d’exercer tonadresse

À louer sa beauté ; mais il fautavouer

Qu’on ne saurait la satisfaire

Et que le seul moyen qu’on a de la louer

C’est de dire en un mot qu’on ne saurait lefaire.

Chacun applaudit cet impromptu, etMme d’Hautefort demanda à son tour à l’enfant defaire des vers pour elle. Aussitôt la petite Jaqueline improvisa unéloge de la beauté de Mme d’Hautefort. La reine ettoute l’assistance étaient ravies, et depuis ce jour la jeune sœurde Pascal fut souvent appelée à la cour et toujours caressée duroi, de la reine, de Mademoiselle et de tous ceux qui la voyaient.Elle avait les reparties les plus justes et souvent les plusprofondes. Ce qui charmait en elle, c’est qu’elle gardait la gaietéde son âge ; quand elle était avec ses compagnes, elle jouaità tous les jeux des enfants, et, lorsqu’elle était seule, elles’amusait avec ses poupées.

On sent la naïveté de cet esprit merveilleuxdans le morceau suivant qu’elle adressa à la reine pour laremercier de l’accueil fait à ses premiers vers :

Mes chers enfants, mes petits vers,

Se peut-il arriver dans le grand univers

Un bien qu’on puisse dire au vôtrecomparable ?

Vous êtes remplis de bonheur :

La reine vous combla d’honneur,

Sa Majesté vous fit un accueil favorable.

Sa main daigna vous recevoir.

Son œil, plein de douceur, se baissa pour vousvoir ;

Vous fûtes en silence ouïs de sesoreilles,

Et par un excès de bonté,

Sans que vous l’eussiez mérité,

Sa bouche vous nomma de petitesmerveilles.

Malgré le succès de Jaqueline à la cour,malgré le génie naissant de son frère, qui déjà excitait lacuriosité des princes et des grands, leur père faillit être enferméà la Bastille par le cardinal de Richelieu. Dans une réunionnombreuse où se trouvaient d’autres personnages, M. Pascalpère et quelques-uns de ses amis exprimèrent à propos des rentes del’hôtel de ville une opinion assez vive contre le cardinal ;traités de séditieux, tous ceux qui avaient parlé de la sortefurent envoyés à la Bastille. L’ordre d’arrêter M. Pascal futdonné ; il se sauva et parvint à se dérober aux poursuites quile menaçaient.

Pour se distraire de ses graves préoccupationsd’État, Richelieu faisait souvent jouer la comédie dans lePalais-Cardinal, aujourd’hui le Palais-Royal ; les galeriesn’existaient pas alors, et les jardins de ce beau palaiss’étendaient en parterres et en bosquets jusqu’aux boulevards. Laduchesse d’Aiguillon, nièce de ce redoutable ministre, présidaitaux fêtes qu’il donnait et en préparait elle-même lesdivertissements. Corneille, encore peu connu, vivait à Rouen.C’était Rotrou, c’était Scudéry qui fournissaient les pièces quel’on représentait au Palais-Cardinal. Au mois de février 1639, laduchesse d’Aiguillon, pour donner plus d’attrait à cesreprésentations, voulut faire jouer par des enfants l’Amourtyrannique, tragi-comédie de Scudéry. Elle songea auxdemoiselles Saintot, à leur petite amie Jaqueline et à son frèrePascal ; mais Gilberte, la sœur aînée, qui veillait sur lesenfants dont le père était proscrit, répondit fièrement augentilhomme qui lui fut envoyé en cette occasion par la duchessed’Aiguillon : « Monsieur le cardinal ne nous donne pasassez de plaisir pour que nous pensions à lui en faire. » Laduchesse insista et fit même entendre que le rappel de leur pèredevait en dépendre. Les amis de la famille décidèrent alors queJaqueline accepterait le rôle qu’on lui proposait. Le célèbreacteur Montdory, qui était de Clermont et qui connaissait lafamille Pascal, donna des leçons à Jaqueline et se chargea demonter la pièce. Le jour de la représentation arriva. Jaqueline,qui avait à peine douze ans, mit dans son jeu une gentillesse quicharma tous les spectateurs, et surtout Richelieu. Le cardinal necessa de l’applaudir. Elle profita de son succès pour obtenir lagrâce de son père. Écoutons-la faire le récit de cette soirée dansune lettre adressée à son père et restée jusqu’ici inédite. Nous ladonnons d’après le manuscrit de la Bibliothèque impériale.

