La Compagnie blanche

Chapitre 20Comment Alleyne conquit sa place dans une honorable guilde

Pendant que siégeait le conseil du Prince,Alleyne et Ford étaient demeurés dans l’antichambre ; ilsfurent bientôt entourés de plusieurs jeunes Anglais bruyants,écuyers comme eux, avides des dernières nouvelles d’Angleterre.

– Comment va le vieil homme deWindsor ? demanda l’un.

– Et la bonne Reine Philippa ?

– Et madame Alice Perrers ? cria untroisième.

– Le diable emporte ta langue, Wat !s’exclama un grand jeune homme qui secoua durement par le col ledernier questionneur. Le Prince te ferait couper la tête pour cesmots-là !

– Par ma foi, elle ne lui manqueraitguère ! s’écria celui qui avait posé la première question.Elle est aussi vide que la besace d’un mendiant.

– Aussi vide qu’un écuyer anglais,cousin ! répondit un autre. Que devient diable le maître destables ? Les tréteaux ne sont pas encore installés.

– Mon Dieu ? Si un homme devenaitchevalier par le ventre, Humphrey, tu serais au moins chevalierbanneret !

Un éclat de rire salua cette saillie.

– Et si c’était en buvant, vieille outrede cuir, tu serais le premier baron du royaume ! cria Humphreyfurieux. Mais comment va l’Angleterre, enfants de Loring ?

– J’ai l’impression, répondit Ford,qu’elle n’a pas beaucoup changé depuis que vous l’avez quittée,sauf peut-être qu’elle est un peu moins bruyante.

– Et pourquoi moins bruyante, jeuneSalomon ?

– Mettons que ce soit une devinette.

– Pardieu ! Voilà un paladin quiarrive avec la boue du Hampshire collée encore à seschausses : il veut dire que le bruit a diminué parce que nousavons quitté le pays.

– Ils ont l’esprit vif par ici !commenta Ford en se tournant vers Alleyne.

– Comment devons-nous prendre cela,messire ? interrogea l’écuyer tout hérissé.

– Prenez-le comme vous voudrez, réponditFord avec insouciance.

– Mais c’est de l’effronterie ! crial’autre.

– Messire, je rends hommage à votrevéracité, répondit Ford.

– Arrête-toi, Humphrey ! intervinten riant le grand écuyer. Tu n’as pas grand-chose à gagner de cegentilhomme, j’imagine ! Les langues sont aiguisées dans leHampshire, messire.

– Et les épées ?

– Hum ! Nous pourrons en avoir ladémonstration. Après-demain, aux vêpres du tournoi, nous verrons sivotre lance est aussi agile que votre esprit.

– Allons, allons ! s’écria un jeunehomme au cou de taureau dont les épaules carrées et les membresmassifs révélaient une force exceptionnelle. Tu prends l’affaireavec une trop grande légèreté, Roger Harcomb ! Nous ne nouslaisserons pas encombrer aussi facilement. Le seigneur Loring afait ses preuves ; mais nous ignorons tout de ses écuyers,sauf que l’un d’eux a la langue railleuse. Et vous, jeuneseigneur ?

Il posa sa lourde main sur l’épauled’Alleyne.

– Et quoi de moi, jeuneseigneur ?

– Ma foi, c’est le page de madame quinous est arrivé ! Tu auras les joues plus poilues et la mainplus rude quand tu reverras ta mère.

– Si ma main n’est pas rude, elle estprête.

– Prête ? Prête pour quoifaire ? Prête pour tenir la traîne de madame ?

– Prête pour châtier l’insolence,messire ! cria Alleyne dont les yeux étincelaient.

– Mon doux petit cousin ! ironisa legros écuyer. Un teint aussi délicat ! Une voix aussimoelleuse ! Des yeux de jeune vierge et des cheveux comme ceuxd’un bébé de trois ans ! Voilà…

Il passa brutalement ses gros doigts à traversles boucles dorées du jeune homme.

– Vous cherchez une querelle,messire ! répondit Alleyne blanc de colère.

– Et alors ?

– Vous la cherchez comme un rustre de lacampagne et non comme un écuyer correct. Avez-vous été si malélevé ? Êtes-vous si peu instruit ? Je sers un maître quipourrait vous montrer comment s’y prendre.

– Et comment s’y prendrait-il, mon écuyerrose ?

– Il ne parlerait pas fort, et il neserait pas grossier. Il se montrerait plutôt plus aimable qued’habitude. Il dirait : « Messire, je considérerais commeun honneur de me livrer avec vous à une petite passe d’armes, nonpas pour ma propre gloire ou pour me distinguer, mais pour larenommée de ma dame et la réputation de la chevalerie. » Puisil retirerait son gant, comme ceci, et le jetterait parterre ; ou, s’il avait motif de penser qu’il avait affaireavec un rustre, il le lui jetterait à la figure… commecela !

Un murmure passionné parcourut le groupe desécuyers : de toute sa force Alleyne venait de lancer son gantà la figure de son adversaire. Écuyers et pages accoururent ;une vraie foule entoura bientôt les antagonistes.

– Vous me paierez cela avec votrevie ! dit le bravache.

La rage le rendait hideux.

– Si vous pouvez la prendre, réponditAlleyne.

– Brave enfant, chuchota Ford, tiensferme, comme de la cire !

– Je verrai la justice ! s’écriaNorbury, le silencieux écuyer de Sir Oliver.

– Tu l’as bien recherché, JohnTranter ! déclara le grand écuyer qui portait le nom de RogerHarcomb. Il faut toujours taquiner les nouveaux, c’est entendu,mais il serait honteux que cette affaire aille plus loin : lejeune homme a montré qu’il avait du cœur.

– Mais un soufflet ! Unsoufflet ! s’écrièrent plusieurs vieux écuyers. L’affaire doitaller jusqu’au bout !

– Non. Tranter a porté la main le premierà la figure de ce garçon, répondit Harcomb. Qu’en dis-tu,Tranter ? L’affaire peut-elle en rester là ?

– Mon nom est connu en Aquitaine, ditfièrement Tranter. Je puis dédaigner ce qui souillerait un autrenom. Qu’il ramasse son gant et qu’il dise qu’il a agiinconsidérément !

– Je le verrais d’abord dans les griffesdu diable ! murmura Ford.

– Entendez-vous, jeune seigneur ?interrogea le conciliateur. Notre ami oubliera l’incident si vousdites simplement que vous avez agi sous l’empire del’emportement.

– Je ne peux pas dire cela, réponditAlleyne.

– C’est notre coutume, jeune seigneur, demettre à l’épreuve les écuyers qui arrivent d’Angleterre.Réfléchissez que si un homme se procure un nouveau destrier et unelance neuve, il les expérimente toujours en temps de paix, de peurqu’ils ne le déçoivent le jour où il en aura vraiment besoin.N’est-il pas naturel que nous éprouvions aussi nos futurscompagnons d’armes ?

– Je crois qu’il vaudrait mieux chercherun règlement honorable, chuchota Norbury à l’oreille d’Alleyne.Votre adversaire est très redoutable à l’épée, beaucoup plus fortque vous.

Mais Edricson était d’un vieux sang saxon,lent à s’échauffer et encore plus lent à se refroidir. L’allusionde Norbury au danger ne fit qu’endurcir sa résolution.

– Je suis venu ici à la suite de monmaître, dit-il. Je vous considérais tous comme des Anglais et desamis. Ce gentilhomme m’a réservé un accueil discourtois ; sije lui ai répondu de la même manière, il n’a qu’à s’en prendre àlui-même. Je vais donc ramasser mon gant ; mais certes jemaintiens ce que j’ai dit et fait, à moins que lui ne me demandepardon le premier.

Tranter haussa les épaules.

– Tu as fait ton possible pour le sauver,Harcomb, dit-il. Nous ferions mieux d’en finir sur-le-champ.

– C’est mon avis ! cria Alleyne.

– Le conseil durera jusqu’au banquet, fitobserver un écuyer grisonnant. Vous disposez de deux bonnesheures.

– Et l’endroit ?

– La cour d’entraînement est vide en cemoment.

– Non. Il ne faut pas rester dansl’abbaye. Autrement cela irait mal si le Prince était mis aucourant.

– Il y a un endroit tranquille près dufleuve, proposa un jeune homme. Nous n’avons qu’à traverser ledomaine de l’abbaye en longeant le mur de l’armurerie, dépasserl’église Saint-Rémi et descendre la rue des Apôtres.

– En avant donc ! s’écriaTranter.

Tous les assistants sortirent aussitôt, saufquelques-uns que des consignes particulières retenaient à leurposte.

Auprès de la Garonne s’étendait une petitepelouse entre le haut mur du jardin d’un prieur et un verger depommiers. Le long de la rive, le fleuve était profond et soncourant rapide ; il n’y avait que peu de bateaux ; encoreétaient-ils mouillés au milieu des eaux. Les deux adversairestirèrent leur épée et ôtèrent leur doublet ; ni l’un nil’autre n’avaient d’armure défensive. Le duel avec son étiquetteimposante n’était pas encore à la mode, mais des rencontresimpromptues étaient fréquentes entre jeunes gens impulsifs. Dans cegenre de combats comme dans les joutes plus formalistes de la lice,Tranter s’était acquis une solide réputation grâce à sa force et àsa dextérité. De son côté, Alleyne s’était entraîné chaque jourpendant plusieurs mois au maniement des armes ; comme il avaitnaturellement l’œil vif et la main prompte, il n’était pas unbretteur à dédaigner. Le contraste entre les deux adversairesapparut saisissant quand ils se placèrent face à face ;Tranter était tout brun, trapu, massif, avec un torse poilu et desbras noueux ; Alleyne, avec ses cheveux dorés et sa peau dejeune fille, était un modèle de grâce et de souplesse. À beaucouple combat semblait inégal ; mais certains remarquèrent dans lecalme regard gris et dans l’attitude circonspecte du jeune hommequelque chose qui rendait incertaine l’issue de la rencontre.

– Attention, messire, attention !cria Norbury avant que le fer eût été croisé. Ce gentilhomme a uneépée à deux mains, et elle a bien trente centimètres de plus quecelle de notre ami !

– Prends la mienne, Alleyne !proposa Ford.

– Non, mes amis, répondit-il. Je connaisle poids et l’équilibre de mon arme. Dépêchons-nous, messire, carnotre maître peut avoir besoin de nous à l’abbaye !

Il était exact que la grande épée de Tranterconférait à celui-ci un net avantage. Il se tenait talons joints,genoux ployés vers l’extérieur, prêt à pousser une pointe ou àesquiver. Il tendait l’épée devant lui, la lame bien droite enl’air, ce qui lui laissait le choix entre l’abattre d’un coupplongeant et détourner un coup qui viserait sa tête ou son buste.Il était protégé de surcroît par une large garde pourvue d’uneencoche étroite et profonde où un épéiste exercé pouvait bloquer lalame de son adversaire, puis d’un rapide tour de poignet la casseren deux. Alleyne, lui, ne pouvait se fier qu’à son coup d’œil et àson agilité : son épée était légère ; le pommeau inclinépetit ; l’acier très effilé.

Tranter ne tarda pas à vouloir tirer parti deson avantage. Quand son adversaire s’avança vers lui, il bondit etlui asséna un coup de taille qui l’aurait scié en deux si Alleynen’avait pas légèrement sauté en arrière. Il s’en fallut de si peuque la pointe déchirât le bord de sa ceinture. Avec la vivacitéd’une panthère Alleyne poussa une botte, mais Tranter, aussi agileque puissant, détourna le fer d’un revers de sa lourde lame. Ànouveau il voulut frapper, et la violence de son coup laissa lesspectateurs haletants : Alleyne l’esquiva encore une fois dejustesse et répondit par deux coups de pointe rapides commel’éclair que l’autre para avec difficulté. Ils se serraient de siprès qu’Alleyne n’eut pas le temps d’éviter le coup de taillesuivant qui rabattit son épée et lui érafla le front : le sangcoula dans ses yeux et le long de ses joues. Il se jeta de côtéhors de la portée de Tranter ; les deux écuyerss’immobilisèrent, haletants ; les spectateursapplaudirent.

– Beau sport ! cria Roger Harcomb.L’un comme l’autre vous sortez grandis de cette rencontre. Mais ceserait un péché et une honte de la poursuivre plus longtemps.

– Vous avez assez fait, Edricson !dit Norbury.

– Vous vous êtes bien comporté !s’exclamèrent plusieurs vieux écuyers.

– Pour ma part je ne désire nullement lamort de ce jeune homme, dit Tranter en essuyant la sueur de sonfront.

– Ce gentilhomme me demande-t-il pardonpour sa discourtoisie ? interrogea Alleyne.

– Non.

– Alors en garde, messire !

Dans un furieux cliquetis les deux épéess’entrecroisèrent à nouveau. Alleyne poussait constamment en avantpour empêcher Tranter de déployer toute la longueur de sa lame.Tranter reculait ou sautait de côté afin d’avoir le champnécessaire pour assener l’un de ses terribles coups de taille. Uncoup aux trois quarts paré entama l’épaule gauche d’Alleyne, maiscelui-ci blessa légèrement Tranter à la cuisse. Hélas ! À laminute suivante sa lame glissa dans l’encoche fatale ; lesspectateurs entendirent un craquement sec, et Alleyne se retrouvaavec un morceau d’acier de cinquante centimètres de long dans lamain : c’était tout ce qui lui restait de son épée.

– Votre vie est à ma merci ! criaTranter avec un sourire ironique.

– Non, non ! Il faitsoumission ! crièrent plusieurs écuyers.

– Une autre épée ! réclama Ford.

– Non ! dit Harcomb. Ce n’est pas lacoutume.

– Jetez votre tronçon, Edricson !cria Norbury.

– Jamais ! dit Alleyne. Meprésentez-vous vos excuses, messire ?

– Vous êtes fou de me demandercela !

– Alors en garde ! cria le jeuneécuyer.

Il s’élança avec une ardeur farouche quicherchait à suppléer à la petite taille de son arme. Il avaitremarqué que son adversaire soufflait comme un homme harassé. Lemoment lui sembla donc propice de prouver la valeur d’une existenceplus saine et de muscles plus souples. Tranter reculait, reculaitdans l’espoir de pouvoir décocher le coup décisif. Alleyne avançaitsur lui, le menaçait de sa pointe ébréchée, tantôt au visage,tantôt à la gorge, tantôt à la poitrine ; il multipliait lescoups de pointe pour franchir la ligne d’acier. Mais sonantagoniste expérimenté laissait passer l’orage : il savaitbien qu’Alleyne ne pourrait pas soutenir longtemps des effortspareils. Dès qu’il se relâcherait, ce serait sa mort. Il fallaitqu’il se relâche ! Bientôt il allait être à bout desouffle ! Déjà ses bottes étaient moins vigoureuses, et sonpied moins sûr, bien que le regard gris n’eût rien perdu de sonéclat. Tranter, au cours de ses multiples combats, avait appris laprudence et la ruse. Tout à coup il détourna l’arme fragile de sonadversaire, fit tournoyer sa lourde lame, sauta en arrière pouravoir plus de champ… et disparut dans les eaux de la Garonne.

Les écuyers, combattants ou spectateurs,s’étaient si passionnément intéressés aux péripéties du duel qu’ilsavaient complètement oublié le fleuve qui coulait au-dessous de laberge à pic. C’est seulement lorsque Tranter, reculant devant lesassauts d’Alleyne, atteignit le bord de la berge qu’un cri générall’avertit du danger qu’il courait. Son dernier bond en arrière, quidevait lui permettre d’assener le coup décisif, lui futfatal : il se retrouva dans un courant glacé et rapide detrois mètres de fond. À deux reprises sa tête et ses doigts, quiessayaient vainement de se raccrocher à quelque chose de solide,émergèrent de l’eau verte, mais le tourbillon l’emportait. Sescompagnons lui jetèrent inutilement des fourreaux, des branches depommiers, des ceintures. Alleyne avait laissé tomber son épéebrisée et regardait la scène ; il tremblait de tous sesmembres ; sa colère s’était muée en une pitié soudaine. Unetroisième fois l’homme qui se noyait reparut à la surface ;ses mains étaient pleines d’algues ; il lança vers la berge unregard désespéré. Ses yeux rencontrèrent ceux d’Alleyne, qui ne putpas résister à la muette supplication qu’il y lut : il plongeaà son tour dans la Garonne et nagea vigoureusement en direction deson adversaire.

Mais le courant était fort. Pour le bon nageurqu’était Alleyne, la tâche ne se révéla pas simple. Arriver jusqu’àTranter et l’empoigner par les cheveux fut l’affaire de quelquessecondes ; mais il fallait aussi lui maintenir la tête hors del’eau et sortir du courant. Pendant une bonne centaine de brasséesAlleyne ne parut pas gagner un centimètre. Puis enfin, tandis quesur la rive retentissait un chœur de cris de joie et de louanges,les deux hommes parvinrent dans une eau plus stagnante ; Fordleur lança adroitement une douzaine de ceinturons reliés par leursagrafes ; ils s’y cramponnèrent avec l’énergie dudésespoir ; dégouttant d’eau et blancs comme des linges, ilsfurent halés sur la berge, et s’affalèrent sur le gazon.

John Tranter fut le premier à revenir àlui : en effet, s’il était demeuré plus longtemps dans l’eau,il n’avait nullement participé à cette lutte farouche contre lecourant. Il se remit debout en titubant et regarda son sauveteurqui venait de se soulever sur un coude et qui souriait faiblementau concert de compliments et de félicitations que lui adressaientles écuyers rassemblés autour de lui.

– Je vous suis fort obligé,messire ! dit Tranter d’une voix qui s’efforçait d’êtreamicale. Sans vous je me serais certainement noyé, car je suisoriginaire du Warwickshire ; dans ce comté sec, presquepersonne ne sait nager.

– Je ne réclame pas de remerciements,répondit Alleyne d’un ton froid. Donnez-moi votre main pour que jepuisse me relever.

– Le fleuve a été mon ennemi, ditTranter. Mais il a été pour vous un bon ami ; aujourd’hui ilvous a sauvé la vie.

– C’est possible, répliqua Alleyne.

– Mais maintenant tout est terminé, ditHarcomb, et sans aucun mal, ce qui est mieux que je ne l’espéraistout à l’heure. Notre jeune ami a très joliment et honnêtementgagné sa place dans l’honorable guilde des écuyers de Bordeaux.Prends ton doublet, Tranter.

– Hélas, ma pauvre épée est au fond de laGaronne ! gémit l’écuyer.

– Voici votre pourpoint, Edricson !cria Norbury. Mettez-le sur vos épaules, pour que vous ayez aumoins un vêtement sec !

– Et maintenant rentrons àl’abbaye ! s’écrièrent plusieurs voix.

– Un moment, messires ! s’exclamaAlleyne qui s’appuyait sur l’épaule de Ford et qui tenait dans samain droite le tronçon d’épée qu’il avait ramassé. J’ai peut-êtreencore de l’eau dans mes oreilles, mais je n’ai pas entendu lesexcuses de ce gentilhomme pour les manières insultantes dont il ausé tout à l’heure avec moi à l’abbaye.

– Comment ! Vous poursuivez notrequerelle ? demanda Tranter.

– Et pourquoi pas, messire ? Je suislent à m’émouvoir, mais une fois l’affaire commencée, je lapoursuivrai tant qu’il me restera un souffle de vie.

– Ma foi, il ne doit pas vous en resterbeaucoup ! fit Harcomb. Suivez mon avis, messire :laissez tomber ! Vous vous en êtes fort bien tiré !

– Non, dit Alleyne. Je n’ai pas cherchécette querelle ; mais, puisque nous en sommes arrivés là, jejure que je ne quitterai pas les lieux sans avoir obtenu ce que j’ysuis venu chercher. Demandez-moi pardon, messire, ou choisissez uneautre épée et remettons-nous en garde.

Le jeune écuyer était mortellement pâle. Toutdétrempé et taché de boue, l’épaule ensanglantée, le frontégratigné, il s’était cependant figé dans une attitude empreinted’une résolution inflexible. Le tempérament plus épais, plusmatériel de son adversaire s’inclina devant l’ardente intensitéd’une nature éminemment spirituelle.

– Je n’avais pas pensé que vous leprendriez si mal, répondit-il gauchement. Il ne s’agissait qued’une plaisanterie comme nous en faisons entre nous, mais puisquevous y tenez, je la regrette.

– Alors je vous exprime également mesregrets, dit Alleyne avec chaleur. Et voici ma main pour scellernotre réconciliation.

– La trompe du repas de none a sonnétrois fois, ajouta Harcomb. Je me demande ce que pensera ou dira lemaître des cuisines du Prince. Par ma foi, maître Ford, votre ami abien besoin d’une coupe de vin car il a bu beaucoup d’eau de laGaronne ! Je n’aurais pas cru, à voir son jeune visage, qu’ilse serait comporté avec autant de vaillance.

– Cet air de Bordeaux, répondit Ford, amétamorphosé notre colombe en coq de combat. Jamais le Hampshiren’a vu naître un garçon plus doux et plus courtois.

– Son maître également est un gentilhommedoux et courtois, murmura Harcomb. Et pourtant je ne crois pasqu’ils soient l’un et l’autre des hommes sur les pieds de qui ilserait prudent de s’aventurer !

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