La Fée des grèves

Chapitre 15À quand la noce ?

Le petit Jeannin était resté longtemps àregarder la fée courir sur le miroir des grèves.

Quand la fée disparut enfin dans l’ombre duMont, le petit Jeannin sembla s’éveiller.

Il secoua sa jolie tête chevelue, pesal’escarcelle, et fit une gambade. Sa joie s’enflait et grandissaità mesure qu’il marchait, le nez au vent et la tête fière, comme unhomme opulent peut marcher. L’allégresse lui montait au cerveau. Ilétait ivre.

Tantôt il gesticulait follement, tantôt ilentonnait à pleine gorge un noël appris à la paroisse de Cherrueix,tantôt encore il prenait son élan, touchait le sable de ses deuxmains étendues, retombait sur ses pieds et poursuivait cet exercicedurant des demi-lieues.

Quiconque a voyagé sur nos routes de l’Ouest apu voir de jeunes citoyens exécuter ce naïf tour de force sous lepoitrail des chevaux. Cela s’appelle faire la roue.Jeannin faisait la roue comme un dieu.

Quand il avait bien fait la roue, il rejetaiten arrière la masse de ses cheveux qui l’aveuglait, et c’étaientdes éclats de rire, des sauts, des cabrioles.

Il s’en donnait, il s’en donnait le petitJeannin !

Puis tout à coup il mettait le poing sur lahanche, comme le hallebardier de la cathédrale de Dol. Il marchaità pas comptés. Voyez quel homme grand cela faisait !

Avec une soutanelle de laine brune au lieu desa peau de mouton, il eût ressemblé à un clerc.

Mais cette gravité-là ne durait point.

Jeannin demeurait aux Quatre-Salines. Savieille mère avait une petite cabane où le vent venait par tous lesbouts. Cette nuit, le rêve de Jeannin bâtit une bonne maison demarne à sa vieille mère.

Quant à lui, nous savons qu’il couchaitrarement au logis.

À l’extrémité du village des Quatre-Salines,il y avait une ferme riche ; devant la ferme, dans le verger,une belle meule de paille six fois grande comme la cabane de lamère de Jeannin.

C’était là le vrai domicile du petitcoquetier. Il s’était creusé un trou bien commode dans la paille,et il dormait là mieux que vous et moi.

Sa mère avait une bique (chèvre). La biquetenait dans la cabane la place du petit Jeannin : il luifallait bien trouver son gîte ailleurs.

Par delà le mont Dol et les coteaux deSaint-Méloir-des-Ondes, l’aube teintait de blanc les contours del’horizon, quand Jeannin arriva au bout de la grève. Il était troptôt pour se présenter chez Simon Le Priol. Jeannin sauta têtepremière dans sa meule de paille et s’endormit tout d’un temps.

Le bon somme qu’il fit ! et les bonsrêves !

Il vit des cierges allumés pour ses noces dansl’église du bourg de Saint-Georges. Fanchon la ménagère tenait safillette par la main et la conduisait à l’autel. Simon Le Priolavait son pourpoint de fêtes gardées.

Quand le petit Jeannin dormait une fois,c’était pour tout de bon. Le soleil se leva et se coucha pendantqu’il dormait. À son réveil, la brune était déjà tombée.

– Oh ! dà ! se dit-il, le jourtarde bien à se montrer ce matin !

Il sortit de sa meule attendant toujours lesoleil. Ce fut la lune qui vint.

– Allons ! se dit le petit Jeannin,j’ai fait un joli somme. Il faut courir chez Simon Le Priol pourdemander Simonnette en mariage !

La route se fit gaiement. Jeannin avait sonescarcelle sous sa peau de mouton. Il frappa à la porte deSimon.

– Holà ! petiot, lui dit le bonhommequand il fut entré, depuis quand frappes-tu aux portes comme si tuétais quelque chose ?

De fait, le petit Jeannin n’avait pointcoutume de frapper. Il faisait comme les chats : il entraittout doucement sans dire gare.

S’il avait frappé ce soir, c’est qu’en effet,sans se rendre compte de cela, il se sentait devenu quelquechose.

– Bonjour, Simon Le Priol,dit-il avec un pied de rouge sur la joue ; bonjour, dameFanchon et la maisonnée.

La maisonnée se composait de deux vaches et dequatre gorets,car Simonnette était dehors, ainsi que tousles Mathurin et toutes les Gothon.

Fanchon et Simon se regardèrent.

– Qu’a-t-il donc, ce petit gars-là ?demanda la métayère ; il a l’air tout affolé !

– Est-ce que tu es malade, petiot ?interrompit Simon avec bonté. Jeannin ne savait pas s’il était bienportant ou malade.

