Enfances célèbres

NOTICE SUR WINCKELMANN.

Jean-Joachim Winckelmann, un des plusillustres antiquaires des temps modernes, était le fils d’un pauvrecordonnier de Steindall, ville de la vieille marche de Brandebourg.L’enfant montra tout petit les plus heureuses dispositions pourtout ce qui touchait aux arts : l’architecture, la sculpture,la peinture, la musique, l’euphonie des langues l’attiraientinvinciblement ; il échangea ses prénoms de Jean-Joachimcontre celui de Giovanni, comme plus harmonieux, et c’esttoujours ainsi qu’il signa ses ouvrages. Son père comprit sonintelligence sans toutefois en deviner l’aptitude particulière, etmalgré son extrême pauvreté, il s’imposa des privations de tousgenres pour subvenir aux dépenses que nécessitait l’éducationprimaire de son fils. Malheureusement il devint infirme et dutentrer dans un hôpital.

Dans ce dénûment complet, le jeune Winckelmannaurait été réduit à entrer dans un atelier, sans l’appui que luiprêta le vieux recteur du collége de Steindall. Ce bon vieillard senommait Toppert, il avait remarqué les merveilleuses dispositionsde son élève, et en peu de temps il le vit expliquer et commenteravec la même précision que lui-même aurait pu le faire, les auteursclassiques de la Grèce et de Rome. La Grèce surtout l’attiraitinvinciblement. Il se passionna pour Hérodote et pour Homère ;il trouvait en eux des descriptions qui lui faisaient comprendretoute la beauté de l’art grec, dont l’image l’enivrait avant mêmed’en avoir pu admirer les chefs-d’œuvre ; il ne rêvaitqu’antiquités grecques et romaines, et souvent il entraînait sescompagnons d’études dans un champ voisin de Steindall, où l’onavait découvert des lampes et des urnes helléniques ou étrusques,et là, sous la direction du jeune Winckelmann, les écoliersfaisaient de petites fouilles. Un jour Winckelmann rapporta entriomphateur deux urnes antiques qui sont encore à la Bibliothèquede Sechausen.

À l’âge de seize ans, son bienfaiteur Toppertpermit à Winckelmann d’aller à Berlin commencer ce que l’on appelleen allemand des cours académiques. Bientôt le recteur du collége deBaaken lui confia la surveillance de ses enfants et lui offrit enretour chez lui le logement et la table. Winckelmann put alorséconomiser de petites sommes qu’il envoyait à son père quilanguissait infirme dans l’hospice de Steindall. Au bout d’un an,Toppert le rappela dans cette ville et lui fit donner la place dechef des choristes. Le soir il se joignait, selon l’usage del’Allemagne, aux pauvres écoliers qui chantaient dans les rues descantiques et des motets. Il parvenait ainsi à grossir les petitessommes qu’il portait régulièrement à son père.

Le moment de choisir enfin une carrière arrivapour lui ; on lui conseilla de se faire ministre évangélique,mais cette seule pensée l’épouvantait. Vivre dans la froideAllemagne en pasteur protestant lui semblait à jamais emprisonnersa jeunesse et son âme. Une image radieuse, celle de la Grèceantique, remplissait toute son imagination ; le soleil etl’art de cette terre prédestinée brillaient devant lui :c’était comme une tentation fixe qui ne lui laissait plus de repos.À défaut de la Grèce, ne pourrait-il visiter l’Italie, qui avaithérité d’une partie des merveilles d’Athènes ? Ce rêves’empara de son esprit ; pour le réaliser il aurait toutsacrifié. À force de vivre en pensée dans l’antiquité, il sepassionna jusque pour ses fables. La beauté des dieux et desdéesses d’Homère et la splendeur des marbres de Phidiasconstituèrent pour lui un idéal radieux qui lui paraissait biensupérieur aux religions qui lui avaient succédé ; la grandeuret la sainteté du christianisme lui échappaient, il n’en voyait quele côté sombre et tourmenté et s’éprenait plus vivement de lasérénité de l’art grec. Insensiblement il devint païen par amour dubeau.

Il quitta Steindall et passa deux ans dansl’université de Halle, poursuivant son rêve dans une pauvretévoisine de la misère : il ne vivait le plus ordinairement quede pain et d’eau. Tantôt il s’imaginait qu’il allait faire desfouilles dans les pyramides d’Égypte, tantôt qu’il remuait le solvoisin d’Olympie et en retirait les chefs-d’œuvre enfouis dePhidias et de Lysippe. Sa seule joie durant ces années de vocationrefoulée fut d’aller visiter le musée de Dresde, où il put voirenfin quelques beaux marbres antiques. Il se décida durantplusieurs années à être tour à tour précepteur dans des maisonsparticulières et professeur dans des institutions publiques. Enfinlassé de cette vie de contrainte, il se détermina à écrire au comtede Bunau, très-riche seigneur allemand, lettré et ami des arts.Winckelmann sollicita de lui de le placer dans un coin de sabibliothèque ; le comte lui donna aussitôt asile dans lechâteau où cette magnifique bibliothèque était réunie, et il futpour Winckelmann un Mécène plein de bonté. C’est alors que le jeuneantiquaire s’écria : « La religion chrétienne et lesmuses se sont disputé la victoire, enfin les dernièresl’emportent ! »

Tandis que Winckelmann vivait dans ce château,pouvant se livrer exclusivement à ses chères études et posant déjàles principes de sa magnifique Histoire de l’art, le noncedu page à Dresde, vint visiter la bibliothèque du comte de Bunau,et frappé de l’érudition artistique de Winckelmann, il luidit : « Vous devriez venir à Rome ! » Ceci futl’étincelle électrique qui fit prendre feu à son rêve. Aller àRome, obtenir une place à la bibliothèque du Vatican, c’était à n’ypas croire. Le nonce y mit pour seule condition que Winckelmann seferait catholique ! – « Voulez-vous, lui disait-il, voirl’Apollon du Belvéder, la Vénus de Médicis, les Faunes, les Muses,Silène, etc., etc., abjurez ! » Le cœur et l’esprit deWinckelmann, indifférents à tout hors à la beauté des dieuxd’Homère, ne trouvèrent pas une objection.

Enfin il vit l’Italie, il résida à Rome, ilséjourna à Naples et assista aux fouilles d’Herculanum. C’est àRome qu’il écrivit tous ses ouvrages ; il vécut là heureux,compris, fut nommé membre de toutes les académies de l’Italie, etcelles de l’Allemagne et de Londres l’admirent dans leur sein.

Ses compatriotes, fiers de sa renommée, leprièrent de revenir en Allemagne ; le grand Frédéric voulut sel’attacher. Winckelmann résista à toutes ces instances ;l’Italie avec sa lumière, son ciel et ses montagnes dorées, étantdésormais sa mère adoptive, il n’eût consenti à la quitter pourtoujours que si la Grèce l’eût appelé. Cependant il promit à sesamis d’aller les revoir ; il s’éloigna de Rome avec une grandetristesse et comme envahi par le pressentiment que ce voyage enAllemagne lui serait funeste. À mesure qu’il s’approchait des Alpeset des gorges du Tyrol, sa tristesse augmentait ; les honneursqu’il reçut à Munich, à Vienne et dans toutes les cours del’Allemagne ne purent lui rendre la gaieté ; il avait perduson soleil et ses dieux. Le premier ministre d’Autriche mit tout enœuvre pour l’attacher à sa cour ; ses amis insistèrent, mais,dit l’un d’entre eux, nous remarquâmes qu’il avait les yeuxd’un mort, et nous ne voulûmes pas le tourmenter davantage. Lavie pour lui, c’était la lumière et l’art qui, de la Grèce,s’étaient réfugiés en Italie ; la mort, c’était la froide etdidactique Allemagne. Enfin, il en partit accablé des honneurs etdes présents que les souverains lui avaient prodigués ; ilreprit la route de sa patrie adoptive ; on ne sait quel motifle détermina à passer par Trieste pour s’y embarquer pour Ancône.Il rencontra en chemin un misérable, nommé François Archangeli,déjà repris de justice, et qui parvint à s’insinuer dans laconfiance de Winckelmann, qui lui montra les magnifiques médaillesd’or qu’il avait reçues des princes de l’Allemagne. Arrivé àTrieste, Archangeli se logea dans la même hôtellerie queWinckelmann. Un jour que celui-ci lisait Homère, il vit entrer danssa chambre son compagnon de route qui le pria de lui laisseradmirer encore une fois ses médailles. Winckelmann, pour lesatisfaire, s’empressa de se diriger vers sa malle et des’agenouiller pour l’ouvrir. Aussitôt Archangeli lui passe un nœudcoulant autour du cou et tente de l’étrangler. Winckelmann résisteavec force, mais l’assassin lui plonge cinq coups de couteau dansle bas-ventre ; un coup frappé à la porte par un enfanteffraya ce misérable, qui prit la fuite en laissant là lesmédailles qui devaient être le prix de son crime. Les blessures deWinckelmann étaient mortelles ; il expira après sept heuresd’agonie le 8 juin 1768 ; il avait gardé jusqu’à la fin toutesa présence d’esprit. Le principal ouvrage de Winckelmann est sonHistoire de l’art ; ses Remarques surl’architecture des anciens et son Recueil de lettres surles découvertes faites à Herculanum, à Pompeïa, à Stabia, sontaussi très-appréciés des artistes et des connaisseurs.

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