« Monsieur mon père,

« Il y a longtemps que je vous ai promisde ne point vous écrire si je ne vous envoyais des vers, et,n’ayant pas eu le loisir d’en faire (à cause de cette comédie dontje vous ai parlé), je ne vous ai point écrit il y a longtemps. Àprésent que j’en ai fait, je vous écris pour vous les envoyer etpour vous faire le récit de l’affaire qui se passa hier à l’hôtelde Richelieu, où nous représentâmes l’Amour tyranniquedevant M. le cardinal. Je m’en vais vous raconter de point enpoint tout ce qui s’est passé. Premièrement, M. Montdoryentretint M. le cardinal depuis trois heures jusqu’à septheures, et lui parla presque toujours de vous, de sa part et nonpas de la vôtre, c’est-à-dire qu’il lui dit qu’il vous connaissait,lui parla fort avantageusement de votre vertu, de votre science etde vos autres bonnes qualités. Il parla aussi de cette affaire desrentes, et lui dit que les choses ne s’étaient pas passées comme onavait fait croire, et que vous vous étiez seulement trouvé une foischez M. le chancelier, et encore que c’était pour apaiser letumulte ; et, pour preuve de cela, il lui conta que vous aviezprié M. Fayet d’avertir M… Il lui dit aussi que je luiparlerais après la comédie. Enfin, il lui dit tant de choses qu’ilobligea M. le cardinal à lui dire : « Je vouspromets de lui accorder tout ce qu’elle me demandera. »M. de Montdory dit la même chose àMme d’Aiguillon, laquelle lui dit que cela luifaisait grande pitié et qu’elle y apporterait tout ce qu’ellepourrait de son côté. Voilà tout ce qui se passa devant la comédie.Quant à la représentation, M. le cardinal parut y prendregrand plaisir ; mais principalement lorsque je parlais, il semettait à rire, comme aussi tout le monde dans la salle.

« Dès que cette comédie fut jouée, jedescendis du théâtre avec le dessein de parler àMme d’Aiguillon. Mais M. le cardinal s’enallait, ce qui fut cause que je m’avançai tout droit à lui, de peurde perdre cette occasion-là en allant faire la révérence àMme d’Aiguillon ; outre cela,M. de Montdory me pressait extrêmement d’aller parler àM. le cardinal. J’y allai donc et lui récitai les vers que jevous envoie, qu’il reçut avec une extrême affection et des caressessi extraordinaires que cela n’était pas imaginable. Car,premièrement, dès qu’il me vit venir à lui, il s’écria :« Voilà la petite Pascal, » et puis il m’embrassait et mebaisait, et, pendant que je disais mes vers, il me tenait toujoursentre ses bras et me baisait à tous moments avec une grandesatisfaction, et puis, quand je les eus dits, il me dit :« Allez, je vous accorde tout ce que vous me demandez ;écrivez à votre père qu’il revienne en toute sûreté. »Là-dessus Mme d’Aiguillon s’approcha, qui dit àM. le cardinal : « Vraiment, monsieur, il faut quevous fassiez quelque chose pour cet homme-là ; j’en ai ouïparler, c’est un fort honnête homme et fort savant ; c’estdommage qu’il demeure inutile. Il a un fils qui est fort savant enmathématiques, qui n’a pourtant que quinze ans. » Là-dessus,M. le cardinal dit encore une fois que je vous mandasse quevous revinssiez en toute sûreté. Comme je le vis en si bonnehumeur, je lui demandai s’il trouverait bon que vous lui fissiez larévérence ; il me dit que vous seriez le bienvenu, et puis,parmi d’autres discours, il me dit : « Dites à votrepère, quand il sera revenu, qu’il me vienne voir, » et merépéta cela trois ou quatre fois. Après cela, commeMme d’Aiguillon s’en allait, ma sœur l’alla saluer,à qui elle fit beaucoup de caresses et lui demanda où était monfrère, et dit qu’elle eût bien voulu le voir. Cela fut cause que masœur le lui mena ; elle lui fit encore grands compliments etlui donna beaucoup de louanges sur sa science. On nous mena ensuitedans une salle, où il y eut une collation magnifique de confituressèches, de fruits, limonade et choses semblables. En cet endroit-làelle me fit des caresses qui ne sont pas croyables. Enfin, je nepuis pas vous dire combien j’y ai reçu d’honneurs ; car je nevous écris que le plus succinctement qu’il m’est possiblede…<span class=footnote>Mot illisible dans la lettremanuscrite.</span>. Je m’en ressens extrêmement obligée àM. de Montdory, qui a pris un soin étrange. Je vous priede prendre la peine de lui écrire par le premier ordinaire pour leremercier, car il le mérite bien. Pour moi, je m’estime extrêmementheureuse d’avoir aidé en quelque façon à une affaire qui peut vousdonner du contentement. C’est ce qu’a toujours souhaité avec uneextrême passion, Monsieur mon père,

