Emma

Chapitre 38

 

Rien ne vint cette fois contrecarrer lesprojets de M. Weston et, au jour dit, Frank Churchill arrivasans encombre à Randalls. M. Weston avait insisté auprèsd’Emma pour qu’elle arrivât de très bonne heure afin de donner sonopinion sur les arrangements pris et il avait été convenu qu’elleamènerait Henriette. En conséquence la voiture d’Hartfield s’arrêtadevant l’hôtel de la Couronne peu après l’arrivée desamphitryons.

Frank Churchill paraissait avoir guetté leurarrivée ; il s’approcha pour aider les jeunes filles àdescendre et ne chercha pas à dissimuler son plaisir : ilsparcoururent ensemble les pièces pour vérifier si tout était enordre. Au bout de cinq minutes des roues grincèrent sur le sable dela cour d’entrée : Emma fut sur le point de manifester sasurprise : « De si bonne heure, est-cepossible ! » Mais elle eut bientôt l’explication de cetempressement anormal : c’était une famille de vieux amis quiavaient été également conviés à une inspection avant la lettre. Descousins suivirent, requis eux aussi pour ces formalitéspréliminaires.

Le fait d’être la confidente et l’amie intimed’un homme qui faisait appel à l’avis de tant de personnes n’étaitpas particulièrement flatteur, et Emma, tout en appréciant lafranchise des manières de M. Weston, ne put que regretter leurbanalité.

On fit de nouveau le tour des salons, et leséloges ne furent pas ménagés : puis tout le monde prit place,en demi-cercle, près de la cheminée. Au cours de la conversation,Emma découvrit qu’il n’avait pas tenu à M. Weston si le nombredes conseillers privés n’était pas encore plus considérable :les Weston s’étaient, en effet, arrêtés devant la porte deMlle Bates pour offrir leur voiture ; mais latante et la nièce n’avaient pu accepter cette offre par suite d’unengagement préalable avec les Elton.

Frank Churchill se tenait à côté d’Emma, maisil était agité, allait à la porte, regardait à la fenêtre. Laconversation tomba sur Mme Elton :

– Je suis très curieux, dit-il, de fairela connaissance de Mme Elton, dont j’ai tantentendu parler. Elle ne saurait tarder à arriver.

On entendit, à ce moment, le bruit d’unevoiture. Il se leva immédiatement, mais, revenant sur ses pas, ilreprit :

– J’oublie que je n’ai jamais vu niM. ni Mme Elton ; je n’ai donc aucuneraison de me mettre en avant.

M. et Mme Elton firentleur entrée et, après les paroles d’accueil et de bienvenue,Mme Weston ajouta :

– Et Mlle Bates etMlle Fairfax ? Ne deviez-vous pas passer lesprendre ?

L’oubli était facilement réparable et desordres dans ce sens furent donnés au cocher. Pendant ce temps FrankChurchill s’occupait tout particulièrement de la nouvelle mariée àlaquelle il venait d’être présenté.

Quelques minutes après, la voiture s’arrêta denouveau à la porte ; on venait de faire allusion à lapluie.

– Je vais voir s’il y a des parapluies,dit aussitôt Frank à son père, et il s’éloigna. M. Weston sepréparait à le suivre, mais il fut arrêté parMme Elton qui brûlait de lui faire part de sonopinion sur Frank Churchill.

– Un très élégant jeune homme en effet,dit-elle. Je vous avais averti très franchement, Monsieur Weston,que je le jugerais en toute indépendance. Vous pouvez me croire, jene fais jamais de compliments. Je le trouve très joli garçon et sesmanières sont précisément celles qui me plaisent ; c’estl’homme distingué sans aucune affectation. Il faut que vous sachiezcombien j’ai les fats en horreur. Ils ne furent jamais tolérés àMaple Grove. Ni M. Sukling ni moi ne pouvons lessupporter ; et parfois nous le leur avons fait sentir d’unefaçon mordante. Célina, qui est la douceur même montrait beaucoupplus de patience.

Tant que Mme Elton fit l’élogede Frank Churchill elle trouva son auditeur très attentif, mais dèsqu’elle fit mine de vouloir s’égarer dans les sentiers de MapleGrove, M. Weston se rappela ses devoirs de maître de maison etil s’excusa, en souriant, d’être forcé de la quitter pour recevoirles dames qui venaient d’arriver.

Mme Elton se tourna alors versMme Weston et reprit :

– Ce doit être notre voiture avecMlle Bates et Jane ; nos chevaux vontextrêmement vite. Quelle satisfaction de pouvoir envoyer sa voiturechercher des amis ! Si j’ai bien compris, Monsieur Weston,vous avez été assez aimable pour mettre la vôtre à leur dispositionmais une autre fois ne prenez pas cette peine. Vous pouvez êtretranquille, j’aurai toujours soin d’elles.

