Un Roi tout nu

Chapitre 14

 

Huslin partit le jour même. Fauvarque, confiné dans l’atelier,et Potteau, en promenade dans les bois, ne le saluèrent pas à sondépart. Jeanne, Renée et Foutrel le conduisirent jusqu’à la grille,et Berthe, une des valises en main, l’accompagna jusqu’à la gare.Elle était émue, pleurait, et, tout en s’essuyant les yeux avec sontablier, bredouillait :

– Quelle misère… Ah ! que je suis malheureuse…Monsieur Fauvarque est fâché… Monsieur Huslin s’en va, mon Dieu,mon Dieu ! que je suis malheureuse !…

Voyant Jeanne très affectée par son départ, Huslin lui avaitbaisé la main. Sa douleur était profonde et une heure avait suffipour entourer ses yeux de cerne. Aux creux subits de ses joues, sabarbe semblait fausse.

– J’avais espéré, murmura-t-il, pouvoir guiderFauvarque ; dès le premier jour je me suis sentiimpuissant ; il tue mes élans, se moque de mes conseils. Vousne savez pas le mal qu’il m’a fait.

– Pardonnez-nous, Huslin.

– Durant des nuits entières j’ai veillé, songeant à lui età vous… Le souci de votre bonheur m’a hanté… Car vous devriez êtreheureuse, Jeanne, et vous ne l’êtes pas… Vous méritez un de cesbonheurs sans ombre que des femmes très pures, très nobles, trèsbelles ont connu. Elles sont rares, mais je vous voyais parmielles…

Ces mots qu’elle écoutait et ramenait à elle-même, déchiraientle cœur de Berthe. En s’éloignant, elle continuait à selamenter.

– Quelle misère ! Que je suis malheureuse… Ah !comme vous avez de bons sentiments, monsieur Huslin.

– Vous êtes trop sensible, ma fille, vous souffrirezbeaucoup dans la vie, lui répondait Huslin en s’arrêtant.

Il était parvenu aux deux noyers qui, sur la route, formaientcomme les sentinelles avancées de la maison du peintre. Il seretourna. Plus personne à la grille. L’atelier frappé de soleilétait silencieux. À cette distance, Jeanne, Renée, Foutrel, Potteauétaient oubliés. Une seule image subsistait pour Huslin. Bien qu’ilne vît personne, avec le bras qui restait libre il fit desmoulinets tumultueux et poussa un cri :

– Adieu, Fauvarque !…

Renée demeura encore quarante-huit heures auprès de Jeanne. Elleaussi était en crise et devait mettre de l’ordre dans ses rapportsavec Potteau. Leur rapprochement dans cette maison aggravaitl’engagement qui la liait à lui et, pour rien au monde, elle nel’épouserait, après l’expérience des mois passés entre Huslin etFauvarque. Elle quitta donc Jeanne, qui fut inconsolable, mais luidonna raison. Foutrel partit à son tour, le lendemain. Il était endifficultés avec son père et prévoyait de l’aller voir à Limoges.« Bon courage, mon vieux, lui dit Fauvarque ; pour ce quiest de nous, sois sans inquiétude. Je travaille, nous avons encoredix jours à rester dans la maison. Tout va bien. Ça ne pourrait pasaller mieux… » Jeanne et Fauvarque se trouvèrent de nouveauseuls dans la maison vide. Mais Fauvarque s’étonna de l’attitudefermée, dédaigneuse et pleine de réticences qu’observa Jeanne. Tousles amis partis, la maison pour eux deux, de belles journées,n’était-ce pas le moment de reprendre contact, de s’épancher et deconstruire ensemble les splendides projets dont son cerveau étaiten fièvre et que prouvait, depuis trois jours, l’avancement rapidede sa dernière fresque ? Le soir même, à table, il luidit :

– Mais qu’as-tu donc ? Tu ne peux pas avoir peur,puisque moi j’envisage l’avenir avec une joie, une joie sansmélange.

– C’est ce qui m’inquiète le plus, répondit Jeannefroidement.

– Tu as pourtant confiance en moi ?

– Non.

– Tu n’as pas confiance en moi !

– Non.

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