Judex

Chapitre 8VERS L’INCONNU…

Jacqueline avait résolu d’abandonner, sansdélai, les Sablons.

Aussitôt le notaire parti, elle rassembla tousses domestiques ; prétextant un revers de fortune inattendu,elle les congédia, non sans avoir gratifié chacun d’eux d’unsouvenir particulier et d’affectueuses paroles.

Puis, elle reçut Vallières qui lui renouvelases protestations de dévouement sincère et de discrétion absolue etse retira visiblement ému…

Elle fit ensuite ses adieux àMlle Marie Verdier dont elle était à cent lieues desoupçonner l’intrigue avec son père ; et elle lui exprima avecbeaucoup d’affabilité tous ses regrets d’être obligée de se séparerd’elle.

L’institutrice, qui s’était composé uneattitude de tristesse simple et sans excès, ne sut prononcer quequelques paroles toutes de convenable banalité… Mais, lorsqu’ellefranchit le seuil du salon, une expression de menace, de rancœur,se répandit sur ses traits…

L’instant le plus douloureux était venu pourJacqueline…

Ayant appelé près d’elle le vieux valet depied Bontemps et sa fille Marianne qui avait été la nourrice dupetit Jean, elle leur dit avec l’accent de la plus touchantesimplicité :

– Mon cher Bontemps, vous m’avez dit quevous comptiez vous retirer avec votre fille à la campagne… auxenvirons de Paris, dans une petite maison que vous avez achetéeavec vos économies ?

– Oui, madame.

– Je suis ruinée, complètement ruinée. Ilne me reste plus rien ; je vais être obligée detravailler.

– Est-ce possible ?

– Cela ne m’effraie pas, aucontraire ; mais comme je ne pourrai plus m’occuper de monfils, je viens vous demander de le prendre avec vous… Ah !c’est un rude sacrifice que je m’impose… Me séparer de ce petitêtre que j’adore par-dessus tout… C’est affreux, voyez-vous… maisil le faut ! Écoutez-moi, Bontemps, et vous aussi Marianne. Jeveux que mon fils soit avant tout un honnête homme… Je sais qu’ilne peut pas tomber en de meilleures mains que les vôtres, voilàpourquoi je vous le confie et je vous remercie d’avance de ce quevous ferez pour lui.

– Croyez, madame, affirmait le vieuxBontemps que nous sommes très touchés…

– Oh ! oui, alors…, déclaraitMarianne tout près de pleurer.

– Vous acceptez ?

– De grand cœur, fit Bontemps…, etcomptez sur nous… Nous l’aimons tant ce cher petit… Il est si doux,si bon et si beau !

Jacqueline qui sentait son cœur se briser,ajouta :

– Emmenez-le dès ce soir… Cela vaudramieux. Dès que j’aurai trouvé un logement, je vous enverrai monadresse. Oh ! j’irai voir souvent mon chéri… Et puis, vous mel’amènerez aussi, n’est-ce pas ?

– Oh ! oui madame…, sanglotaitMarianne, gagnée par le chagrin de sa maîtresse…

Courageuse jusqu’au bout, Jacquelineachevait :

– Me Vigneron vous feraparvenir régulièrement la pension du cher petit. Allons,embrassez-moi, Marianne, et vous aussi, mon cher Bontemps… Vous, aumoins, vous êtes de vrais amis.

Puis, appelant son fils, qui jouait dans unepièce voisine, Jacqueline le prit sur ses genoux ; et,dissimulant l’atroce douleur qui la déchirait, elle fit :

– Mon mignon, je vais être obligée departir en voyage…

– Tu m’emmènes avec toi, mamanchérie ? s’écria aussitôt le bambin.

– Non, mon petit, c’est impossible.

– Tu seras longtemps partie ?

– Quelques jours seulement… Pendant cetemps-là, tu t’en iras à la campagne avec Bontemps et tanourrice.

Et Marianne intervenant, promit :

– Vous verrez, monsieur Jean, comme vousserez heureux avec nous… Vous vous amuserez bien… Il y a un petitâne avec une belle voiture…

– Un petit âne ! s’écriait l’enfant,avec l’adorable versatilité de son âge. Oh ! je veux partirtout de suite, tout de suite… Tu veux bien, maman ?

– Oui, oui, mon ange… Va, amuse-toi, soisheureux.

Et l’étreignant une dernière fois contre soncœur, elle fit toute pantelante :

– Je t’aime et je te bénis !

Puis, se tournant vers Bontemps et sa fille,elle ajouta :

– Emmenez-le ! Je n’en peuxplus ! c’est trop ! À bientôt ! À bientôt !

La fille du banquier, demeurée seule auchâteau, commença ses préparatifs de départ, puisant dans la beautéde son acte l’héroïsme dont elle avait besoin pour aller jusqu’aubout de sa tâche.

Comme vers le soir, elle se disposait à serendre à la gare… une sonnerie retentit dans le petit salon…

– Qui peut téléphoner à cetteheure ? se demanda la jeune femme.

Et se rendant à l’appareil, elle saisit lerécepteur et écouta…

Soudain… son visage se convulse.

Un cri étouffé s’échappe de sa gorge…

Jacqueline vient d’entendre et de reconnaîtrela voix de son père qui lui clamait :

– Ma fille… ma fille…pardonne-moi !

Convaincue qu’elle était l’objet d’une atrocehallucination, elle s’enfuit à travers les grandes pièces vides…gagna le parc… et disparut sous les arbres, s’enfonçant peu à peudans la nuit qui s’était refermée sur elle.

*

* *

Le lendemain matin, de très bonne heure, unejeune femme, en grand deuil, et qui semblait brisée de fatigue,suivait, une valise à la main, une rue déserte de Neuilly.

À plusieurs reprises, haletant, oppressée,elle avait dû s’arrêter pour reprendre haleine.

Or, depuis un moment déjà… une ombre… dont illui eût été impossible de s’expliquer l’origine… s’était attachée àses pas… s’arrêtant avec elle, fluide, impalpable, étrange,mystérieuse…

Était-ce quelque protecteur envoyé delà-haut ?

Était-ce la menace de nouveaux malheurs et depires détresses ?

Quelle était cette ombre ?

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