Mlle Bates etMlle Fairfax, escortées par le père et le filsapparurent alors dans l’embrasure de la porte.Mme Elton s’agitait mal à propos et semblaitvouloir disputer à Mme Weston le privilège de lesaccueillir ; mais ses encouragements se perdirent sous le flotde paroles de Mlle Bates ; celle-ci parlaitdepuis le moment où elle avait posé le pied à terre et ne s’arrêtaque plusieurs minutes après s’être assise dans le cercle forméautour de la cheminée. Quand la porte s’ouvrit, elle en était à cepoint de son discours :

– Vous êtes trop aimable ! Il nepleut pas du tout ou du moins à peine. Pour moi, du reste, cela n’aaucune importance : j’ai des semelles épaisses. Quant à Jane,elle m’a assurée… (et, pénétrant dans le salon, ellecontinua) : Eh bien ! Voici qui est brillant ! Toutà fait admirable ! Sur ma parole, on ne pouvait fairemieux ! Et quel éclairage ! Jane avez-vous imaginé riend’approchant ? Oh ! M. Weston, il faut vraiment quevous ayez eu la lampe d’Aladin à votre disposition. Cetteexcellente Mme Stokes ne reconnaîtrait pas, j’ensuis sûre, sa propre salle. Je l’ai vue en entrant : elleétait dans l’antichambre : « Oh ! MadameStokes ! lui ai-je dit. Je n’ai pu en dire plus, je n’ai paseu le temps.

Mme Weston, qui était venue àla rencontre des deux dames, les joignit alors. Mais malgré sabonne volonté et sa politesse, elle ne réussit pas à interrompreMlle Bates :

– Très bien, Madame, je vous remercie.J’espère que vous allez bien. J’avais peur que vous ayez lamigraine ; je vous voyais passer si souvent !

– Ah ! ma chère Madame Elton, mercimille fois pour la voiture ; elle est arrivée en tempsvoulu : Jane et moi étions prêtes ; nous n’avons pas faitattendre les chevaux une minute. Quelle excellente voiture ! –À ce propos, Madame Weston, tous mes remerciements vous sont dûspour votre offre si aimable. M. Elton avait eu la bontéd’écrire à Jane à ce sujet, sinon nous aurions été heureuses… maisdeux offres de ce genre en un jour ! On n’a jamais vu depareils voisins ! J’ai dit à ma mère : « Sur maparole, maman… » Je vous remercie, sa santé est bonne ;elle est chez M. Woodhouse, je lui ai fait prendre son châle,car les soirées sont fraîches, son grand châle neuf, le cadeau denoce de Mme Dixon. Il a été acheté à Weymouth etchoisi par Mme Dixon ; il y en avait troisautres et ils hésitèrent un peu avant de se décider ; lecolonel Campbell était d’avis d’en prendre un de couleur olive. Machère Jane, êtes-vous bien sûre que vous ne vous êtes pas mouilléeles pieds ? Il est tombé quelques gouttes et j’ai toujourspeur ; mais M. Frank Churchill a fait preuve d’uneextrême courtoisie… On avait du reste étendu un tapis devant laporte. Oh ! monsieur Frank Churchill, vous ai-je dit que leslunettes de ma mère sont toujours en parfait état ? La vis n’apas bougé. Ma mère parle souvent de votre bonne grâce. N’est-cepas, Jane ? Ah ! Voici Mlle Woodhouse. Jevous remercie… Comment trouvez-vous que Jane est coiffée ?Vous êtes si compétente ; elle se coiffe toute seule ;elle fait preuve d’une extraordinaire habileté ! Aucuncoiffeur de Londres, je suis sûre, ne pourrait… Voici le docteurHughes et Mme Hughes ! – Commentallez-vous ? Cette fête est tout à fait délicieuse, n’est-cepas ? Où est ce cher M. Richard ? Le voilà ! Nele dérangez pas surtout ; son temps est beaucoup mieux employéen conversation avec les jeunes filles. – Comment allez-voustous ? Il me semble entendre une autre voiture. Probablementcelle de ces excellents Cole. Et quel feu magnifique. Je suisrôtie. – Non, merci, pas de café. Un peu de thé, s’il vous plaît,Monsieur, tout à l’heure ; je ne suis pas pressée. –Comment ! on me sert déjà. Tout est excellent.

Frank Churchill avait repris sa place auprèsd’Emma ; Mme Elton et Jane Fairfax étaientassises derrière eux et Emma ne put s’empêcher d’entendre leurconversation. Après un certain nombre de compliments à l’adresse deJane, Mme Elton, qui désirait évidemment être louéeà son tour, ajouta :

– Aimez-vous ma robe ? Magarniture ? Comment Wright m’a-t-elle coiffée ?

Beaucoup d’autres questions sur le même sujetfurent posées et Jane y répondit avec patience et politesse. PuisMme Elton continua :

– Personne ne saurait être plusindifférente à la toilette que je ne le suis, mais dans uneoccasion comme celle-ci, où tout le monde a les yeux fixés sur moi,et pour faire honneur aux Weston qui, j’en ai la persuasion,donnent ce bal à mon intention, je ne puis me dispenser d’apporterunpeu de recherche à mon ajustement. Je nevois guère de perles en dehors des miennes ! Frank Churchilldites-vous est un danseur de premier ordre ? Vous jugerez sinos styles s’accordent. Je le trouve très bien.

