Un Roi tout nu

Chapitre 7

 

En ouvrant les yeux, Huslin crut qu’il était très tard. Prisd’une vague inquiétude, il se leva précipitamment et procéda à satoilette. Ses gestes saccadés se heurtaient et, de même, sesréflexions s’enchevêtraient. Un moment, dressé devant le petitlavabo, il dit d’une voix qui lui parut être celle d’unétranger : « Voyons, soyons clair. Est-ce le savon ouest-ce la brosse à dents que je dois prendre ? » Ceproblème tranché, son cerveau s’assoupit.

À travers le vitrage de la fenêtre il aperçut un disque jaunequi semblait courir sur la ligne des collines. Depuis combiend’heures ? combien de semaines ? combien de sièclesdormait-il ?

Des ombres en combat occupaient sa conscience. Puis une idée sedégagea, se précisa qui répandit une lumière crue de proche enproche.

– Hier soir, balbutia-t-il.

Un flot d’images assaillit son cerveau : la nuit, lesparoles prononcées, l’antichambre close, Jeanne, Renée… mais toutess’écroulèrent, sauf celle-ci.

Il ouvrit la fenêtre, s’y accouda, et se recueillit.

L’image de Renée lui parut toute neuve. Mais il sentit avectristesse qu’elle ne varierait plus, qu’elle était immuable etqu’il fallait lui sacrifier les fantaisies dont son rêve et sondésir avaient entouré la jeune fille. Les sensations amassées prèsd’elle, en plusieurs années, convergeaient toutes vers un centre.Et bientôt les souvenirs ambigus et fantasques, toujours enduits dechimère, toujours divinement frais, que ses sens portaient d’elle,furent marqués d’un caractère définitif, uniforme etdésenchantant.

– Le sceau de la réalité, fit-il tendrement… Quel dommage…petite Renée, tu ne seras plus le rayon de miel.

Il descendit, car il avait besoin de s’égarer dans la campagne,le nez à l’air, la poitrine gonflée et les yeux mi-clos.

Entrant prudemment dans l’antichambre, il fut surpris, puisinquiet, d’y trouver les volets entr’ouverts. Personne dans lamaison n’avait coutume de descendre si matin. Il fallait pour celaun événement exceptionnel. Et comme il n’entendait aucun bruit, ilsongea que Renée, la veille, pleurait de remords dans ses bras…« J’ai horreur de ces émotions », pensa-t-il, hâtantfiévreusement le pas. Enfin il s’approcha de la porte tout défigurépar la crainte.

– Tiens ? mais c’est Foutrel.

Le dos couvert d’une pèlerine, debout sur un escabeau, lemalheureux bachelier ès droit peignait la grille du jardin en unbeau vert sombre. Le réconfort de Huslin fut si brusque qu’il seprit à replier machinalement le rideau de fer avec un sourire béat.Mais il découvrit soudain Fauvarque devant une toile quidissimulait le milieu de son corps. Ce spectacle le renditsoupçonneux : « Il a une mine étrange », se dit-il.Que signifie ce chapeau de feutre noir qu’il s’est enfoncéjusqu’aux sourcils ? Et quelle ardeur, quel biceps ! Ilmanie le pinceau avec une fougue bien extraordinaire… Iltressaillit à l’idée que Potteau était peut-être posté dans lesenvirons, avec son gros bâton noueux. Cependant, ayant reculé d’unpas, il hasarde cette question :

– Vous avez donc couché dehors ?

Par-dessus la toile, le peintre lui lança un regard dur et luifit signe de ne point parler.

– Mon cher, ça va bien ! dit-il d’une voix fiévreuse.Cette esquisse m’a hanté toute la nuit… Maintenant je suisparti !… J’en ai pour la matinée, sans m’arrêter.

« Toute la nuit… » songea Huslin, puis ildemanda :

– Est-ce que vous souffrez d’insomnies ?…

– Non, non, bon Dieu… et fichez-moi la paix ! criaFauvarque.

Fouetté par cette bourrade amicale, Huslin s’éloigna avec unsourire large et puéril. Sa trahison de la veille ? Il se ditqu’il ne fallait pas en exagérer l’importance puisque le ton deFauvarque n’avait pas varié à son égard. Mais il se garda d’ajouterque celui-ci ignorait sa faute ; car Huslin évitait ce jour-làd’achever ses pensées.

Il s’approcha de Foutrel, s’avança jusque sous son nez et levavers lui un visage tendre que baignaient les premières lueurs dumatin.

– Eh ! bien, vieux Foutrel ?

– Je peins la grille du jardin, dit Foutrel avec un sourireque le soleil poussait à la grimace.

– Il y a longtemps que vous êtes là ?

– Une heure.

– Où avez-vous pris la couleur ?

– Dans l’atelier.

– Alors… vous peignez la grille ?

Huslin avait quitté sa chambre, chassé par un vague instinctd’insécurité. Soudain, il se sentait en confiance.

Il fit le tour du jardin, gravit la terrasse, regarda devantlui. Sur le champ de Plomion, un cheval blanc traînait laherse ; le laboureur suivait péniblement. Perdus dans unsonge, la bête et l’homme semblaient également détachés de leurbesogne. Et l’homme, dans la journée commençante, ne sentait pasencore qu’il était le maître du cheval. Sur la route, les noyersbalançaient dans leurs branches une masse mouvante d’oiseaux.

– Ils en font du potin, les passereaux, murmura Huslin d’unaccent qui rappelait celui de Fauvarque.

Ne recevant aucune réponse, il rentra dans la maison ets’assit.

« J’ai besoin de pureté, j’ai besoin d’une pensée fraîcheet de muscles forts, se dit-il. Je vivrai chaste… Je fermerai laporte à mes anciennes maîtresses, j’expliquerai à Renée… Et si ledésir me tourmente, je labourerai la terre avec les ongles et avecles dents. »

Malgré la joie d’une belle matinée, il se sentait mal à l’aise.Entre deux amis qui travaillaient, il errait, porteur d’uneinquiétude et d’un secret. Et son cœur, épris ce matin d’innocenceet de labeur tranquille, avait peur d’être responsable du péché dela veille. L’aveu de sa faute ne l’eût pas effrayé. Il étaitcoutumier des confessions totales. Mais Renée ? À cause d’elleil devait se taire.

L’attouchement des coussins moelleux, la couleur du ciel, lechant des oiseaux, tout le disposait à l’indulgence. Comme il étaitle coupable, ce sentiment retombait sur lui. Aussi renonça-t-il àmesurer sa faute. Elle n’était, en somme, dans l’histoire de sonâme, qu’un événement accidentel. Aux sources mêmes de sa vie, iltrouverait peut-être des raisons de s’absoudre.

Bientôt il sentit quelque chose qui venait au-devant de lui.Puissante, véhémente, tumultueuse, c’était une force à laquellerien ne résistait. Huslin reconnut sa conscience. « Toi, aumoins, lui dit-il, tu es juste et incorruptible. Je me présentedevant toi avec mon crime ! Prononce ton verdict,j’obéirai… » Alors, sa conscience parla :

– Je te pardonne !… Je t’absous ! il n’y a pas decrime !… tu n’es pas coupable !… tu es bon !… tu esnoble !… tu es grand !… »

– Prenez donc un livre, dit Fauvarque, voyant Huslininoccupé.

Huslin prit un Évangile que Renée avait oublié sur la table.

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