Sa langue était paralysée. Simon Le Priol etsa ménagère lui semblaient, en ce moment, plus imposants qu’un roiet une reine.

Il n’avait point préparé son discours. Tout àl’heure, cela lui paraissait si simple de dire enentrant :

– Bonjours à trétous, je viens pourépouser Simonnette. Maintenant il ne pouvait plus.

– Femme, dit Simon, il est tout pâle etil tremble les fièvres. Donne-lui une écuellée de cidre bien chaudpour lui recaler le cœur.

– Oh ! merci tout de même, murmuraJeannin ; mais dam, je n’ai point froid au cœur. Bien ducontraire quoique l’écuellée de cidre ne soit pas de refus. Mais,je vais vous dire : faut que vous sachiez ça tous deux. Ilm’est tombé un bonheur.

La porte grinça sur ses gonds. La mâchoire demaître Vincent Gueffès se montra sur le seuil. Ce fut dommage, carle petit Jeannin était lancé : il allait défiler son chapelettout d’un coup. Vincent Gueffès tira la mèche de cheveux quipendait sur son front. C’était sa manière de saluer. Puis ils’assit, dans le foyer, sur un billot. Il fit à Jeannin un signe detête amical.

Depuis le matin, maître Vincent Gueffèsruminait pour trouver un moyen honnête de faire pendre le petitcoquetier. Jeannin resta la bouche ouverte.

– Eh bien ! dit Fanchon, qu’est-ceque c’est que ce bonheur-là qui t’est tombé, mon petitgars ?

Jeannin se mit à tortiller les poils de sapeau de mouton. Gueffès vit qu’il gênait. Cela lui fit un véritableplaisir.

– Allons ! cause vite ! s’écriaSimon ; crois-tu qu’on a le temps de s’occuper de toi toute lasoirée ?

– Oh ! que non fait ! maîtreSimon, répliqua Jeannin avec humilité, quoique je n’en aurais paseu l’idée sans vous, bien sûr et bien vrai.

– Quelle idée ?

– L’idée des cinquante écus nantais…

– Est-ce que tu voudrais vendre la têtede notre bon seigneur ! s’écria Fanchon déjà rouged’indignation.

Maître Vincent Gueffès dressa l’oreille. Ill’avait longue.

– Pas de moitié ! dit Jeannin,employant ainsi la plus énergique négation qui soit dans le langagedu pays ; le chef des soudards me l’a bien proposé, mais jen’entends pas de cette oreille-là !

– À la bonne heure !

– C’est d’autres écus, reprit Jeannin,des écus qui… que… enfin, je vas vous dire… C’est des écus,quoi !

Il releva la tête, tout satisfait d’avoir pudonner une explication aussi catégorique.

– Ça ne nous apprend pas… commença maîtreVincent Gueffès. Mais Jeannin ne le laissa pas achever.

– Pour ce qui est de vous, l’homme,dit-il rudement, on ne vous parle point ! Et si vous voulezcauser tous deux, allez m’attendre à la porte !

Simon et sa femme se regardèrent encore. Cepetit Jeannin, plus poltron que les poules ! Maître Gueffèsessaya de sourire, ce qui produisit une grimace très laide. Jeanninse retourna de nouveau vers le métayer et la métayère.

– Voyez-vous, dit-il en formed’explication, je n’aime pas ce Normand-là, parce qu’il rôdetoujours autour de Simonnette.

– Et qu’est-ce que ça te fait,petiot ? demanda Simon en riant.

La figure de Jeannin exprima l’étonnement leplus sincère.

– Ce que ça me fait !répéta-t-il ; mais je ne vous ai donc rien dit depuis que nousbavardons là ! Ça me fait que Simonnette est ma promise…

Simon et sa femme éclatèrent de rire pour lecoup.

– Oh ! le pauvre Jeannin !s’écria Fanchon, en se tenant les côtes, il a bien sûr marché surle trèfle à quatre feuilles !

Il n’en fallait pas tant pour déconcerter lepetit Jeannin. Toute sa vaillance tomba, et les larmes lui vinrentaux yeux.

– Dam ! fit-il, puisqu’il ne fautque cinquante écus nantais.

– Et où les pêcheras-tu, garçonnet, lescinquante écus nantais ? Jean tira de dessous sa peau demouton l’escarcelle de fines mailles, qui scintilla aux lueurs dufoyer.

Simon et sa ménagère ouvrirent de grands yeux.Maître Gueffès allongea le cou pour mieux voir.

– Qu’est-ce que c’est que ça ?demandèrent à la fois Simon et Fanchon. Jeannin souriait.

– Ah ! mais ! répondit-il,quand on tient la Fée des Grèves, elle donne tout ce qu’ondemande !

– La Fée des Grèves ! répétèrent lesdeux bonnes gens stupéfaits.