« Votre très-humble et très-obéissante fille et servante,

« PASCAL.

« De Paris, ce 4 avril 1639. »

Voici quels étaient les vers adressés àRichelieu et joints à la lettre que nous venons de citer :

Ne vous étonnez pas, incomparable Armand,

Si j’ai mal contenté vos yeux et vosoreilles :

Mon esprit, agité de frayeurs sanspareilles,

Interdit à mon corps et voix et mouvement.

Mais pour me rendre ici capable de vousplaire,

Rappelez de l’exil mon misérablepère :

C’est le bien que j’attends d’une insignebonté ;

Sauvez un innocent d’un périlmanifeste :

Ainsi vous me rendrez l’entière liberté

De l’esprit et du corps, de la voix et dugeste.

En recevant ces heureuses nouvelles, ÉtiennePascal se hâta de revenir à Paris ; il se présenta, avec sestrois enfants, à Ruel, chez le cardinal, qui lui fit l’accueil leplus flatteur. « Je connais tout votre mérite, lui ditRichelieu ; je vous rends à vos enfants et je vous lesrecommande ; j’en veux faire quelque chose degrand. »

Deux ans après, Étienne Pascal fut nommé àl’intendance de Rouen, et il alla s’établir dans cette ville avecsa famille. La jeune Jaqueline, qui n’avait cessé de s’exercer àfaire des vers, obtint le prix de poésie décerné chaque année àRouen, à la fête de la Conception de la Vierge, qui était le sujetmême du concours. Quoique ces vers ne méritent pas d’être cités,ils eurent alors un prodigieux succès. Le prix fut porté àJaqueline en grande pompe, avec des trompettes et des tambours, etCorneille, présent à cette cérémonie, fit un impromptu sur letriomphe et la modestie de la jeune muse, qui s’était dérobée àcette ovation.

Voici le début de ces vers ; ils étaientadressés au prince qui présidait la solennité :

Pour une jeune muse absente,

Prince, je prendrai soin de vousremercier,

Et son âge et son sexe ont de quoi convier

À porter jusqu’au ciel sa gloire encornaissante.

Guidée par le génie de Corneille, qui peutdire jusqu’où serait monté le vol de cette intelligence, dans cebeau siècle où un souffle de grandeur passa sur les âmes et s’enexhala ? Mais la gloire, sans doute, effraya Jaqueline ;elle en détourna ses regards avec une sorte d’éblouissement, etelle ne fit plus de vers que pour célébrer Dieu :

Moteur de ce grand univers,

Inspirez-moi de puissants vers,

Envoyez-moi la voix des anges,

Non pas pour louer les mortels,

Mais pour entonner vos louanges,

Et vous remercier au pied de vos autels.

Bientôt elle entra au couvent de Port-Royaldes Champs, et y ensevelit cette beauté et cet esprit qui l’avaientfait admirer dans le monde. Que de charmes, que de génie secachèrent dans cette retraite, gloires humaines perdues dans lagloire de Dieu, comme ces étoiles qui brillent, fuient et seconfondent dans la voie lactée !

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