Cyrano de Bergerac

Scène VII

Les mêmes, De Guiche.

 

DE GUICHE.

 

Cela sent bon.

 

UN CADET, chantonnant d’un airdétaché.

 

To lo lo !…

 

DE GUICHE, s’arrêtant et leregardant.

 

Qu’avez-vous, vous ?… Vous êtestout rouge !

 

LE CADET.

 

Moi ?… Mais rien. C’est le sang. On va se battre : ilbouge !

 

UN AUTRE.

 

Poum… poum… poum…

 

DE GUICHE, seretournant.

 

Qu’est cela ?

 

LE CADET, légèrementgris.

 

Rien ! C’est unechanson !

Une petite…

 

DE GUICHE.

 

Vous êtes gai, mon garçon !

 

LE CADET.

 

L’approche du danger !

 

DE GUICHE, appelant Carbon deCastel-Jaloux, pour donner un ordre.

 

Capitaine ! je…

 

(Il s’arrête en levoyant.)

 

Peste !

Vous avez bonne mine aussi !

 

CARBON, cramoisi, et cachant unebouteille derrière son dos, avec un geste évasif.

 

Oh !…

 

DE GUICHE.

 

Il me reste

Un canon que j’ai fait porter…

 

(Il montre un endroit dans lacoulisse.)

 

là, dans ce coin,

Et vos hommes pourront s’en servir au besoin.

 

UN CADET, se dandinant.

 

Charmante attention !

 

UN AUTRE, lui souriantgracieusement.

 

Douce sollicitude !

 

DE GUICHE.

 

Ah çà ! mais ils sont fous ! –

 

(Sèchement.)

 

N’ayant pas l’habitude

Du canon, prenez garde au recul.

 

LE PREMIER CADET.

 

Ah ! pfftt !

 

DE GUICHE, allant à lui,furieux.

 

Mais !…

 

LE CADET.

 

Le canon des Gascons ne recule jamais !

 

DE GUICHE, le prenant par le braset le secouant.

 

Vous êtes gris !… De quoi ?

 

LE CADET, superbe.

 

De l’odeur de la poudre !

 

DE GUICHE, haussant les épaules,le repousse et va vivement à Roxane.

 

Vite, à quoi daignez-vous, madame, vous résoudre ?

 

ROXANE.

 

Je reste !

 

DE GUICHE.

 

Fuyez !

 

ROXANE.

 

Non !

 

DE GUICHE.

 

Puisqu’il en est ainsi,

Qu’on me donne un mousquet !

 

CARBON.

 

Comment ?

 

DE GUICHE.

 

Je reste aussi.

 

CYRANO.

 

Enfin, Monsieur ! voilà de la bravoure pure !

 

PREMIER CADET.

 

Seriez-vous un Gascon malgré votre guipure ?

 

ROXANE.

 

Quoi !…

 

DE GUICHE.

 

Je ne quitte pas une femme endanger.

 

DEUXIÈME CADET, aupremier.

 

Dis donc ! Je crois qu’on peut lui donner àmanger !

 

(Toutes les victuailles reparaissent comme parenchantement.)

 

DE GUICHE, dont les yeuxs’allument.

 

Des vivres !

 

UN TROISIÈME CADET.

 

Il en sort de sous toutes lesvestes !

 

DE GUICHE, se maîtrisant, avechauteur.

 

Est-ce que vous croyez que je mange vos restes ?

 

CYRANO, saluant.

 

Vous faites des progrès !

 

DE GUICHE, fièrement, et à quiéchappe sur le dernier mot une légère pointe d’accent.

 

Je vais me battre à jeun !

 

PREMIER CADET, exultant dejoie.

 

À jeung ! Il vient d’avoir l’accent !

 

DE GUICHE, riant.

 

Moi ?

 

LE CADET.

 

C’en est un !

 

(Ils se mettent tous àdanser.)

 

CARBON DE CASTEL-JALOUX, qui adisparu depuis un moment derrière le talus, reparaissant sur lacrête.

 

J’ai rangé mes piquiers, leur troupe est résolue !

 

(Il montre une ligne de piquesqui dépasse la crête.)

 

DE GUICHE, à Roxane, ens’inclinant.

 

Acceptez-vous ma main pour passer leur revue ?…

 

(Elle la prend, ils remontent vers le talus. Tout le mondese découvre et les suit.)

 

CHRISTIAN, allant à Cyrano,vivement.

 

Parle vite !

 

(Au moment où Roxane paraît sur la crête, les lancesdisparaissent, abaissées pour le salut, un cri s’élève : elles’incline.)

 

LES PIQUIERS, au dehors.

 

Vivat !

 

CHRISTIAN.

 

Quel était ce secret ?…

 

CYRANO.

 

Dans le cas où Roxane…

 

CHRISTIAN.

 

Eh bien ?

 

CYRANO.

 

Te parlerait

Des lettres ?…

 

CHRISTIAN.

 

Oui, je sais !…

 

CYRANO.

 

Ne fais pas la sottise

De t’étonner…

 

CHRISTIAN.

 

De quoi ?

 

CYRANO.

 

Il faut que je te dise !…

Oh ! mon Dieu, c’est tout simple, et j’y penseaujourd’hui

En la voyant. Tu lui…

 

CHRISTIAN.

 

Parle vite !

 

CYRANO.

 

Tu lui…

As écrit plus souvent que tu ne crois.

 

CHRISTIAN.

 

Hein ?

 

CYRANO.

 

Dame !

Je m’en étais chargé : j’interprétais ta flamme !

J’écrivais quelquefois sans te dire : j’écris !

 

CHRISTIAN.

 

Ah ?

 

CYRANO.

 

C’est tout simple !

 

CHRISTIAN.

 

Mais comment t’y es-tu pris,

Depuis qu’on est bloqué pour ?…

 

CYRANO.

 

Oh !… avant l’aurore

Je pouvais traverser…

 

CHRISTIAN, se croisant lesbras.

 

Ah ! c’est tout simpleencore ?

Et qu’ai-je écrit de fois par semaine ?… Deux ? –Trois ? –

Quatre ? –

 

CYRANO.

 

Plus.

 

CHRISTIAN.

 

Tous les jours ?

 

CYRANO.

 

Oui, tous les jours. – Deux fois.

 

CHRISTIAN, violemment.

 

Et cela t’enivrait, et l’ivresse était telle

Que tu bravais la mort…

 

CYRANO, voyant Roxane quirevient.

 

Tais-toi ! Pas devantelle !

 

(Il rentre vivement dans satente.)

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