Maître Simon Le Priol était un peu dans lasituation d’un charlatan qui évoquerait des fantômes de carton pouramuser son public et qui verrait surgir un vrai spectre.

– La Fée des Grèves ! répéta-t-ilune seconde fois ; mais c’est des contes de veillée, tout ça,petiot !

– Comment ? l’histoire du chevalierbreton ?…

– Un conte !

Jeannin fit sonner les pièces d’or qui étaientdans l’escarcelle.

– Et ça, est-ce des contes ?demanda-t-il d’un accent de triomphe ; la Fée des Grèves abien pu transporter le chevalier au Mont, à la marée haute,puisqu’elle m’a donné de quoi épouser Simonnette !

Ce disant, le petit Jeannin ouvritl’escarcelle et fit ruisseler les écus sur la table de la ferme. Ily en avait bien plus de cinquante. Simon et Fanchon étaientlittéralement éblouis.

Vincent Gueffès restait immobile dans soncoin.

Il se disait :

– J’ai pourtant failli être pendu pources beaux écus tout neufs, moi ! Il se dit encore :

– La demoiselle aurait prisl’escarcelle ; le petit falot, la tête pleine des contes demaître Simon, aura couru après la demoiselle… Et puis, voilà.

Maître Vincent Gueffès, comme on voit, étaitun homme de beaucoup de sens. Impossible de mieux résumerl’histoire que nous avons racontée en tant de chapitres !Simon et sa femme étaient bien loin de voir aussi clair dans cesmystérieuses ténèbres. Ils regardaient les écus d’un air peurassuré. Mais c’étaient des écus. Simon les aimait ; Fanchonaussi. Simon interrogea Fanchon de l’œil et Fanchonrépondit :

– Dam ! notre homme. Jeannin est unbeau petit gars, tout de même !

– Pour ça, c’est vrai ! appuya SimonLe Priol en considérant Jeannin avec attention, ce qu’il n’avaitjamais fait en sa vie.

– Il a de beaux yeux bleus, ce petit-là,ajouta Fanchon d’une voix presque caressante déjà.

– Et des cheveux comme une gloire !renchérit Simon.

Le petit Jeannin, rouge de plaisir, selaissait chatouiller. Maître Vincent Gueffès s’était levé biendoucement. Il était au centre du groupe avant qu’on n’eût songé àlui.

– À quand la noce ? dit-il.

Son air était si narquois que les deux bonnesgens en tressaillirent.

– Ça ne te fait rien, à toi, répliquaJeannin, puisque tu n’en seras pas de la noce. Va t’en !

Maître Gueffès tira sa mèche et s’en alla,mais sur le seuil il se retourna :

– Si fait ! si fait ! petitJeannin, dit-il sans se fâcher, tu épouseras la hart, mon mignon…et j’en serai, de la noce ! Il disparut. On entendit au dehorsson aigre éclat de rire.

– Bah ! dit la ménagère Fanchon,jalousie !

– Rancune ! ajouta Simon Le Priol.Et l’on fit asseoir le petit Jeannin à la bonne place, pour causerdu mariage.

Car le mariage était désormais affaireconclue.

Les écus restaient sur la table auprès del’escarcelle ouverte.

Il se fit tout à coup un grand bruit dans lacampagne.

Le cor sonnait, et le pas lourd des chevauxretentissait sur les cailloux. En même temps, de vagues etlointaines clameurs arrivaient par le tuyau de la cheminée. Simon,sa femme et le petit Jeannin continuaient de causer mariage. Onheurta rudement à la porte, et l’on dit :

– De par notre seigneur le duc !Simon, tout effaré, courut ouvrir. La Noire et la Rousse beuglaientd’effroi sur la paille. Les hommes d’armes de Méloir entrèrent,commandés par Kéravel et conduits par maître Vincent Gueffès.Derrière eux venait tout le village, les quatre Mathurin, lesquatre Gothon, la Scholastique, trois Catiche, une Perrine et deuxJoson. Simonnette et son frère Julien étaient toujours dehors.

– Que voulez-vous ? demanda Simon LePriol.

L’archer Merry le jeta sans beaucoup de façonà l’autre bout de la chambre.

– Messeigneurs, dit Vincent Gueffès,voici l’escarcelle et voilà le voleur ! Il montrait le petitJeannin. Tous les hommes d’armes reconnurent l’escarcelle duchevalier Méloir. On se saisit du pauvre Jeannin et Kéraveldit :

– Attachez la hart haut et cours aupommier qui est en face !

On attacha la hart pour pendre le voleur.Maître Vincent Gueffès était derrière Jeannin.

– Je t’avais bien dit, petiot,murmura-t-il, que j’en serais de la noce !

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer