Judex

Chapitre 5UN PLAN INFERNAL

Diana Monti n’avait pas perdu son temps.

Depuis le matin, toujours habillée en homme etpostée aux alentours de la villa avec deux marins aux allures à lafois louches et décidées, elle avait guetté le moment favorable oùelle pourrait pénétrer à l’intérieur de la propriété… et enleverFavraut à son unique geôlier.

Ayant réussi, à l’aide d’une fausse clé, à sefaufiler dans le jardin par une petite porte que Judex et Kerjeancroyaient condamnée, elle s’était dissimulée dans un épais massifavec ses deux nouveaux associés… attendant le moment propice pouragir.

C’est ainsi qu’elle avait vu Favraut s’asseoirsur son banc… ramasser le ballon… puis prendre le petit Jean dansses bras… lui parler… le reconduire jusqu’au mur…

L’aventurière se demandait quelles allaientêtre les conséquences de cette apparition inopinée, lorsqu’elle vitKerjean revenir vers son prisonnier et le ramener à la maison.

Alors elle n’hésita plus…

Le moment d’agir était venu. Il ne fallait àaucun prix le laisser échapper.

Elle fit un signe aux deux hommes quil’accompagnaient…

Ceux-ci, qui s’étaient munis de tous lesaccessoires indispensables à leur sinistre besogne, seprécipitèrent sur Kerjean, et, avec une rapidité remarquable, leligotèrent, le bâillonnèrent en un tour de main et s’en furentl’attacher à un palmier, tandis que Diana surgissait devant Favrautet lui disait :

– Je suis Marie Verdier, l’ancienneinstitutrice de votre petit-fils.

Et comme la silhouette de Moralès, habillé enmatelot, apparaissait, anxieuse, interrogative, dansl’entrebâillement de la petite porte demeurée ouverte,l’aventurière ajouta :

– Voici mon frère, avec qui je suis ici,pour vous arracher à vos geôliers.

– Vous… Vous ! balbutiait Favraut,dont la raison encore toute meurtrie chancelait de nouveau enprésence de cette intervention inattendue.

Et il ajouta d’une voix hésitante :

– J’ai vu mon petit-fils et ma fille vavenir !…

Mais Diana reprenait, persuasive etautoritaire à la fois :

– Venez avec moi, il n’y a pas une minuteà perdre. Judex est tout près d’ici, et il vous tuera avant quevotre fille n’arrive jusqu’à vous.

Ahuri, dérouté, en même temps que dominé parle regard et la voix de cette femme jadis tant désirée, et quisurgissait tout à coup devant lui…, affolé par ce seul nom de Judexsi habilement exploité par la misérable…, Favraut se laissaentraîner vers une automobile qui l’attendait au-dehors… et qui,par un chemin détourné, le conduisit jusqu’au port.

– Ne craignez rien, disait Diana.Laissez-vous conduire par nous, aveuglément. C’est seulement àcette condition que nous pourrons vous arracher à votre ennemi.Sinon vous êtes perdu irrémédiablement.

Et l’infernale créature ajoute avec cet accentqui, autrefois, avait tant troublé le père de Jacqueline et quil’enveloppait en sa demi-inconscience d’une sorte de musiqueapaisante et suave :

– C’est fini, le mauvais rêve… maintenantvous resterez avec nous… Nous vous défendrons… nous vousvengerons…

Et elle ajouta en se penchant à sonoreille :

– Vous savez bien que je vous aime.

Favraut, complètement repris, se laissa guidercomme un pauvre malade qui, après avoir été en proie aux affres del’agonie, commence à revenir à la vie et voit briller enfin l’auberadieuse d’une prochaine convalescence.

Et il se taisait… les yeux à moitié clos…bercé, grisé par ces paroles si astucieuses… emporté dans un rêvede félicité renaissante et de paix infinie.

Soutenu par Diana et Moralès, il s’embarquadans un canot qu’avaient rejoint les deux matelots et qui sedirigea aussitôt vers un joli brick-goélette mouillé en rade, à unefaible distance du rivage.

– Capitaine Martelli…, glissa Diana àl’oreille d’un marin barbu qui, taillé en hercule, se tenait à labarre… Vous voyez que vous avez bien fait d’accourir à mon appel…Le coup a réussi, et vous allez toucher la forte prime…

Martelli, un de ces hommes à tout faire, quijadis avait été l’associé de la Monti dans une expédition decontrebande organisée par elle sur la côte italienne, eut unsourire de satisfaction non déguisée.

Les deux bandits… mâle et femelle… étaientbien faits pour se comprendre et pour s’entendre.

Quelques minutes après… Favraut… Diana etMoralès étaient installés à bord de l’Aiglon quis’apprêtait à lever l’ancre.

Assis à l’arrière… le banquier surveillaitd’un air étonné, inquiet, les préparatifs du départ.

La Monti et Robert Kerjean l’avaientrejoint.

– Où m’emmenez-vous ? demanda lepère de Jacqueline sur un ton indécis… presque plaintif.

Diana répondit aussitôt :

– Pour échapper à toute poursuite, nousgagnerons rapidement par mer Sète ou Port-Vendres… De là, nousrejoindrons Paris… où vous vous mettrez sous la protection de lajustice… Votre fortune, qu’à la suite d’un odieux chantage, Judex aforcé votre fille à abandonner à l’Assistance publique, vous seraentièrement et immédiatement rendue !

– Et c’est à vous que je dois maliberté ? demanda Favraut, sur lequel la Monti avait repristout son ascendant.

– À moi et à mon frère, et à tous cesbraves matelots qui se sont unis à moi… pour vous arracher à vosbourreaux.

– Comment avez-vous pu meretrouver ? interrogeait le banquier, qui ne cessait decontempler Diana avec toute l’expression ardente de sa passionressuscitée.

– Pas maintenant… un jour, nous vousdirons… Sachez seulement que nous avons couru les plus grandsdangers… Ce Judex est un homme terrible !… Mais j’étaisdécidée à tout pour vous sauver… et je suis heureuse… oui, bienheureuse d’avoir réussi.

– Diana, murmura le banquier, je n’auraipas assez de jours pour vous prouver mon infinie reconnaissance…Mais… je saurai m’acquitter de ma dette envers vous… oui, jesaurai !

Et tandis qu’un rayonnement de triompheilluminait le front de l’aventurière, Favraut demanda :

– Alors, nous partons bientôt ?

– Oui… dans la nuit.

À ces mots le visage du banquiers’assombrit…

C’est que, tout à coup, le visage de son petitenfant venait de lui apparaître.

Un profond soupir gonfla sa poitrine et ilmurmura ces deux noms :

– Jean… Jacqueline !

– Qu’avez-vous ? interrogea aussitôtla Monti.

Le banquier laissa échapper :

– Je ne voudrais pas m’en aller sur cenavire… sans ma fille et sans mon petit-fils.

Aussitôt… l’infernale créature reprit sur unton plein d’hypocrite bonté :

– Je comprends si bien ce sentiment… quej’allais vous proposer de les emmener avec vous… Mais il va falloiragir avec une extrême prudence. Judex s’appelle en réalité Jacquesde Trémeuse…

– Jacques de Trémeuse ! tressaillitFavraut qui, à mesure que sa raison lui revenait, commençait àreconstituer les phases terribles de sa captivité.

– Afin de se mettre à couvert et dedérouter tout soupçon… il s’est, en quelque sorte, constitué leprotecteur de votre fille qui s’est laissée prendre au piège… etlui a accordé toute sa confiance.

– La malheureuse !

– On ne peut pas dire qu’elle soitprécisément sa prisonnière, mais en tout cas votre ennemi laconsidère, en cas de danger, comme le plus précieux des otages,tout en lui laissant une liberté relative dont nous allonsd’ailleurs nous empresser de profiter.

– C’est cela…, approuvait le marchandd’or. Dites-moi ce qu’il faut faire… Je suis encore tellementbrisé… que, par moment, il me semble que je n’ai plus la force depenser.

– Alors, écoutez-moi bien.

– Diana… je vous devrai plus que lavie.

L’aventurière, tendant au banquier une feuillede papier et un stylographe, lui dit tout en achevant de lefasciner avec son plus captivant sourire :

– Écrivez à votre fille de venir vousretrouver avec son enfant… Cela suffira. Je me charge, moi, de luifaire parvenir secrètement la lettre… Dans une heure, elle seraprès de vous !

– Encore merci !

Tandis que, faisant appel à toute sa volonté,à son énergie, Favraut commençait à tracer quelques ligneshésitantes, Diana, s’approchant du capitaine Martelli quisurveillait la manœuvre, lui dit :

– Nous ne partirons que demain matin.

– Et pourquoi ?

– Je vous le dirai. Ce soir, vers dixheures… je descendrai sur le quai… avec vous…

– Il y a donc encore de l’ouvrage àfaire ? interrogea le bandit de la mer.

– Et de « la belle », ricanaatrocement l’aventurière, qui ajouta entre ses dents : Cettefois, ma belle Jacqueline, toi et ton héritier, vous nem’échapperez pas !

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