Un Roi tout nu

Chapitre 4

 

Il y eut une semaine de pluie. D’abord les baguettes tombèrentdru, serrées, en un crépitement continu et régulier. Cela dura deuxjours. La campagne toute vernie et plus sombre semblait couverted’une coulée d’émail. Les Fauvarque et leurs hôtes, bien protégéspar des chapeaux de feutre et des pèlerines, firent de longuespromenades. L’air mouillé et chargé d’odeurs de terre et de verdurese précipitait dans les poumons, à la façon perverse, étourdissanteet délicieuse d’une drogue. Les champs, d’un côté de la route, laforêt de l’autre, prenaient des attitudes suppliciées. Lesmarronniers et les ormes avaient des balancements rythmés,profonds, empreints de cette gravité commune à la douleur et à lavolupté.

– On dirait les femmes nues d’un sérail se tordant sous lacravache, dit Huslin.

– Les âmes du purgatoire, proposa Foutrel.

– On dirait des arbres, trancha Potteau qui haïssait lalittérature.

Sur la plaine les peupliers et les bouleaux se hissaient commedes fantômes tremblants issus de terre. Dans les jardins la pauvreluzerne ondoyait, docile ; la pomme de terre, nerveuse,s’agitait ; le chou bien étalé recueillant la pluie dans seslarges feuilles, laissait voir son ventre luisant ; les épislourds des champs de blé s’entrechoquaient avec colère ; etl’avoine martyrisée saignait de coquelicots.

Le matin du troisième jour la pluie avait cessé. Mais le cielrestait chargé. Un voile humide se plaquait sur les yeux. Lajournée, chaude et grise, eut un lendemain étouffant. On commençaità sentir l’orage. Le père Plomion redressé, sa poitrine bombée sousla chemise comme le soc de sa charrue, inspectait le ciel avecinquiétude, tout en ramassant du doigt la sueur de son front.

– Eh ! bien, père Plomion ? demandaFauvarque.

– L’orage, fit celui-ci tout bas, en hochant la tête.

Plus loin, le père Beaugran nouait les gerbes de son blé déjàcoupé. Sa récolte gisait par terre où elle risquait de pourrir. Safamille l’aidait dans sa besogne pressée.

– Eh ! bien, père Beaugran ? demandaFauvarque.

– L’orage, répondit le vieux paysan, avec un calmefataliste qui frappa le peintre.

L’orage éclata dans la soirée. Le ciel, du côté de l’est,s’était subitement assombri. On eût dit qu’une gigantesqueconstruction, élevée d’un coup, obstruait l’horizon. Un éclair lalézarda et, une seconde après, des masses s’écroulèrent avec unbruit formidable.

– J’ai horreur de ça ! déclara Huslin.

Jeanne et Renée l’approuvèrent. Il poursuivit :

– Vous entendez le vent ?… On dirait dix mille buffleslancés sur le pays… En somme, la terre est pleine d’embûches, lamer est un vaste cimetière et le ciel lui-même, ce champ de nosrêves, ce refuge de notre croyance, ce monde limpide, fluidique,léger, sort soudain de son silence divin pour gronder sur nostêtes. Je n’admets pas cette erreur de la nature !… Le cieldevrait rester sacré, c’est-à-dire indifférent et silencieux. Voyezcomme il est bas… et il descend… et il descend… Est-ce qu’il vanous écraser comme des noix, nous, les maisons, la forêt ?

À travers les vitres, il regardait les arbres fouettés, leslueurs sinistres des éclairs. La foudre tombait ici, là, plus près,plus loin, la pluie épaisse s’écrasait dans le jardin.

– C’est peut-être le déluge une seconde fois.

On rit.

– Mais non, je parle sérieusement, insista Huslin.

À table et après le dîner, encore, il parla constamment. Jamaisil ne s’était révélé si bavard et il obséda ses amis, pendant troisheures entières, de ses hypothèses puériles auxquelles sa craintedonnait une sorte de vraisemblance.

Le septième jour fut radieux. La campagne, sur laquelle tombaitune lumière douce, chantait sa joie. Le sommet vert tendre desarbres s’illuminait. Les parterres de légumes étincelaient degemmes. La forêt tout entière était surnaturelle. Les routes secroisaient comme des lames d’acier.

– Vous voulez voir le Paradis ? dit Fauvarque à Huslinqui sortait de sa chambre. Un paradis plein de trésorsfabuleux !…

Il le poussa vers la fenêtre :

– Ils sont pour vous, pour moi, pour qui veut lesprendre !…

Huslin était, ce jour-là, d’une humeur charmante. Le monde luiapparaissait comme une œuvre impeccable. Il en donna cent raisons.Fauvarque, qui n’en retenait aucune, était content de voir son amivibrer d’optimisme et de franchise. Il lui enveloppa les épaulesd’un bras cordial et l’entraîna sur la route. Dans les deux noyersgéants régnait une animation extraordinaire. Les moineaux, leschardonnerets en partaient comme des flèches ; puis, criant,chantant, frémissant, revenaient, des nouvelles plein leur bec,dans le cœur vivant et tumultueux des branches.

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