Judex

Chapitre 2LA BAIGNEUSE

Tandis que ces événements se déroulaient à lavilla des Trémeuse, Cocantin, merveilleusement reçu et choyé parses hôtes, faisait comme chaque jour sa promenade quotidienne auxenvirons.

Très bon marcheur, et fort épris de cetadmirable coin du littoral qui est un des plus purs joyaux de notreradieuse Provence, il avait ce jour-là, dirigé ses pas… jusqu’ausite pittoresque dit de Beauvallon…

Toujours très attiré par la mer, il gagnabientôt le rivage par un petit sentier qui traversait un bois depins… et, avisant un rocher… il s’en fut s’y installer le pluscommodément possible… et se mit à promener ses yeux éblouis sur lepanorama splendide qu’il avait devant lui.

Mais bientôt… le vent s’éleva du sud…amoncelant dans le ciel tout un amas de gros nuages gris derrièrelequel, après avoir en vain cherché à lutter, se déroba le soleil…La température s’en trouva subitement rafraîchie, et Cocantin, quiétait extrêmement frileux, dut abandonner son poste d’observationpour faire les cent pas sur les galets.

– Brrou ! murmura-t-il, il faitfrisquet… Quel drôle de pays que le Midi !… On est bien, on achaud… on se figure qu’on est une de ces plantes grasses quis’épanouissent sous la caresse d’un éternel printemps et puis,crac, le soleil se cache… et on est enveloppé par le manteau glacéde l’hiver.

Tout en battant la semelle et en se livrant àces réflexions sur les variations de la température dans le Midi,Cocantin s’était approché d’une sorte de villa au stylegallo-romain et qui servait d’établissement de bain à un grandhôtel voisin, lorsqu’un cri de surprise lui échappa.

Il venait d’apercevoir un ample peignoir debain qui, recouvrant à moitié une vaste amphore en grès, semblaitattendre sa propriétaire.

– Ah ! ça ! se demandaCocantin, qui diable peut bien être assez fou… pour se baigner parun froid pareil !

Et sortant de sa poche une belle jumelle touteneuve dont il avait fait l’acquisition à Paris, la veille de sondépart, il inspecta aussitôt l’horizon avec une légitimecuriosité.

Une nouvelle exclamation jaillit de seslèvres :

– Ah ! par exemple !

À deux cents mètres du bord… il venaitd’apercevoir dans l’écume des vagues, une forme gracieuse qui selivrait aux plus hardis ébats.

– C’est une femme… et une bien joliefemme, murmura le galant Cocantin qui ne pouvait plus détacher sesyeux des verres de sa lorgnette.

Mais bientôt, voilà que ses immenses narinesse mettent à battre comme les ailes d’un cormoran effaré.

C’est que la nageuse se rapproche de la terre…Prosper distingue nettement son joli visage surmonté d’un élégantbonnet qui ne parvient pas à emprisonner entièrement une abondantechevelure d’un blond ardent qui rappelle les rayons du soleilmomentanément absent. La jeune femme se rapproche toujours… Elle apris pied… Elle se redresse au milieu des flots… laissantapercevoir un corps… superbe, impeccablement moulé dans un maillotde soie noire.

Cocantin n’y tient plus.

Vite, il remet sa jumelle dans sa poche…s’empare du peignoir, revient au-devant de la ravissante ondine…qui s’avance en souriant vers lui.

Le plus éloquent… le plus fleuri… le plusgalant des madrigaux… chante déjà dans le cœur de l’inflammabledétective.

Mais… il s’arrête comme pétrifié… tandis queces phrases aussi brèves que significatives se croisent… en un choccordial fait à la fois de franche gaieté et d’agréablesurprise :

– C’est vous !

– C’est moi !

– C’est lui !

– C’est elle !

Le directeur de l’Agence Céléritas vient, eneffet, de reconnaître dans l’intrépide jeune femme Miss Daisy Torp,une nageuse américaine du Nouveau-Cirque, dont il avait été jadisfort épris, et qu’après un flirt, des plus poussés, il avaitsubitement perdue de vue.

– Ah ! ça, mon cher Prosper,questionnait Miss Daisy… qu’est-ce que vous faites ici ?

– Eh bien, et vous ? répliquaitCocantin, charmé autant qu’ébloui.

– Donnez-moi donc mon peignoir !réclama la nageuse… car il ne fait vraiment pas chaud.

– Le fait est qu’il faut un courage…

– Ah ! ce bon Cocantin !

– Ah ! cette adorableDaisy !

– Si je m’attendais !

– Et moi donc !

Comme Miss Daisy Torp, d’un pas léger,s’apprêtait à regagner le pseudo-temple gallo-romain où elles’était déshabillée, Cocantin, ravi d’avoir retrouvé la joliecréature qui avait, pendant plusieurs semaines, occupé ses journéeset troublé ses nuits, s’écria avec un accent passionné :

– Chère Daisy, puisque le hasard nous aremis en face l’un de l’autre, j’espère bien que nous n’allons pasen rester là.

– Certainement, admettait la joliecréature, qui avait toujours beaucoup apprécié l’heureux caractèreet le parfait bon-garçonnisme de son ex-adorateur.

– Où êtes-vous descendue ? demandaitcelui-ci.

– Au Grand-Hôtel, à Sainte-Maxime.

– Alors nous sommes voisins… Comment sefait-il que nous ne nous soyons pas rencontrés plus tôt ?

– Je suis arrivée seulement d’hiersoir.

– C’est donc cela !… Ah ! quelbonheur de vous avoir retrouvée !… Quels bons moments nousallons passer ensemble !

Tout en accompagnant Miss Daisy, qui regagnaitsa cabine, Cocantin, fiévreusement, questionnait :

– Quand nous voyons-nous… chère, belle etdouce amie ?

– Je vais tantôt en excursion jusqu’àSaint-Tropez… déclarait la nageuse… et je dîne avec des amis… toutprès d’ici, à la villa La Gabelle… un coin délicieux queje vous ferai connaître…

– Que vous êtes bonne !

– Alors, demain ?

– Pourquoi pas ce soir ?

– C’est que je rentrerai sans doute asseztard à Sainte-Maxime.

– Cela n’a pas d’importance… Daisy…Sachez qu’à toute heure votre Cocantin est toujours vôtre.

– Eh bien, voulez-vous ce soir ?

– Si je le veux !

– À dix heures ?

– À dix heures.

– Sur la jetée du port ?

– Sur la jetée du port.

– Entendu.

– Vous êtes divine !

– Laissez-moi, car je grelotte.

– À ce soir.

– À ce soir.

Avant de disparaître dans le templegallo-romain, Miss Daisy Torp… se dressant sur la pointe des pieds…et laissant tomber son peignoir, lança à Cocantin qui demeuraitdevant elle comme en extase, un gracieux baiser plein depromesses.

Puis elle disparut, tandis que le directeur del’Agence Céléritas, les yeux écarquillés, murmurait :

– J’ai bien fait de venir àSainte-Maxime !

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