La Compagnie blanche

Chapitre 31Comment cinq hommes tinrent le donjon de Villefranche

Guidé par l’écuyer français, le petit groupedescendit deux couloirs resserrés. Le premier était libre, mais àl’entrée du second un paysan se tenait en sentinelle ; quandil les vit arriver, il s’enfuit en courant et appela sescamarades.

– Arrêtez-le ! Sinon nous sommesperdus ! cria Du Guesclin qui se mit à courir pour lerattraper.

Mais le grand arc de guerre d’Aylward vibracomme une corde de harpe, et l’homme tomba en avant. À cinq pas del’endroit où il gisait une petite porte ouvrait sur le baile.Derrière elle montait un tel brouhaha, fait de hurlements sauvages,de jurons horribles et de rires terrifiants, que le plus résoluaurait hésité avant de franchir le fragile obstacle qui les enséparait.

– Droit au donjon ! ordonna DuGuesclin d’une voix sourde et décidée. Les deux archers en tête, ladame au milieu entre les deux écuyers, les trois chevaliers àl’arrière-garde pour repousser ceux qui nous serreraient de tropprès. Là ! Maintenant ouvrez la porte, et que Dieu nous ait enSa sainte garde !

Pendant quelques secondes, tout se passa commes’ils allaient atteindre leur objectif sans encombre, tant leursmouvements avaient été rapides et silencieux. Ils avaient traverséla moitié du baile, et la plupart des fanatiques n’avaient pasencore esquissé un geste pour les arrêter. Les rares qui essayèrentde leur barrer le chemin furent abattus ou écartés, tandis que lespoursuivants tombaient sous les épées des trois chevaliers. Sansaucun mal ils arrivèrent à la porte du donjon, devant laquelle ilsse retournèrent pour faire face à la foule grouillante, pendant quel’écuyer enfonçait la grosse clef dans la serrure.

– Mon Dieu ! s’écria-t-il. Je mesuis trompé de clef !

– Trompé de clef ?

– Fou, imbécile que je suis ! J’aipris la clef du portail ; c’est l’autre qui ouvre le donjon.Je retourne la chercher !

Il voulut courir, mais à peine avait-il faitquelques pas qu’une grosse pierre, lancée par un paysan vigoureux,le frappa à la tempe : il s’écroula inanimé.

– Cette clef-ci me suffira ! criaHordle John.

Il ramassa la lourde pierre qui était en faitun quartier de roche, et il la lança de toute sa force contre laporte. La serrure trembla, le bois vola en éclats, la pierre separtagea en cinq morceaux, mais les agrafes de fer maintinrent laporte debout. Hordle John se baissa, passa ses gros doigts sous lebattant et d’une secousse souleva toute la masse de bois et de fersur ses gonds. Pendant quelques instants elle oscilla, puis elleretomba à l’extérieur et ensevelit l’archer sous ses débris ;le reste du groupe se précipita sous le porche.

– Montez, Tiphaine ! Montez vitel’escalier ! cria Du Guesclin. À présent demi-tour, amis, etrepoussons-les !

La populace s’était élancée à leur poursuite,mais les deux meilleures lames d’Europe luisaient sur les dernièresmarches ; quatre assaillants tombèrent juste sur le seuil. Lesautres reculèrent, firent cercle devant la porte ouverte ; ilsgrinçaient des dents, ils brandissaient leurs poings à l’adressedes défenseurs. Ils se ruèrent sur le corps de l’écuyer français etle mirent en pièces. Trois ou quatre autres avaient tiré le grosJohn de dessous les débris de la porte ; mais brusquement ilse remit debout, empoigna un manant dans chaque main et les cognal’un contre l’autre avec une telle force qu’ils s’effondrèrent sansconnaissance, assommés comme par un merlin. Il se libéra des autresqui s’étaient accrochés à lui et bondit pour se mettre à l’abrisous le porche.

Leur position n’en était pas moins désespérée.Pour exécuter leur acte de vengeance les paysans des environss’étaient rassemblés au nombre de six mille ; ils setrouvaient à l’intérieur ou autour des murailles du château deVillefranche. Mal armés, à demi morts de faim, c’étaient néanmoinsdes hommes prêts à tout ; aucun danger ne les auraitarrêtés ; au nom de quoi se seraient-ils raccrochés à la viemisérable qu’ils menaient ? Ils tenaient le château ; lesflammes s’échappaient des fenêtres, grimpaient haut au-dessus destourelles. De tous côtés ils déferlaient maintenant vers le donjon.Face à une armée, six hommes et une femme étaient entourés d’uneceinture de feu, mais presque tous avaient tellement l’habitude dudanger que le combat était moins inégal qu’il ne semblait.

– Il n’y a place que pour deux sur unemarche, dit Du Guesclin. Demeurez avec moi, Nigel, sur la dernière.La France et l’Angleterre cette nuit seront alliées. Messire Otto,je vous prie de vous tenir derrière nous avec ce jeune écuyer. Lesarchers monteront un peu plus haut et tireront par-dessus nostêtes. Je regrette que nous ne soyons pas mieux équipés,Nigel !

– J’ai souvent entendu dire par mon cherSir John Chandos qu’un chevalier ne devrait jamais, même chez sonhôte, se séparer de son armure. Après tout, nous gagnerons plusd’honneur si nous nous en tirons. Nous avons un avantage car nousles voyons en pleine lumière tandis qu’ils nous voient mal. Jecrois qu’ils se rassemblent pour l’assaut.

– Si nous pouvons les occuper quelquetemps, dit le chevalier de Bohême, ces flammes pourraient nousattirer du secours pour peu qu’il y ait des hommes loyaux dans lepays.

– Réfléchissez, mon noble seigneur, ditAlleyne à Sir Nigel, que nous n’avons jamais fait le moindre mal àces hommes, et que nous n’avons aucun motif de querelle contre eux.Ne vaudrait-il pas mieux, ne serait-ce que dans l’intérêt de ladame, leur parler à cœur ouvert et voir si nous ne pourrions pastraiter honorablement avec eux ?

– Sûrement pas, par saint Paul !protesta Sir Nigel. Cela ne s’accorderait pas avec mon honneur, etil ne sera pas dit que moi, chevalier anglais, j’ai vouluparlementer avec des hommes qui ont tué une belle dame et un saintprêtre !

– Autant parlementer avec une meute deloups dévorants ! ajouta le chevalier français. Ah !Notre-Dame Du Guesclin ! Saint Yves ! SaintYves !

Les manants qui s’étaient massés devant lavoûte sombre de la porte venaient de s’élancer follement pourenlever l’escalier. Ils avaient pour chefs un petit homme brun quiportait une barbe tressée, et un grand gaillard qui tenait à lamain une énorme massue garnie de clous. Le premier n’avait pas faittrois pas qu’une flèche d’Aylward lui perfora la poitrine : ils’écroula sur le seuil en toussant et crachant du sang. L’autrebondit entre Du Guesclin et Sir Nigel et d’un seul coup de samassue fendit le crâne du chevalier de Bohême. Avec trois épéesdans le ventre il luttait encore ; il s’était presque frayé lepassage quand il tomba mort sur les marches. Derrière lui centpaysans fous de rage se ruèrent en une vague formidable sur lescinq épées qui défendaient l’escalier. Coups de taille, parades etbottes se succédèrent à une cadence diabolique. Les cadavress’amoncelaient au bas des marches de pierre, glissantes et poisséesde sang. Le grand cri de Bertrand Du Guesclin, la respirationsifflante qui s’échappait des poitrines de la foule, le bruit matdes corps qui s’effondraient, les hurlements des blessésconstituaient un concert infernal ; de nombreuses années plustard, Alleyne l’entendait encore dans son sommeil. Enfin lamultitude des assaillants lâcha pied, recula non sans darder surles défenseurs des regards féroces ; onze cadavres gisaient entas sur le seuil du donjon.

– Les chiens en ont eu assez ! ditDu Guesclin.

– Par saint Paul, il semble que cettefoule comptait quelques hommes tout à fait dignes etvaleureux ! remarqua Sir Nigel. Des hommes dont nous aurionspu gagner, s’ils avaient été d’une origine plus relevée, beaucoupd’honneur et de distinction. Tout compte fait, ils valaient lapeine d’être vus. Mais qu’apportent-ils là ?

– Ce que je craignais ! grommela DuGuesclin. Ils vont nous faire rôtir, puisqu’ils n’ont pu noussaigner. À vous, archers ! Tirez droit et juste ! Car,par saint Yves, nos épées ne nous serviront plus àgrand-chose !

Une douzaine d’hommes s’étaient élancés ;chacun se dissimulait derrière un gros tas de fagots. Empilant lebois sous le porche, ils y jetaient des torches enflammées. Le boisavait dû être arrosé d’huile, car il se transforma en un véritablebrasier ; une longue flamme jaune déchira l’air au-dessus destêtes des défenseurs qui reculèrent jusqu’au premier étage dudonjon. À peine l’avaient-ils atteint cependant qu’ils s’aperçurentque les madriers et les planches brûlaient déjà. Le plancher étaitsi sec, si mangé aux vers qu’une étincelle provoquait immédiatementune combustion lente, puis des flammes. L’air était empesté d’unefumée âcre ; les cinq défenseurs eurent des difficultés àgrimper l’escalier qui les amena au sommet du donjon.

Ah, l’étrange panorama qui se déploya alorssous leurs yeux ! De chaque côté s’étendait la campagnepaisible faite de plaines doucement vallonnées et de bois touffusque baignaient les flots argentés de la lune. Aucune lumière envue, aucun mouvement, rien qui ressemblât à l’arrivée d’un secours.Très loin, le glas d’une lourde cloche s’élevait et retombait dansl’air froid de l’hiver. Le feu gigantesque brûlait au-dessousd’eux, autour d’eux ; il grondait, il crépitait sur chaqueface du baile. Dans un fracas assourdissant les deux tourellesd’angle s’effondrèrent ; tout le château ne fut plus qu’unemasse informe crachant des flammes et de la fumée par toutes sesembrasures. La grande tour noire sur laquelle ils étaient perchésse dressait comme un suprême îlot de refuge sur une mer defeu ; mais des craquements de mauvais augure et le rugissementde l’incendie sous leurs pieds annonçaient l’imminence d’unecatastrophe. En bas, la cour carrée était pleine de paysans quihurlaient et dansaient ; tous regardaient en l’air ; ilstendaient le poing ; ils étaient ivres de sang et devengeance. De la foule jaillit un cri de haine auquel succéda unéclat de rire épouvantable, quand elle aperçut les dernierssurvivants qui la regardaient du haut du donjon. Alors ilsentassèrent de nouveaux fagots au pied de la tour, et ils dansèrentautour du brasier une farandole infernale ; se tenant par lamain ils entonnèrent le refrain qui avait été le mot de passe desjacqueries :

Cessez, cessez, gens d’armes et piétons,

De piller et manger le bonhomme

Qui de longtemps Jacques Bonhomme

Se nomme !

Leurs voix perçantes dominaient le grondementde l’incendie et les craquements de la maçonnerie : on auraitdit les hurlements d’une meute de loups apercevant leur proiedevant eux et n’ayant plus que quelques mètres à franchir pour larattraper.

– Par ma garde ! dit Aylward à John.J’ai dans l’idée que cette fois-ci nous ne verrons pas l’Espagne.Je suis rudement content d’avoir légué mon lit de plumes etd’autres objets de valeur à cette digne femme de Lyndhurst ;elle pourra s’en servir en toute quiétude d’âme. Il me reste treizeflèches ; si une seule manque sa cible, alors je n’aurai pasvolé mon destin ! Tiens ! La première à celui qui sepavane dans la robe de soie de madame. En plein cœur, parDieu ! Je visais pourtant une main plus haut. Maintenant, lebandit qui se promène avec une tête au bout de sa pique. Ah, dansle mille, John ! Un joli coup de toi aussi, John ! Lebrigand est tombé la tête la première dans le feu. Mais je te prie,John, de garder le poignet souple, et de ne pas tirer d’un petitcoup sec en retenant la main : cette erreur-là a gâché lacarrière de plus d’un bon archer.

Pendant que les deux camarades déclenchaientleur tir sur la foule, Du Guesclin et dame Tiphaine s’entretenaientavec Sir Nigel de leur situation désespérée.

– C’est une fin peu banale pour quelqu’unqui a vu tant de champs de bataille ! soupira le chevalierfrançais. Pour moi, peu importe cette mort-ci ou une autre ;mais c’est la mort de ma douce épouse qui m’afflige !

– Non, Bertrand, je n’ai pas plus peurque vous ! dit-elle. Mon vœu le plus cher a toujours été quenous partions ensemble.

– Bien répondu, noble dame ! s’écriaSir Nigel. Et je suis sûr que ma tendre épouse aurait dit la mêmechose. Si c’est la fin, j’aurai eu du moins la bonne fortune devivre en un temps où tant de gloire était à glaner et où l’onpouvait rencontrer tant de vaillants gentilshommes et chevaliers.Mais pourquoi me tires-tu par la manche, Alleyne ?

– S’il vous plaît, mon noble seigneur, ily a dans ce coin deux grands tubes de fer, avec beaucoup de bouletslourds : il s’agit peut-être de ces bombardes dont j’aientendu parler.

– Par saint Yves, c’est exact !s’écria messire Bertrand en approchant du coin où étaientinstallées ces machines de guerre. Ce sont des bombardes, et debonne taille. Nous allons pouvoir tirer sur eux.

– Tirer avec ça, dites-vous ?s’exclama Aylward avec infiniment de dédain (car la menace d’unpéril abolit les distances entre classes sociales). Comment peut-onviser avec ces joujoux stupides ? Comment peut-on espérertirer juste avec ça ?

– Je vais te montrer, répondit Sir Nigel.Voici la grande caisse de poudre. Si tu veux me la soulever, John,je t’indiquerai comment t’en servir. Viens ici, où la foule estplus dense. À présent, Aylward, tords-toi le cou et regarde bien cequi aurait été pris pour un conte de bonnes femmes quand noussommes partis la première fois pour la guerre. Retire le couvercle,John, et précipite ta caisse dans le feu.

Un grondement formidable, une traînée delumière bleuâtre, et la grande tour carrée vacilla sur sesfondations, oscilla comme un roseau sous le vent. Étourdis, pris devertige, les défenseurs se cramponnèrent au parapet, et ils virentde grosses pierres, des poutres de bois enflammées, et des corpsmutilés voler dans les airs. Quand ils se redressèrent, tout ledonjon s’était affaissé sur un côté ; ils eurent du mal àconserver leur équilibre sur la plate-forme en pente. Ilsregardèrent par-dessus le parapet pour observer les effets del’explosion. Sur quarante mètres autour du porche, le sol étaitnoir de taches noires qui hurlaient, se tordaient, se soulevaient,retombaient aveuglés, écorchés vifs, brûlés par le feu qui dévoraitleurs guenilles. Au-delà de ce cercle de mort leurs camaradesstupéfaits s’éloignaient de la tour noire et de ces hommesinvincibles qui étaient d’autant plus à craindre que tout espoirles avait abandonnés.

– Une sortie, Du Guesclin ! Unesortie ! s’écria Sir Nigel. Par saint Paul, ils hésitent, etun assaut peut les décider à fuir !

Il dégaina et se rua dans l’escalier encolimaçon, suivi de près par ses quatre compagnons d’infortune.

Mais avant d’être parvenu au premier étage, illeva les bras en l’air et s’arrêta.

– … Mon Dieu ! s’exclama-t-il. Noussommes perdus !

– Qu’y a-t-il ?

– Le mur s’est effondré à l’intérieur.L’escalier est bloqué, et le feu continue à faire rage au-dessous.Par saint Paul, mes amis, nous avons mené un combat très honorable,et en toute humilité nous avons le droit de dire que nous avonsfait notre devoir. Mais je pense que nous pouvons rejoindre dameTiphaine et nous mettre en oraison, car nous avons joué notre rôleen ce monde, et le moment est venu de nous préparer pourl’autre.

L’étroit passage était en effet bloqué pard’énormes blocs de pierre entassés les uns sur les autres ; lafumée bleue passait entre les interstices. L’explosion avaitsoufflé dans le mur et coupé la seule voie qu’ils auraient puemprunter. Enfermés à une trentaine de mètres au-dessus du sol,avec un brasier qui faisait rage sous leurs pieds, cernés par unemultitude délirante assoiffée de leur sang, ils ne pouvaient guèreattendre autre chose que la mort. Lentement ils rebroussèrentchemin ; quand ils arrivèrent sur la plate-forme, dameTiphaine s’élança vers son mari.

– Bertrand ! fit-elle. Faites toussilence et écoutez ! J’ai entendu au loin des voix quichantaient dans une langue étrangère.

Retenant leur souffle, ils écoutèrent ;mais ils n’entendirent rien d’autre que le crépitement des flammeset les clameurs de leurs ennemis.

– Rien, madame ! dit Du Guesclin.Cette nuit vous a épuisée, et vos sens vous trompent. Qui pourraitse trouver dans le pays pour chanter en une langueétrangère ?

– Holà ! cria Aylward soudainhilare. Il m’avait semblé l’entendre avant que nousdescendions, et voici que maintenant je l’entends encore. Noussommes sauvés, camarades ! Par les os de mes dix doigts, noussommes sauvés ! C’est la chanson de marche de la CompagnieBlanche. Silence !

Un doigt en l’air et la tête inclinée, ilécouta avidement. De l’obscurité un chœur de voix graves déferlavers le château. Jamais délicat refrain de Provence ou du Languedocn’aurait résonné avec plus de douceur aux oreilles des sixsurvivants que cette rude chanson saxonne.

Nous boirons tous ensemble

À la plume de l’oie grise

Et au pays des oies grises.

