Un Roi tout nu

Chapitre 2

 

Huslin s’éveilla tôt le lendemain. Que s’était-il passé ?D’où venait toute cette lumière ? Il s’étonna des murs blancs,du lit étroit, des rayons de soleil qui, au travers des persiennes,descendaient sur son oreiller. Des filets d’air vif circulaientdans la chambre et le rideau à fleurs s’enflait avec effort par lavitre ouverte.

Il éprouva comme une griserie. Il devina un monde prêt às’ouvrir. Et soudain il se rappela. Quelle bonne et chaudenuit ! Jusqu’à une heure passée, ils avaient assisté au voyagetranquille de la lune, à l’illumination du ciel. Les murs blancs dela maison s’étaient ouatés de gaze bleue. Le potager sommeillait dusommeil innocent des choux verts… Dressés contre le ciel, tels degrands oiseaux nocturnes, les peupliers… Et Jeanne… Et Renée… Oneût dit qu’elles avaient des secrets communs avec la nuit.

Vert, jaune, avec de sourdes lueurs de veilleuse, le paysageaccroché en face de son lit prit aux yeux de Huslin la forme d’uneinterrogation. « C’est vrai, j’avais quelque chose àdire… » Cela datait d’hier… Encore hier… Hier était un immensefilet plein de mille choses…

Il rencontra brusquement le souvenir qu’il recherchait.« Les fresques de Fauvarque… », prononça-t-il à mi-voix.Il les avait regardées enfin toute une après-midi. Manquant surplace de jugement précis, il avait remis à une heure de solitude lesoin de tirer ses impressions au clair. Certes, le dessin en massespuissantes, les couleurs vertigineuses des deux compositionsl’avaient saisi. Mais ce matin, pris de méfiance, Huslin sedemandait : « Est-ce bien ? Est-ce mal ? Àsupposer qu’il y ait dans ces œuvres un génie qui se révélera peu àpeu, un homme a-t-il le droit de se risquer à de tels jeux quand lamaison est vide ? Lui-même m’a avoué que Demons ne venaitplus… » Les yeux au plafond, le bras replié sous sa tête, ilplaignit Jeanne, chercha le moyen de venir en aide à Fauvarque.Mais comme il lui voulait du bien, il pensait à lui méchamment.

Depuis la veille, il aimait moins Fauvarque. Ce fait nouveaul’intéressait et l’intriguait. Il en chercha les causes. D’abord,il admirait cet homme depuis trop longtemps, ce qui devenaitmonotone. Puis, il lui reprochait d’être toujours supérieur, ce quidevenait humiliant. En outre, il en avait assez de lui voir unetête constamment plus puissante, un corps constamment plus robusteque les siens.

« Ce qui me vexe le plus, murmura-t-il enfin, c’est qu’onne puisse jamais le prendre en flagrant délit de misère. Toujoursun air de rouler sur les millions !… Il se donne royalementpour alliés la lumière, les arbres, la campagne, le soleil lui-mêmeet les étoiles. C’est trop facile… Et, cependant, elle existe ets’aggrave cette misère. Je la mettrai à nu… »

Il perçut, alors, le murmure d’une conversation qui sepoursuivait à voix basse, probablement depuis longtemps. Il collason oreille contre la cloison qui le séparait de la chambre deRenée. « Elle dort, dit-il avec douceur… nous couchons l’uncontre l’autre, des deux côtés de cette mince cloison. J’entendsjusqu’à son souffle léger… » Il se leva et, sur la pointe despieds, s’approcha de la porte qui communiquait avec l’appartementde Jeanne.

– Tu ne sais pas ce que tu gâches, disait Fauvarque.Beaucoup de femmes font comme toi. Voici qui est plus grave :hier, j’ai cru que c’était fini, que tu revenais à moi de bon cœur…Tout à coup, je m’aperçois qu’il n’y a rien de fini, mais qu’unecomédie commence… L’amitié bruyante que tu me témoignais n’étaitqu’un simulacre ; de quoi abuser nos amis. Je suis forcé de tedire : Casse-cou ! de cette façon on achève de démolir unfoyer.

Jeanne sifflotait entre ses dents.

« C’est, en effet, très grave… » pensa Huslin, envahipar une sorte de torpeur amoureuse. Fauvarque reprit :

– La comédie de l’amour, nous savons comment ça se passe…Dix femmes sur douze la jouent toute leur vie : la maison estpleine de fleurs, madame est pomponnée, on reçoit ensemble, on rendses visites ensemble. Ce sont des cajoleries devant les gens. Maisune fois seuls on ne se parle plus que par injures… Merci !Pas pour nous ! Pour d’autres, ces misères !

« Il finira par la reprendre, » se dit Huslin avecinquiétude.

Car, depuis la veille, Jeanne le hantait. Jamais la jeunesse deson esprit et de son corps ne lui avait paru plus désirable.Ah ! le bain frais, le souffle ravivant d’un tel amour aprèsles misérables mois de sa passion pour Valentine. Devant son cœurfatigué elle dansait, sautait, jouait.

– Tu n’as jamais été plus délicieuse que ces temps-ci,poursuivait Fauvarque dans la chambre voisine. Il y a dans tesgestes de la lumière et de l’intelligence. Ta maternité t’a rendueplus belle et il semble qu’elle t’ait appris à réfléchir. Commentse fait-il, alors, que tu me sois hostile ? J’ai cru,autrefois, que la naissance de Pierrot nous liait pour toujours.C’est le contraire. On dirait qu’il pousse entre nous deux, lepauvre bambin. Lorsqu’il sera de notre taille, nous nous trouveronsdes deux côtés d’un mur. Crois-tu que ce soit bien ?

« Il tourne autour d’elle, la courtise, la sermonne !reprit Huslin. Honte et infamie ! Un mari et une femme !quel inceste !… »

Il plaça l’œil devant l’orifice de la serrure.« Bouché !… » balbutia-t-il avec indignation.

–… Crois-tu que ce soit bien ? répéta Fauvarque.

Huslin comprit que Jeanne répondait. Il perçut un mot, devina ungeste. Il haletait de colère. La réconciliation faite, quelleserait sa place, à lui, entre les époux ? Il fallait à toutprix tomber dans leur solitude… Écrasé contre la porte, ilappela :

– Jeanne !… Jeanne !… Jeanne !…

– Qui est-ce ? demanda Fauvarque sévèrement.

– On m’appelle ? fit Jeanne avec appréhension.

Huslin ne répondit pas tout de suite. Un sourire satisfaiterrait sur sa face. Il caressa les fils dorés de sa barbe. Ilreprit d’une voix mystérieuse :

– C’est moi… vous êtes seule, n’est-ce pas ?

– Monsieur, on vous coupera les oreilles, répliquaFauvarque.

Un rire perla : celui de Jeanne. Elle hésitait surl’attitude à prendre. Elle battit des mains cependant, friande desituations scabreuses.

Huslin pesait contre la porte.

– Puisque nous sommes en sûreté, Jeanne, nous pouvonscauser. Belle matinée, n’est-ce pas ? Quelle nouvelle de chezvous ? Dans ma chambre les rires du soleil coulent par lescent paupières mi-closes des persiennes, l’air follet fait desculbutes et gonfle les rideaux. Mon lavabo philosophe… Vous êtesderrière cette porte… Aussi quel réveil ! Ma première penséefut pour nos amours. Ah ! que j’aime ! Ah ! que jevous aime !…

Fauvarque, soupçonneux parfois et rusé comme un paysan, devinasous ce jeu des intentions équivoques. Mais, beau joueur, il donnala réplique.

– Que vous aimez, c’est visible, s’écria-t-il. Votre cœurbat si fort que la porte en est ébranlée.

Jeanne égrena un rire nerveux.

– Adieu, lui dit Huslin, j’entends une voix étrangère.

– Avez-vous bien dormi, au moins ? demandaFauvarque.

Huslin ne répondit pas.

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer