Judex

Chapitre 4LE FRISSON DE LA PEUR ET CELUI DE L’AMOUR

Jeannot et le môme Réglisse, bras dessus brasdessous, leurs petits cartons d’école sur le dos… se rendaient tousles deux, comme chaque jour, à l’école… située à l’autre bout dupays… lorsque, tout à coup, une voix de femme vibra tout prèsd’eux.

– Mais c’est Jeannot ?…

Aussitôt le môme Réglisse vit son petitcompagnon se précipiter vers une jeune femme très élégante… et unmonsieur non moins chic qui se tenaient à côté d’une automobilearrêtée au bord du chemin.

Déjà l’aventurière avait saisi le bambin dansses bras et le comblait de caresses… en disant :

– Que je suis donc heureuse de vousrevoir, mon petit Jean.

Amaury, de son côté, interrogeait :

– Où allais-tu donc comme ça ?

– À l’école.

– Eh bien, proposa joyeusement Diana,nous allons t’y conduire en voiture.

– Je veux bien…, acceptait le bambin.Seulement, faut emmener aussi mon camarade.

– C’est entendu. Allons hop… montez tousles deux…

– Mince alors ! s’extasiait le mômeRéglisse, v’là qu’on se fait carrioler comme des ambassadeurs.

La voiture démarra à belle allure… et Jeancommençait déjà à bavarder joyeusement lorsque le chapeau du mômeRéglisse, astucieusement poussé par Amaury, qui avait tout de suitedeviné dans le bambin un témoin gênant, s’envola emporté par labrise.

La voiture stoppa aussitôt, et, tandis que lemôme descendait pour rattraper son couvre-chef, le wattman, quin’était autre que Crémard, repartit aussitôt à toute allure,laissant Réglisse en panne sur la route…

– Attendez-le ! criait en vainJeannot.

Mais quand il vit que l’auto dépassait l’écoleet s’éloignait à fond de train dans une direction de lui inconnue,pris à la fois de frayeur et de colère, il se mit àcrier :

– Je ne veux pas m’en aller avecvous !

– Voyons, mon chéri, clamait Diana, n’aiepas peur ! Tu sais que nous t’aimons bien…

– Où m’emmenez-vous ? questionnaitle fils de Jacqueline.

– À Paris.

– Voir maman ?

– Oui, c’est cela, voir ta maman.

– Alors, pourquoi n’avez-vous pas attendule môme Réglisse ?…

– Tais-toi ! fit sèchementAmaury.

L’enfant se mit à pleurer… tout en appuyant sapetite tête sur l’épaule de l’infâme Diana qui osa encore lecaresser.

Lorsque l’auto stoppa devant l’AgenceCéléritas… Jeannot était un peu apaisé… Diana et son nouveaucomplice le firent monter avec eux jusque chez Cocantin.

– Vous voyez que nous vous avons tenuparole ! dit l’aventurière.

– Quel est ce bel enfant ?interrogeait le détective.

L’aventurière s’empressa dedéclarer :

– Un très gentil petit garçon que nousramenons à sa maman.

Et après avoir fait un signe à Amaury, quiprit le bambin par la main et l’emmena vers la fenêtre, elleexpliqua à voix basse au directeur de l’Agence Céléritas :

– C’est le fils de Jacqueline Aubry… Jecommence par vous dire que nous ne lui voulons aucun mal… Nousallons seulement vous prier de le garder pendant quarante-huitheures. Pendant ce temps… M. de la Rochefontaine et moi,nous ferons savoir à Judex que ce petit est ici. Nul doute qu’il nevienne le réclamer.

– Et alors ?

– Le reste nous regarde…

– Je vous avoue que je ne comprends pastrès bien, déclarait Cocantin sans enthousiasme.

– Rappelez-vous qu’il y a cent millefrancs pour vous… si nous arrivons à savoir qui est Judex…

Et cherchant à enivrer Cocantin de l’un de cesregards ardents qui semblent déjà mieux qu’une promesse, elleajouta :

– Allons, c’est entendu !… Amaury…nous allons prendre congé de M. Cocantin.

En même temps, Jeannot se précipitait vers ledétective en suppliant :

– Oh ! non, m’sieu, m’sieu…gardez-moi… Ils sont méchants !

– Vous voyez ! ricanal’ex-institutrice… Lui-même préfère rester avec vous… Ne lecontrariez pas, cher ami.

– Au revoir… et à bientôt, lança Amauryen rejoignant la Monti, qui avait déjà gagné l’antichambre.

Cocantin tout ahuri, demeuré seul avec le filsde Jacqueline, le considéra avec une expression de pitié, bientôtattendrie.

– Pauvre petit bonhomme !murmura-t-il tout ému.

Et l’attirant à lui, il demanda :

– Dis, tu veux bien que nous soyons bonsamis ?

– Oui, monsieur, répondit Jeannot… Jeveux bien… Seulement vous me rendrez à ma maman.

– Où demeure-t-elle ?

– À Neuilly… chezMme Chapuis… je ne sais plus bien la rue… mais jeretrouverai bien la maison.

Un vrai drame se jouait dans le cœur deCocantin qui songeait :

– Décidément, je crois que je me suisembarqué dans une très mauvaise affaire. Cette Diana est une femmeterrible… terrible !

Et tandis que Jeannot, flairant dans ledétective un protecteur naturel, sautait sur ses genoux, le regardde Cocantin se dirigea vers le buste de Napoléon.

– Il n’y a pas d’erreur, se dit-il… Jeferais beaucoup mieux de le ramener à sa mère.

Mais, tout à coup, le frisson de la peur fittressaillir Prosper…

En effet… le successeur de Ribaudet, tout encaressant le chérubin qui lui témoignait une si rapide et sientière confiance, venait de se dire tout à coup :

– Si je manque de parole à ces gens-là,ils sont capables de me jouer tous les tours possibles etimaginables… D’ailleurs, ce petit n’a rien à craindre… D’abord, ilsm’ont promis qu’ils ne lui feraient aucun mal et il n’y a pasbesoin d’avoir inventé la poudre, même de riz, pour comprendrequ’ils ne veulent s’en servir que pour amorcer Judex et délivrerFavraut, but honnête et louable entre tous. Somme toute, je neserais pas fâché de voir un peu la tête qu’il a, ce nommé Judex…Puis, il y a cent mille francs pour moi, et dame ! on a beauêtre à son aise, cent mille francs c’est une somme respectable.

Tout en faisant sauter sur ses genoux le petitJean, qui commençait à lui parler du bourricot et des canards deson papa Julien, Cocantin dirigea de nouveau ses yeux vers le busteimpérial.

Contrairement à son attente, il n’y rencontrapas l’approbation espérée.

– C’est singulier, se dit-il, le Patronn’a pas l’air de marcher. C’est donc qu’il faut que je restitue cegosse à sa famille.

Mais voilà qu’un nouveau frisson le saisit…Cette fois ce n’est plus le frisson de la peur, c’est celui del’amour…

L’image de Diana vient de lui apparaître…

De nouveau, il entend cette voix qui sidélicieusement chantait à ses oreilles.

Il revoit ce sourire ensorceleur, ces regardsde feu…

Il respire avec délice le parfum subtil dontil hume encore la trace… Et le voilà bouleversé, ne sachant plusqui va l’emporter : Diana ou Napoléon.

Hélas ! ce fut pour l’empereur un secondWaterloo… car, Cocantin, étouffant en lui la voix du remords…Cocantin désarmé par le brillant mirage qu’il venait d’évoquer…Cocantin amoureux comme il ne l’avait peut-être encore jamais été…céda fatalement à la passion et conclut :

– Je garde l’enfant !

Et pour étouffer les derniers scrupules quipersistaient en lui, il se tourna pour la troisième fois vers lebuste de son idole et maître… tout en promettantsolennellement :

– Sire, je vous garantis que le premierqui osera seulement toucher à un de ses cheveux… eh bien ! ehbien, il aura de mes nouvelles.

Tout le restant du jour, Cocantin, pensantqu’il avait concilié son devoir, son amour et ses intérêts,s’occupa de Jeannot, jouant avec lui, le comblant de friandises etachevant ainsi sa conquête.

Et quand arriva le soir, il le coucha lui-mêmedans son grand lit… tandis que, vêtu d’une robe de chambre, ils’étendait près de lui sur deux chaises, s’endormant bientôt, luiaussi, du sommeil de l’innocence.

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