Judex

Chapitre 2L’AMBULANCE URBAINE

– Réveille-toi, ma petite mamanchérie.

Et Jeannot qui avait réussi à se hisser sur lelit de sa mère… à genoux près d’elle, ses petites mains jointes, ettout en sanglotant, ne cessait de supplier :

– Réveille-toi vite… réveille-toi…

Mais Jacqueline, que Marianne et son père,aidés par deux voisins, avaient transportée chez eux, ne revenaittoujours pas à elle.

Marianne avait grand-peine à contenir sadouleur ; et le môme Réglisse, consterné, lui aussi, sedisait :

– J’ai pourtant fait ce que j’aipu !…

Mais tout à coup, Jean eut un cri de joie…Jacqueline, qui, depuis un instant, faisait entendre quelquesgémissements douloureux, entrouvrit légèrement les paupières… Ce nefut qu’un éclair…, mais sans doute suffisant pour lui permettred’apercevoir son enfant.

Une plainte très douce s’exhala de ses lèvres…Ses bras se soulevèrent légèrement comme s’ils voulaient se tendrevers l’être charmant qui déjà couvrait de baisers le visage glacéde sa mère… Et Jacqueline a refermé les yeux.

Le môme Réglisse qui s’approchait doucement dulit, dit à voix basse à son petit camarade :

– Viens… descends… laisse-la dormirmaintenant… Tu vois bien qu’elle est guérie.

Précisément le médecin du pays, le docteurPelet, arrivait avec Bontemps qui avait été le chercher en toutehâte et l’avait mis en route au courant du drame qui venait de sedérouler.

Le praticien examina aussitôt la jeune femmeavec la plus grande attention…

Quand il eut terminé… se tournant versMarianne et lui désignant les deux enfants qui, blottis dans uncoin de la pièce, n’avaient pas bronché, le docteur Peletinterrogea avec bonhomie :

– Alors ce sont ces deux jeunes héros quiont empêché cette malheureuse de se noyer ?

– Oui, docteur.

– C’est superbe, ça, mes petits,déclarait le médecin en tapotant les joues des deux bambins. Cettefemme vous doit la vie… Si elle était restée immergée quelquesinstants de plus… c’était fini… Mes plus sincèresfélicitations !…

Et s’adressant à Jeannot, il ajouta :

– Tu as déjà la croix, toi… Eh bien, jecompte que d’ici peu, on vous donnera à tous les deux une bellemédaille de sauvetage… Vous ne l’aurez pas volée.

– Et Mme Bertin… ?interrogeait Marianne.

– Je la crois sauvée, déclarait ledocteur… Mais elle est encore bien faible… Je vais lui faire suivreun traitement, que vous exécuterez avec le plus grand soin… et qui,je l’espère, lui rendra bientôt ses forces.

Tout en rédigeant son ordonnance, l’excellenthomme continuait :

– Ces deux gamins… c’est magnifique… cequ’ils ont fait là ! Ce sont ses fils, peut-être ?

– Celui-là, fit Marianne, en luidésignant Jeannot.

– Et moi, je suis son enfant trouvé…,définit le môme Réglisse, tout ragaillardi à la pensée que sa mamand’adoption allait mieux.

– Voilà ! concluait le docteurPelet, en remettant son ordonnance au père Bontemps… Je reviendraidemain matin de bonne heure pour voir l’effet qu’auront produit lesmédicaments… Au revoir, mes braves gens… Au revoir, jeunes héros…Tiens, il faut que je vous embrasse !

La nuit fut très mauvaise… Veillée tour à tourpar Bontemps, Marianne et le môme Réglisse, Jacqueline eut un accèsde fièvre terrible avec délire…

La malheureuse revivait en un cauchemard’épouvante les épreuves terribles qu’elle venait de traverser.

Tour à tour, c’était la voix lointaine de sonpère, la voix d’outre-tombe qui implorait son pardon… Diana etMoralès qui l’emportaient dans leur auto… et enfin ces deuxinconnus qui la précipitaient dans la Seine.

Des paroles de supplication, des cris deterreur, des appels désespérés s’échappaient de ses lèvresardentes… pour se terminer en sanglots déchirants :

– À moi… mon Jean… mon enfant !…

Vers le matin, grâce à une potion que, nonsans peine, la dévouée Marianne avait réussi à lui faire absorber,la fille du banquier s’assoupit et parut se calmer…

Cependant, lorsque le docteur Pelet revint,ainsi qu’il l’avait promis, constater l’état de la malade, il fit,en hochant gravement la tête :

– Hum… Tout cela n’est pas trèsbrillant !

– Pourtant, docteur, observait Marianne,nous avons bien fait tout ce que vous nous avez commandé.

– Je m’en aperçois… Aucune menace decongestion… ni de pleurésie… Mais je constate un état de dépressionnerveuse très inquiétant… et qui, en provoquant chez la malade unaffaiblissement général considérable, la prédispose à… à… oui,enfin, à un tas de vilaines choses que j’aime mieux ne pas vousnommer.

Tandis que Marianne essuyait deux larmes, ledocteur réfléchit un instant ; puis il reprit :

– Je ne doute pas un seul instant queMme Bertin ne soit entourée ici de tous les soinsles plus vigilants… Cependant, j’estime que son état estsuffisamment grave pour nécessiter son transfert à l’hôpital.

– Mon Dieu !

– Ne vous désolez pas, ma brave femme… Cen’est pas une condamnation que je prononce… C’est une mesure deprécaution urgente que je vous conseille.

– Monsieur le docteur a raison,intervenait le père Bontemps qui venait d’entrer dans la pièce…Vois-tu, Marianne, il faut toujours écouter ce que disent lesmédecins. Au moins, comme ça, on n’a rien à se reprocher…

Le docteur déclarait :

– Je vais téléphoner immédiatement àParis, au directeur de l’hôpital Beaujon qui est un de mes amis, devous envoyer une ambulance urbaine… Je lui expliquerai en mêmetemps la situation… Soyez tranquille, votre amie sera soignée commeune princesse.

Marianne reconduisit le médecin jusque dans lacour, tout en lui disant :

– Encore merci, monsieur le docteur. Nousaimons tant Mme Bertin !… C’est une si bonnecréature !… Songez quel malheur, si elle venait àdisparaître !…

– Courage et confiance…, fit le docteurPelet en serrant la main de Marianne.

Celle-ci le regarda s’éloigner… et comme,tristement, elle s’essuyait les yeux, un homme d’une quarantained’années, de haute taille, et correctement vêtu… s’approcha d’elle…lui demandant sur un ton de sympathie cordiale :

– Vous avez donc des malades, chezvous ?

– Oui, monsieur.

– Votre mari peut-être ?

– Non, une amie.

– Ne serait-ce pas cette jeune femme quedeux enfants ont repêchée hier soir dans la Seine ?

– Parfaitement, monsieur.

– Et elle est si mal que ça ?

– Elle ne va pas du tout… AussiM. le docteur Pelet va téléphoner à Paris pour qu’on envoieune voiture d’ambulance afin de la transporter à l’hôpitalBeaujon.

– Pauvre femme !… plaignait lepassant. Encore une malheureuse que le chagrin ou la misère aurontpoussée à se tuer.

– Oh ! monsieur, je suis sûre quenon !…

– Alors… que s’est-il passé ?

Marianne eut un geste évasif.

– Vous croyez plutôt à un accident ?interrogea l’inconnu.

– Je ne sais pas, monsieur…Mme Bertin n’a pour ainsi dire pas reprisconnaissance.

– Espérons que, ça va s’arranger… Allons,au revoir, madame.

– Au revoir, monsieur.

Tandis que Marianne rentrait chez elle, soninterlocuteur se dirigeait vers le bureau de poste où, se croisantavec le docteur Pelet qui en sortait, il grommela entre sesdents :

– Oh ! oh ! si nous voulonsarriver bons premiers, il n’y a pas une minute à perdre.

Vers dix heures, la voiture d’ambulancedemandée par le docteur Pelet stoppait dans la cour desBontemps.

Un infirmier en descendit aussitôt.

Après avoir conféré avec les Bontemps il s’enfut, aidé du wattman chercher Jacqueline, qui, pâle, immobile, lesyeux clos avait entièrement perdu notion de ce qui se passaitautour d’elle.

Avec beaucoup de précautions, les deux hommesl’emportèrent sur un brancard jusqu’à la voiture où, à l’intérieur,les attendait une infirmière.

Bontemps, Marianne, le môme Réglisse et lepetit Jean formaient, derrière la civière, un bref et tristecortège.

On avait dit à Jeannot que sa maman dormait…et qu’on l’emmenait chez elle, afin qu’elle reposât plustranquille.

Mais l’enfant subissait malgré toutl’impression de toute cette navrance.

Il marchait, sa petite tête penchée en avant,ne quittant pas des yeux, la malade ; et lorsque lesinfirmiers posèrent la civière à terre, avant de la glisser àl’intérieur de l’ambulance, Jeannot se précipita vers sa maman… etmit sur son front tout blanc un très long et très doux baiser.

Lorsque le cortège, quelques minutes après,s’éloigna, le pauvre petit, n’y tenant plus, éclata en larmes.

– T’en fais pas… mon gosse…, consolait lemôme Réglisse en prenant son petit ami dans ses bras… Tu lareverras, ta maman !

Mais Jeannot eut cette parole qui trouva unécho douloureux dans le cœur de Bontemps et de Marianne :

– Ils l’emportent comme ils ont emportébon papa… Et bon papa… il n’est jamais revenu !

Le môme Réglisse, qui s’était emparé de sonpetit ami, l’entraînait en disant :

– Allons, viens… on va jouer avec lesbeaux soldats que t’a donnés Mme Chapuis.

– Je ne veux pas jouer, refusait Jeannot,je veux pleurer.

– Alors quoi ! t’es pas un homme,t’es une petite fille.

– Non, je suis un grand garçon.

– Eh bien, un grand garçon, ça ne chialejamais.

Mais, désignant Bontemps qui venait d’essuyerfurtivement une larme, Jeannot s’écria :

– Regarde papa Julien, il pleure, luiaussi. C’est pourtant pas une petite fille.

– Qu’t’es bête, mon gosse !soulignait le môme Réglisse… Allons, viens ! Si tu ne veux pasjouer aux soldats, on va aller chercher de l’herbe pour les lapins…et puis, des carottes pour le bourricot.

Et, passant son bras sous la taille de sonami, le môme Réglisse l’entraînait déjà vers le hangar… lorsqueJeannot eut une exclamation :

– Oh ! Monsieur Vallières !

La silhouette austère et sympathique del’ancien secrétaire venait, en effet, de se profiler sur le seuildu portail.

Tout de suite Bontemps et Mariannes’empressèrent vers lui… Vallières, après avoir embrassé Jeannot,leur tendit la main avec bienveillance.

– J’ai lu ce matin dans le journal,fit-il que Mme Bertin avait été victime hier d’ungrave accident.

– Ce n’est que trop vrai… hélas !…,répondit Bontemps.

– Je viens de croiser à l’instant unevoiture d’ambulance…

– C’était madame qu’on emmenait.

– C’est donc si grave ?

– Jeannot, invitait Marianne, allez joueravec votre camarade, allez…

Les deux petits s’éloignèrent… et Marianne fità M. Vallières visiblement ému le récit de ce qu’elle savait…concluant ainsi, nettement approuvée par son père :

– Pour moi, madame a sûrement dû avoiraffaire à des malandrins, à des sales rôdeurs… à des assassins,quoi !

– Cette nuit, appuyait Bontemps, quandelle avait le délire, elle disait qu’elle était poursuivie par deshommes… Elle parlait aussi de Mlle Verdier,l’ancienne institutrice du petit Jean… Elle mélangeait tout ça… Onn’y comprenait pas grand-chose… Enfin, l’essentiel est qu’elle enrevienne.

– Le docteur a de l’espoir…, soulignaitMarianne. Mais vrai, depuis quelque temps, elle n’a guère dechance…

La brave fille venait à peine de prononcercette phrase qu’une seconde voiture d’ambulance, quelque peudifférente de la première, mais portant comme elle un largepavillon blanc marqué d’une croix rouge, pénétrait dans la cour… Uninfirmier qui se trouvait à côté du wattman sauta à bas du siège,demandant :

– C’est bien ici,M. Bontemps ?

– Oui, monsieur, fit le papa Julien ens’avançant.

– Nous venons de l’hôpital Beaujon pourchercher une dame Bertin.

– Ce n’est pas possible ! s’exclamaBontemps… Mme Bertin vient de partir… il y a unquart d’heure dans une autre ambulance, qui, elle aussi, venait deBeaujon.

– Voyons, monsieur, ce n’est paspossible !

– Je vous assure que c’est l’exactevérité.

– Ah ! par exemple, c’est tropfort…, s’étonnait l’infirmier auquel s’était jointe une jeune etgracieuse infirmière qui, toute surprise, elle aussi,exprimait :

– Le directeur ne peut cependant pasavoir désigné deux voitures à la fois.

L’infirmier interrogeait :

– Vous a-t-on remis unbulletin ?

– Rien du tout.

– On vous a bien dit qu’on venait deBeaujon ?

– Parfaitement.

– Ça, c’est raide ! ponctuaitl’infirmier. Je vous demande pardon, messieurs et dames… Nousallons rentrer à Paris et rendre compte à l’Administration…

Vallières, pensif, troublé, regardaits’éloigner la voiture. Puis, se tournant vers les Bontemps quin’étaient pas revenus de leur étonnement, il leur dit :

– Ne vous inquiétez pas… Je vais merendre tout de suite à l’hôpital Beaujon… Je vous ferai parvenirimmédiatement des nouvelles de Mme Jacqueline.

Comme il s’éloignait, Jeannot courut vers luiavec son petit camarade :

– Au revoir, monsieur Vallières,fit-il.

– Au revoir, mon cher petit.

– Il y a aussi mon petit camarade quiveut vous dire bonjour. Vous voulez bien ?

– Mais, très volontiers.

Franchement, le môme Réglisse tendit la main àl’ancien secrétaire du banquier.

– Alors, fit-il, vous aussi, monsieur…vous êtes un ami à sa maman ?

Et Vallières répondit avec un sourire où il yavait en même temps qu’une infinie douceur une étrangemélancolie :

– Oui, mon petit… et son meilleur amipeut-être…

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer