La Compagnie blanche

Chapitre 34Comment la Compagnie fit du sport dans le val de Pampelune

Pendant que siégeait le conseil à Pampelune,la Compagnie Blanche qui cantonnait dans une vallée des environs,non loin des compagnies de La Nuit et d’Ortingo le Brun, s’amusa àferrailler, à lutter et à tirer sur des boucliers disposés à flancde montagne pour servir de cibles. Les plus jeunes archers avaientretiré leurs cottes de maille ; cheveux au vent, justaucorpsretourné pour libérer torses et bras, ils décochaient leurs flèchesà tour de rôle. Johnston, Aylward, Black Simon et une douzaine devétérans les surveillaient, accordant à chacun la louange ou leblâme qu’il méritait. Derrière eux des arbalétriers brabançons descompagnies d’Ortingo et de La Nuit, ainsi que des petits groupes deGascons, regardaient les Anglais s’entraîner.

– Joli coup, Hewett, joli coup ! ditle vieux Johnston à un jeune archer qui, l’arc dans la main gauche,suivait bouche bée le vol de sa flèche. Tu vois, elle trouve lecentre du rond ; je le savais depuis le moment où ta corde avibré.

– Lâche la flèche en souplesse,calmement, et pourtant assez sec, conseillait Aylward. Par magarde, mon gars, c’est très bien quand tu ne tires que sur unbouclier, mais quand il y a un homme derrière le bouclier et qu’ilgalope vers toi en brandissant son épée et en te regardant biensous sa visière, tu t’apercevras que la cible est moins facile àatteindre !

– Je m’en suis déjà aperçu, répondit lejeune archer.

– Et tu t’en apercevras encore, camarade,sois-en sûr ! Mais holà, Johnston, qui est celui-ci qui tientson arc comme une gaule ?

– Silas Peterson, de Horsham. Ne clignepas d’un œil pour regarder avec l’autre, Silas, et ne saute pas, nedanse pas après avoir tiré, car ta flèche n’en sera ni plus droite,ni plus rapide ! Tiens-toi solidement dressé, comme Dieu t’acréé. Ne remue pas le bras qui tient l’arc, et garde ferme la mainqui tend la corde.

– Ma foi, dit Black Simon, je suis unlancier, moi, et le combat de près me convient mieux que ce genred’exercice. J’ai cependant passé ma vie au milieu des archers, etj’ai vu beaucoup de flèches splendides. Je constate que nous avonsici de bons tireurs et que cette Compagnie n’a jamais manquéd’excellents archers ; mais je cherche en vain des hommes quicourbent l’arc et décochent la flèche comme certains que j’aiconnus.

– Tu dis vrai, répondit Johnston. Regardecette bombarde là-bas. C’est elle qui a fait du tort à la sciencede l’arc, avec sa fumée immonde et sa gueule idiote. Je necomprends pas qu’un véritable chevalier, comme notre Prince, sefasse accompagner d’objets aussi vils. Robin, lourdaud de rouquin,combien de fois devrai-je te dire de ne pas tirer droit sur lacible avec un vent de côté ?

– Par les os de mes dix doigts, il yavait quelques bons archers à la prise de Calais ! ditAylward. Je me rappelle qu’au cours d’une sortie, un Gênois leva lebras par-dessus sa cape et le brandit dans notre direction, à centpas de notre première ligne. Vingt archers de chez nous le prirentpour cible ; l’homme tomba ; quand on retrouva soncadavre, il avait eu l’avant-bras transpercé de dix-huitflèches !

– Et je n’oublie pas non plus, observaJohnston, que lorsque la grande cogghe« Christopher », que les Français avaientcapturée, fut mouillée à deux cents pas du rivage, deux archers, lepetit Robin Withstaff et Elias Baddlesmere, coupèrent en quatrecoups chacun les fibres de chanvre de sa corde d’ancre, si bienqu’elle s’échappa et s’échoua sur les rochers.

– Les bons tireurs se font rares, soupiraBlack Simon. Mais je t’ai vu, Johnston, et toi aussi, SamkinAylward, tirer aussi bien que les meilleurs. N’est-ce pas toi,Johnston, qui a remporté le bœuf gras à Finsbury contre toutel’élite de Londres ?

Un Brabançon hâlé aux yeux noirs était venu seplacer auprès des vieux archers ; appuyé sur son arbalète illes écoutait bavarder dans le dialecte des camps que tous lessoldats comprennent. Il était trapu, il avait un cou de taureau, ilportait un casque en fer, une cotte de mailles et les chausses delaine des gens de sa classe. Une tunique à manches pendantes bordéede velours au cou et aux poignets montrait qu’il était au moinssous-officier ou chef de section de sa compagnie.

– Je ne peux pas comprendre, dit-ilpourquoi vous autres Anglais vous êtes si satisfaits de votrebaguette de six pieds. Si cela vous amuse de la courber, alors tantmieux ! Mais pourquoi consentirais-je cet effort, puisque monpetit moulinet fera tout à ma place, et mieux que je ne saurais lefaire moi-même ?

– On peut tirer avec n’importe quoi,répondit Aylward. Mais par ma garde, camarade, avec tout le respectque je te dois, à toi et à ton arbalète, je pense qu’elle n’estqu’une arme de femme, qu’une femme peut pointer et manier aussiaisément qu’un homme !

– Cela je ne le sais pas, répliqua leBrabançon. Mais ce que je sais, c’est qu’après quatorze ans deservice, je n’ai encore jamais vu un Anglais réussir avec son arcde guerre un coup que je ne pourrais surpasser avec mon arbalète.Par les trois rois ! J’irai même plus loin, et je dirai quej’ai fait des choses avec mon arbalète qu’aucun Anglais n’aurait pufaire avec son arc.

– Bien dit, mon gars ! cria Aylward.Un bon coq est toujours doué d’une belle voix. Quant à moi, j’aipeu tiré ces temps-ci, mais Johnston va te prendre pour l’honneurde la Compagnie.

– Et je mets un gallon de Jurançon surl’arc, dit Black Simon, quoique je préférerais, pour mon goûtpersonnel un quart de bière de Twynham.

– Je relève le défi et j’accepte le pari,déclara l’homme du Brabant en retirant sa tunique et en cherchantautour de lui un endroit convenable. Mais je cherche une cibledécente ; naturellement je ne gaspillerai pas un trait sur cesboucliers qu’un ivrogne de village serait incapable de manquer àune kermesse.

– C’est un dangereux ! chuchota àl’oreille d’Aylward un homme d’armes anglais. C’est le meilleurtireur de toutes les compagnies d’arbalétriers ; c’est lui quia abattu à Brignais le connétable de Bourbon. Je crains que ton amine s’en sorte pas à son honneur.

– Moi, j’ai vu Johnston tirer depuisvingt ans, et je mise sur lui.

– Hélas, Aylward, mon temps estpassé ! fit le vieil archer. Je trouve inamical de ta part,Samkin, que tu fasses ainsi d’un vieil archer démoli qui jadispouvait tirer juste le point de mire de tous les regards.Laisse-moi palper cet arc, Wilkins ! C’est un arc écossais, jevois. Par la croix noire, c’est un beau morceau d’if, bien coché,bien cordé, bien ciré, bien plaisant au toucher ! Je crois quemême à présent je pourrais trouer une bonne cible avec un arc commecelui-là. Passe-moi le carquois, Aylward. Ah, vieux Samkin, l’œilse brouille et la main tremble quand les années passent !

– Es-tu prêt ? demanda le Brabançonqui commençait à s’impatienter.

– À mon avis, répondit le vieil archer,l’arc de combat est une meilleure arme que l’arbalète ; maisje peux avoir du mal à le prouver.

– C’est ce que je pense, fit l’autre enricanant.

Il tira de sa ceinture son moulinet, le fixaet ramena en arrière la puissante double corde jusqu’à ce qu’elles’insérât dans l’encoche. Il tira de son carquois un carreau courtet épais, qu’il plaça soigneusement dans la rainure. La nouvelle dumatch s’était répandue, et les deux rivaux étaient déjà entourésnon seulement des archers de la Compagnie, mais par des centainesd’arbalétriers et hommes d’armes des compagnies d’Ortingo et de LaNuit ; le Brabançon appartenait à la compagnie de La Nuit.

– Il y a une cible là-bas sur lamontagne, dit-il. Tu la vois peut-être ?

– Je vois quelque chose, réponditJohnston en abritant ses yeux avec sa main. Mais c’est un coup trèslong.

– Un joli coup ! Oui, un joli coup…Tiens-toi de côté, Arnaud, si tu ne veux pas recevoir un trait dansla gorge. Maintenant, camarade, je ne tirerai pas un coup d’essai,et je te donne l’avantage de suivre ma flèche.

Tout en parlant il leva son arbalète et ilallait tirer la détente quand une grosse cigogne grise apparut enbattant lourdement des ailes ; elle frôla la crête de lamontagne et s’éleva en planant pour franchir la vallée. Ses crisaigus, perçants, attirèrent l’attention générale. Quand elleapprocha, un point noir qui dessinait des cercles au-dessus d’ellese révéla comme étant un faucon pèlerin qui guettait l’occasion defondre sur sa proie. Trop absorbés par leur lutte, les deux oiseauxse désintéressèrent des soldats : la cigogne s’efforçant deprendre de l’altitude en tournant en rond, le faucon planantnéanmoins au-dessus d’elle, ils arrivèrent à une centaine de pas ducamp. Le Brabançon pointa son arme vers le ciel et sa cordepuissante se détendit sèchement. Son trait atteignit la cigognejuste au bréchet ; l’oiseau tournoya d’abord en précipitant lebattement de ses ailes, puis il tomba lentement, encore soutenu parson envergure. Les arbalétriers applaudirent ; mais àl’instant même où le carreau avait touché sa cible, le vieuxJohnston qui avait pris un air distrait tendit son arc et expédiasa flèche en plein dans le corps du faucon. À peine la flècheétait-elle partie qu’il en saisit une autre, l’ajusta et tirapresque à l’horizontale avec tant de bonheur qu’il transperça lamalheureuse cigogne une deuxième fois avant qu’elle eût touchéterre. Un long cri d’allégresse jaillit des archers à la suite dece doublé ; Aylward, dansant de joie, jeta ses bras autour duvieux tireur d’élite et l’enlaça avec une telle vigueur que leursbrigandines s’entrechoquèrent.

– Ah, camarade ! cria-t-il. Tuboiras un coup avec moi pour ces flèches-là ! Le faucon ne tesuffisait pas, vieux chien ? Tu as voulu avoir la cigognepar-dessus le marché ? Oh, il faut que je t’embrasseencore !

– C’est un joli morceau d’if, et biencordé ! fit Johnston avec une lueur de malice dans ses deuxyeux gris. Avec un arc pareil, même un vieil archer impotenttrouverait la cible !

– Tu as bien tiré ! commenta leBrabançon avec une certaine amertume. Mais il me semble que tu net’es pas révélé meilleur que moi, car j’ai touché ce que je visais,et, par les trois rois, personne n’aurait fait mieux !

– Il serait malséant de ma part de meproclamer meilleur tireur que toi, répondit Johnston, car j’aibeaucoup entendu vanter ton adresse. Je voulais simplement temontrer que l’arc de guerre pouvait faire ce que l’arbalète nepouvait pas faire, car tu n’aurais pas pu avec ton moulinet avoirta corde prête pour tirer une deuxième flèche avant que l’oiseausoit tombé à terre.

– En cela tu as l’avantage, ditl’arbalétrier. Par saint Jacques, c’est maintenant à moi de temontrer comment mon arme peut être meilleure que la tienne. Je teprie de tirer une flèche de toute ta force dans la vallée, afin quenous voyions la longueur de ton tir.

– Tu possèdes une arme très puissante,dit Johnston en considérant l’arbalète de son rival. Je suis à peuprès certain que tu tireras plus loin que moi, et pourtant j’ai vudes archers qui pouvaient envoyer leur flèche une aune plus loinqu’un carreau d’arbalète.

– Je l’ai entendu dire aussi, répondit leBrabançon. Mais c’est tout de même curieux que ces archersmerveilleux ne se soient jamais trouvés là où j’étais !Marquons les distances avec une baguette, tous les cent pas.Arnaud, tu te tiendras à la cinquième marque pour me rapporter mestraits.

Une ligne fut mesurée dans la vallée. Johnstontira ; sa flèche passa en sifflant au-dessus desbaguettes.

– Bien tiré ! C’est un coupextraordinaire ! applaudirent les assistants. Elle est tombéetout près de la quatrième marque !

– Par ma garde, elle est tombée plusloin ! cria Aylward. Je vois l’endroit où les camarades sepenchent pour la ramasser.

– Nous le saurons bientôt ! fittranquillement Johnston.

Un jeune archer accourut pour annoncer que laflèche était tombée vingt pas au-delà de la quatrième marque.

– Quatre cent vingt pas ! cria BlackSimon. Ma foi, c’est tirer long ! Cependant le bois et lemétal peuvent faire mieux que la chair et le sang !

Le Brabançon fit un pas en avant ; unsourire de triomphe éclairait son rude visage ; il lâcha lacorde de son arme. Ses camarades poussèrent un cri desatisfaction.

– Au-delà de la quatrième ! grommelaAylward. Par ma garde, je crois qu’il n’est pas loin de lacinquième !

– Il a dépassé la cinquième ! hurlaun Gascon.

Un soldat vint annoncer que le carreau étaittombé à huit pas au-delà de la cinquième marque.

– Quelle arme a l’avantagemaintenant ? cria le Brabançon en se pavanant, l’arbalète surl’épaule, parmi ses compagnons.

– Tu peux me vaincre dans le tir long,répondit gentiment Johnston.

– Toi, et tous les archers dumonde ! fit son adversaire victorieux.

– Pas si vite ! intervint un archerbâti en colosse dont les épaules et la tête rousse dominaient lafoule des spectateurs. J’ai deux mots à te dire avant que tu criessi fort. Où est mon petit joujou ? Par saint Dick de Hampole,je serais bien étonné si je ne pouvais pas surclasser ta machinequi ressemble davantage à un piège à rat qu’à un arc. Veux-tuessayer un nouveau carreau, ou t’en tiens-tu à celui-là ?

– Cinq cent huit pas me suffisent,répondit le Brabançon en regardant de travers ce nouveladversaire.

– Tut, John ! murmura Aylward. Tun’as jamais été tireur d’élite : pourquoi trempes-tu tacuiller dans ce plat ?

– Du calme, Aylward ! Il y abeaucoup de choses que je ne peux pas faire, mais il y en a aussiune ou deux dont je connais le truc. J’ai dans l’idée que jepourrai tirer plus long, si mon arc est assez solide.

– Allez ! Assez de bavardages !Vas-y, enfant des bois ! Montre-leur que tu es duHampshire ! crièrent les archers en riant.

– Vous pouvez rire, sur mon âme !fit John. Mais c’est le vieux Hob Miller de Milford qui m’a apprisle tir long.

Il s’empara d’un grand arc noir, s’assit parterre et plaça ses pieds sur les deux extrémités de la tige d’arc.Il prit une flèche et tira la corde vers lui avec ses deux mainsjusqu’à ce que le fer de la flèche soit de niveau avec le bois. Legrand arc gémit ; la corde surtendue vibrait.

– Qui est cet idiot qui se tient sur leparcours de ma flèche ? demanda-t-il toujours assis par terreen se tordant le cou.

– Il est posté au-delà de ma tombée,répondit le Brabançon. Il n’a donc rien à craindre de toi.

– Hé bien, que les saints leprotègent ! s’écria John. Il est trop près heureusement pourque je lui fasse du mal.

Tout en parlant, il avait levé les deux pieds,avec la tige recourbée de l’arc sur les semelles, et sa corde vibrasur une note grave qui aurait pu être entendue de l’autre côté dela vallée. Le préposé aux mesures tomba à plat ventre, se releva etcourut plus loin.

– Bien tiré, vieil ami ! Elle estpassée au-dessus de sa tête ! crièrent les archers.

– Mon Dieu ! s’exclama le Brabançon.Qui a jamais vu un coup pareil ?

– C’est un truc à apprendre, dit Johnmodestement. Il m’est arrivé plusieurs fois de gagner un gallon debière en couvrant un mille rien qu’en trois flèches dans ladescente de Wilverley Chase.

– Elle est tombée à cent trente pasau-delà de la cinquième marque ! cria un archer quiaccourait.

– Six cent trente pas ! MonDieu ! Quel coup ! Un coup pourtant qui ne signifie rienpour ton arme, mon gros camarade, car c’est en la maniant comme unearbalète que tu l’as réussi !

– Par ma garde, il y a du vrai dans ceque tu dis ! s’écria Aylward. Et maintenant, l’ami, je vais temontrer l’un des avantages de l’arc de guerre. Veux-tu, s’il teplaît, expédier un trait contre ce bouclier là-bas, avec toute taforce ? C’est un morceau d’orme recouvert de cuir detaureau.

– J’ai à peine tiré plus de traits àBrignais, grommela l’homme du Brabant, et pourtant j’ai trouvé unemeilleure cible qu’un bout de peau de taureau. Mais que veux-tu meprouver, l’Anglais ? Le bouclier n’est pas à plus de cent pas.Un aveugle ne pourrait pas le manquer !

Il visa à peine et tira son carreau endirection du bouclier suspendu. Aylward, qui avait pris une flèchedans son carquois et en avait soigneusement graissé le fer,l’expédia sur la même cible.

– Cours, Wilkins, dit-il, etrapporte-nous le bouclier.

Les visages des Anglais s’allongèrent et lesbouches des arbalétriers s’élargirent quand le lourd bouclier leurfut apporté : au centre il y avait le gros trait du Brabançonfiché profondément dans le bois, mais il n’y avait aucune trace dela flèche.

– Par les trois rois ! cria leBrabançon. Cette fois au moins il est inutile de discuter poursavoir quelle est la meilleure arme et quel est le meilleur tireur.Tu es passé à côté de la cible, l’Anglais !

– Un moment ! Un moment, mongars ! dit Aylward qui, retournant le bouclier, montra un trourond bien net dans le bois derrière. Ma flèche l’a traversé,camarade ; tu conviendras que l’engin qui traverse une cibleest plus redoutable que celui qui s’arrête en route.

Le Brabançon mortifié tapa du pied ; ilaurait sans doute répondu avec aigreur si Alleyne Edricson n’étaitarrivé au galop.

– Sir Nigel va venir, et il désire parlerà la Compagnie.

L’ordre et la discipline remplacèrent aussitôtla confusion qui était générale. Les arcs, les casques, les épéesfurent ramassés. Un long cordon d’archers nettoya le camp de tousles étrangers, tandis que le gros de la troupe s’alignait surquatre rangs avec les sous-officiers et les chefs de section entête ou sur les flancs. Ils se figèrent ainsi, immobiles etsilencieux, pour accueillir leur chef qui arrivait à cheval ;il avait le visage radieux ; toute sa petite silhouette segonflait de la nouvelle qu’il apportait.

– Un grand honneur vient de nous êtrefait ! s’écria-t-il. Entre toute l’armée, le Prince nous achoisis pour que nous pénétrions en terre d’Espagne afin d’explorerce pays ennemi. Cependant, comme nos adversaires sont en nombre, etcomme cette mission ne sera peut-être pas du goût de tout le monde,je prie ceux qui veulent me suivre de faire un pas vers moi.

Un brouhaha s’ensuivit. Quand Sir Nigelregarda à nouveau, personne ne se trouvait en avant ; lesquatre rangs étaient aussi impeccablement alignés qu’avant sacommunication. Stupéfait Sir Nigel les contempla, et le plusprofond chagrin assombrit sa figure.

– Pourquoi ai-je vécu pour voir cejour ! s’écria-t-il. Quoi ! Pas un…

– Mon noble seigneur, chuchota Alleyne,ils ont tous avancé d’un pas.

– Par saint Paul ! Je vois ce qu’ilsvalent. Je ne pouvais pas croire qu’ils m’auraient abandonné. Nouspartons demain à l’aube, et vous aurez les chevaux de la compagniede Sir Robert Cheney. Soyez prêts, je vous en prie, pour le chantdu coq !

Un murmure joyeux parcourut les archers. Ilsrompirent leurs rangs, coururent, sautèrent, gambadèrent comme desenfants une veille des vacances. Sir Nigel les suivit d’un regardamusé, mais une main lourde s’abattit sur son épaule.

– Hé bien, mon chevalier errant deTwynham ! fit une voix. Vous partez pour l’Èbre, d’après ceque j’ai appris. Mais, par le saint poisson de Tobie, vous meprendrez sous votre pennon !

– Sir Oliver Buttelsthorn !s’exclama Sir Nigel. On m’avait dit que vous étiez arrivé aucamp, et j’avais espéré vous revoir. Je serai fier et heureux quevous veniez avec moi !

– J’ai des motifs personnels etd’importance pour vouloir partir en tête, dit le groschevalier.

– Je le crois aisément, répondit SirNigel. Je ne connais personne plus prompt que vous à suivre lechemin de l’honneur.

– Non, ce n’est pas pour l’honneur que jevous accompagne, Nigel.

– Pour quelle raison alors ?

– À cause des poulets.

– Des poulets ?

– Oui. Ces coquins de l’avant-garde ontfait main basse sur tous les poulets de la campagne. Ce matin même,Norbury, mon écuyer, a éclopé son cheval en faisant une tournéepour m’en apporter un, car nous avons un sac de truffes, mais rienpour manger avec. Jamais je n’ai vu de telles sauterelles dans uneavant-garde ! Pas moyen de dénicher un poulet après leurpassage. Du coup, j’abandonne mes renégats de Winchester aux bonssoins du grand prévôt, et je pars en éclaireur avec vous, Nigel,mon sac de truffes à mes arçons.

– Oliver, Oliver, je vous connais tropbien ! fit Sir Nigel en secouant la tête.

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