– Ah, par ma garde ! criaAylward. C’est le cher vieux chant de la Compagnie ! Voicideux cents garçons robustes qui n’ont pas leurs pareils pour cocherleurs arcs. Malheur aux chiens ! Écoutez comme ilschantent !

De plus en plus proche, de plus en plus clair,le gai refrain de marche trouait la nuit.

Que dire de l’arc ?

L’arc vient d’Angleterre,

En bois loyal, en bois d’if,

Le bois des arcs anglais.

Car les hommes libres

Aiment le vieil if

Et le pays où pousse l’if.

Que dire des hommes ?

Les hommes sont nés en Angleterre,

Les archers, les cavaliers,

Les gars des vallons et des crêtes.

À votre santé, à la vôtre !

Buvons aux cœurs fidèles,

Et au pays des cœurs loyaux !

– Ils chantent aussi gaiement, dit DuGuesclin, que s’ils se rendaient à un festival !

– C’est leur habitude quand ils ont del’ouvrage à faire !

– Par saint Paul, fit Sir Nigel, j’ail’impression qu’ils arrivent trop tard, car je ne vois pas commentnous descendrons de cette tour !

– Les voici, ces cœurs d’or ! criaAylward. Regardez, ils sortent de l’ombre. À présent ils traversentle champ. Ils sont de l’autre côté de la douve. Holà, camarades,holà ! Johnston, Eccles, Cooke, Harward, Bligh !Voudriez-vous assister à la mise à mort d’une noble dame et de deuxbraves chevaliers ?

– Qui est là ? tonna une voix graveau-dessous. Qui vient de parler avec une langue anglaise ?

– C’est moi, vieux garçon ! C’estSam Aylward de la Compagnie. Et voici votre capitaine, Sir NigelLoring, et quatre autres qui vont être grillés comme desharengs !

– Que je sois maudit si je n’avais pasreconnu l’accent de ce vieux Samkin Aylward ! fit la voixtandis qu’un bourdonnement s’élevait des rangs. Partout où il y ades coups à recevoir, Sammy se trouve en plein dedans ! Maisquels sont ces bandits qui nous barrent le chemin ? Rentrezdans vos chenils, chiens ! Comment ! Vous osez nousregarder dans les yeux ? À l’épée, les enfants, et tapezdessus avec le plat de la lame ! Ne gaspillez pas vos flèchespour une telle canaille !

L’esprit combatif des paysans avait baissé deton : l’explosion les avait ahuris, leurs pertes avaient éténombreuses, l’arrivée imprévue des archers disciplinés lesdécouragea. Quelques minutes plus tard, ils s’étaient tous enfuisvers leurs sous-bois. Le soleil allait se lever sur des ruinesnoircies et souillées de sang, alors qu’il s’était couché sur lemagnifique château du sénéchal d’Auvergne. Déjà à l’est des lignesblanches rosissaient. Les archers se rassemblèrent au pied dudonjon en se demandant comment sauver les rescapés.

– Si nous avions une corde, dit Alleyne,nous pourrions nous laisser glisser sur cette face qui n’est pasencore en feu.

– Mais comment avoir une corde ?

– C’est un vieux truc ! dit Aylward.Holà, Johnston ! Lance-moi une corde, comme tu l’as fait àMaupertuis pendant la guerre.

L’archer interpellé réunit alors plusieurscordes ; il les noua serrées, puis il les étendit sur l’ombrelongue du donjon que projetait le soleil levant. Alors il détenditson arc et mesura la fine ligne noire qu’il projetait sur legazon.

– Un arc de deux mètres projette uneombre de quatre mètres, murmura-t-il. Le donjon projette une ombrede soixante pas. Trente pas de corde suffiront largement. Un autrebout, Watkin ! Maintenant tire à une extrémité pour vérifierla solidité. Là ! C’est prêt.

– Mais comment l’attraperont-ils ?interrogea le jeune archer qui se tenait à côté de lui.

– Attends et regarde, jeune têtefolle ! grogna le vieil archer.

Il tira de sa poche une longue ficelle qu’ilattacha à une flèche.

– Tu es prêt, Samkin ?

– Prêt, camarade !

– Alors, attention à ta main !

Il tira avec légèreté ; la flèche montadoucement et retomba sur le parapet à vingt centimètres d’Aylward.L’autre bout de la ficelle était attaché à la corde ; aussi enmoins d’une minute la corde pendit-elle le long de l’unique facesolide de la tour en feu. Dame Tiphaine fut descendue au moyen d’unnœud coulant passé sous ses bras, et les cinq autres survivants selaissèrent glisser en bas sous les acclamations et les bravos deleurs sauveteurs.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer