Enfances célèbres

TROISIÈME TABLEAU.

Grande place publique à Rennes ; les maisons sont tendues detapisseries, les fenêtres encombrées de spectateurs ; desgradins entourent la place. On aperçoit sur une estrade toute lafamille des du Guesclin.

SCÈNE PREMIÈRE.

LA COMTESSE, le comte DU GUESCLIN, OLIVIER et JEAN, leurs fils, lachâtelaine de LA MOTTE, RACHEL, puis BERTRAND, la foule.

OLIVIER. Ah ! maman, quel plaisir nousallons avoir ! le tournoi va commencer.

JEAN. J’aperçois mon père sur son beau chevalblanc.

RACHEL, à la comtesse. Comme monpauvre Bertrand serait joyeux s’il était ici !… et vous l’avezprivé de ce plaisir… Oh ! madame, vous êtes bien sévère.Maîtresse, faites-lui grâce, laissez-lui voir ce tournoi, et ilchangera.

LA COMTESSE. Ma bonne Rachel, tu juges mal moncœur de mère ; je désirerais revoir l’enfant prodigue, mais satante m’a appris qu’il était incorrigible.

LA CHÂTELAINE. Oui ; vous n’en obtiendrezjamais rien par la douceur.

LA COMTESSE. En songeant à ce qu’il doitsouffrir, je voudrais lui pardonner.

LA CHÂTELAINE. Il n’est plus temps ; letournoi commence.

LES HÉRAUTS D’ARMES. Le tournoi s’ouvre ;trompes, sonnez ; bannières, déployez-vous !

JEAN. Voilà mon père qui s’avance un despremiers.

OLIVIER. Voilà aussi mon oncle de laMotte ; il se range de son côté.

LA CHÂTELAINE. Quel est ce chevalier qui vientde franchir la barrière ?

OLIVIER. Comme il est mal équipé !

JEAN. Quel méchant genet il monte ! ondirait un des chevaux de la ferme.

DES VOIX, dans la foule. Faitessortir du champ clos ce discourtois chevalier.

BERTRAND. (Il est monté sur un vilaincheval et couvert d’une mauvaise armure.) Moi, sortir !non, jamais ! Oh ! quelle humiliation !… mais mononcle est bon, il aura pitié de ma détresse. Je vais me faireconnaître à lui.

LA FOULE. Qu’il sorte ! qu’ilsorte !

BERTRAND, s’approchant de son oncle.Noble chevalier…

LE CHEVALIER. Quoi ! c’est toi,Bertrand !

BERTRAND. Oui, c’est moi, bon oncle ! jen’ai pu y tenir : je me suis échappé par une fenêtre.

LE CHEVALIER. Quoi ! au péril de tavie ?

BERTRAND. Eh ! que fait la vie ?c’est la gloire qu’il me faut… Vous voyez qu’on veut me chasser,mon oncle, ne me refusez pas un de vos chevaux et une de voscuirasses. Songez qu’un du Guesclin ne doit pas sortir d’un tournoisans avoir rompu une lance avec honneur.

LE CHEVALIER. Mais on ne te connaît pas.

BERTRAND. Eh bien ! on apprendra à meconnaître aujourd’hui.

LE CHEVALIER. Allons ! qu’il soit commetu le désires. (Appelant un écuyer.) Armez ce jeunehomme.

BERTRAND. Merci, merci !

LE COMTE, s’approchant du chevalier.Quel est ce combattant ?

LE CHEVALIER. Je l’ignore ; mais il al’air plein de bravoure, et je viens d’ordonner qu’on lui donne unautre équipement.

(Bertrand reparaît brillamment armé.)

LA FOULE. Bravo ! bravo !

LE HÉRAUT. Fermez la barrière, le tournoicommence.

BERTRAND. Oh ! je serai vainqueur.

(Ilmet la lance en arrêt et attaque un chevalier.)

LE CHEVALIER. Quel démon ! le voilà auxprises avec le plus brave !

LA COMTESSE, du gradin où elle est assiseavec sa famille et regardant Bertrand. Quelleintrépidité !

RACHEL. Madame, c’est le même qui tout àl’heure était si mal vêtu.

OLIVIER. Quels coups de lance ildonne !

JEAN. Comme il est beau à présent ! commeil se sert bien de ses armes !

LA CHÂTELAINE. Sans doute il ne veut pas êtreconnu, car il garde toujours sa visière baissée.

LE CHEVALIER. Courage, chevalierinconnu ! bravo ! bravo ! (Bertrand renverse lechevalier qu’il combat, après avoir tué son cheval.) Gloire auvainqueur ! qu’il lève sa visière et salue lesdames !

UN HÉRAUT. Non, ce jeune chevalier veutcombattre encore et sans montrer son visage.

LA FOULE. Qu’il combatte ! qu’ilcombatte !

LE CHEVALIER, à part. Oh ! jebrûle de t’embrasser, mon brave neveu !

LE COMTE. Je n’ai jamais vu de meilleurelance, par saint Georges.

BERTRAND, reconnaissant son père.Quelle voix ! est-ce un rêve ? oui, c’est lui, je lereconnais à son écu ; je dois le fuir jusqu’à ce que letournoi soit terminé, et je ne le puis, pourtant.

LE COMTE. Je voudrais bien rompre une lanceavec vous.

LE CHEVALIER. Excusez-le, il est blessé,peut-être.

LE COMTE. Non, tout chevalier qui est encoresur ses étriers ne doit pas refuser le combat. Je le défie, jel’attaque, il faudra bien qu’il me réponde.

(Ilpoursuit Bertrand, qui cherche à fuir.)

BERTRAND. En plein tournoi ! en pleintournoi !… Mais non, je ne dois pas me battre contre monpère.

LA FOULE. S’il refuse le combat, honte àlui !

BERTRAND. Oui, je le refuse.

LA FOULE. Honte à lui ! honte àlui !

LE CHEVALIER. Il vient de vous prouverpourtant qu’il avait du courage.

BERTRAND. Et je saurai le leur prouver encore.Défendez-vous, chevalier.

(Ilattaque un chevalier qui entre dans la lice.)

LE COMTE. Mais pourquoi m’a-t-il refusé lecombat ?

LE CHEVALIER. Nous le saurons quand il se feraconnaître.

BERTRAND. Rendez-vous, chevalier !

(Ilrenverse son adversaire dans la poussière.)

LA FOULE. Honneur ! honneur àl’inconnu !

LA COMTESSE, de sa place. Oui, oui,qu’il vienne recevoir le prix !

BERTRAND. Oh ! ma mère m’applaudit aussisans me connaître ! C’est devant elle que je vais lever mavisière ; quelle joie si elle me pardonne ! (Ils’approche du gradin où est sa mère, le comte du Guesclin et lechevalier de La Motte le suivent ; il s’incline.) Noblecomtesse du Guesclin, c’est pour vous que j’ai combattu ;daignerez-vous m’avoir en grâce ?

(Ilse découvre.)

LA COMTESSE. Bertrand !… monfils !…

RACHEL. Mon pauvre Bertrand !

LE COMTE. Viens que je t’embrasse, mon noblefils.

LE CHEVALIER. Il sera l’orgueil de votre race,sire comte.

RACHEL. Et celui de la France, croyez-en ladevineresse.

TOUS. Oh ! nous n’en doutons plus.

BERTRAND. Ma bonne mère, pardonnez-moi leschagrins que je vous ai donnés.

LA COMTESSE. Je suis trop heureuse pour m’ensouvenir.

LE HÉRAUT. Le prix du tournoi est à Bertranddu Guesclin.

LE COMTE, embrassant son fils. Soistoujours brave, mon enfant ! aime ton roi et crains tonDieu.

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