À ce moment Frank se mit à parler avec uneextrême volubilité et Emma se rendit compte qu’il craignaitd’entendre son propre éloge. Mais M. Elton s’étant approché,la voix de Mme Elton domina de nouveau :

– Vous avez fini par nous découvrir dansnotre retraite, s’écria Mme Elton en s’adressant àson mari, je disais justement à Jane que vous deviez vous inquiéterde notre sort.

Frank Churchill sursauta et dit d’un airmécontent :

– Jane ! c’est facile à dire, maisje ne pense pas que Mlle Fairfax approuve cettefamiliarité.

Emma sourit.

– Comment, murmura-t-elle, trouvez-vousMme Elton ?

– Elle ne me plaît pas.

– Vous êtes un ingrat ?

– Ingrat ! Que voulez-vousdire ?… Ne me donnez pas d’explications. Je ne veux pascomprendre votre allusion. Où est mon père ? Il serait tempsde commencer à danser ?

Il s’éloigna et revint au bout de cinqminutes, accompagné de M. et Mme Weston ;ils avaient débattu une question de préséance qu’on venaitsoumettre à Emma :

– Mme Elton s’attendévidemment à ouvrir le bal, dit Mme Weston, noussommes désappointés, ma chère Emma, de ne pouvoir écouter notredésir de vous donner le pas sur tout le monde et, circonstanceaggravante, c’est à Frank qu’incombe le devoir d’offrir la main àla nouvelle mariée.

Frank se tourna aussitôt vers Emma pour luirappeler sa promesse ; il se déclara engagé, et son père luidonna son entière approbation. Mme Weston proposaalors que M. Weston lui-même dansât avecMme Elton, et celui-ci se laissa persuader.

En conséquence, Emma dut se résigner à marcherderrière Mme Elton ; cette subordination luifut d’autant plus sensible qu’elle considérait le bal comme donnéen son honneur. Dans cet instant, les avantages conférés par lemariage lui parurent dignes d’être pris en considération.

Malgré ce petit accroc, Emma contemplait avecplaisir la longue file de danseurs. Elle chercha des yeuxM. Knightley ; celui-ci se tenait dans le groupe desmaris et des joueurs de whist, qui faisaient semblant des’intéresser au bal, en attendant le moment de prendre place auxtables de jeu ; sa haute silhouette se détachait au milieu desformes lourdes des hommes plus âgés dont il était entouré ; ilfit quelques pas en avant, et sa démarche aisée prouvait qu’ilaurait pu danser avec grâce, s’il avait voulu en prendre la peine.Toutes les fois qu’Emma rencontrait le regard de M. Knightleyelle le forçait à sourire, mais au repos sa physionomie étaitsérieuse. Il semblait observer la jeune fille : celle-ci, aureste, se soumettait de bonne grâce à cet examen ; saconduite, en effet, ne pouvait être critiquée et il n’y avait entreson partenaire et elle aucune apparence de flirt. Emma ne doutaitplus que l’attachement de Frank Churchill n’eut considérablementdiminué.

Le bal suivait son cours. Les attentionsincessantes de Mme Weston portaient leursfruits : tout le monde paraissait heureux ; l’opinionétait unanime à proclamer le succès de la fête. Vers le milieu dela soirée pourtant, un incident attira l’attention d’Emma : lesignal des deux dernières danses, avant le souper, avait été donnéet Henriette restait sans cavalier ; jusqu’alors le nombre desdanseurs et des danseuses s’était parfaitement équilibré et Emmafut surprise de constater cetteanomalie ; elle en eut bientôt l’explication en voyantM. Elton se promener solitairement. Il était évident qu’il nevoulait pas inviter Henriette et Emma s’attendait, d’un instant àl’autre, à le voir disparaître dans la salle de jeu ; mais iln’entrait pas dans les vues de M. Elton de se dérober ;il vint dans la partie du salon où se trouvaient les personnesassises, marcha de long en large pour bien montrer qu’il n’étaitpas engagé, s’arrêta même en face de Mlle Smith etadressa la parole aux voisins de la jeune fille. Emma pouvaitobserver ce manège, car elle ne dansait pas encore ;Mme Weston quitta alors sa place et s’approchant deM. Elton, elle lui dit.

– Est-ce que vous ne dansez pas, MonsieurElton ?

– Bien volontiers, répondit-il, madameWeston, si vous voulez danser avec moi.

– Moi ! Oh non. J’ai une meilleurepartenaire pour vous.

– Si Mme Gilberte désiredanser, je suis tout disposé, bien que je ne me considère pluscomme un jeune homme, à offrir le bras à une ancienne amie.

– Il ne s’agit pas deMme Gilberte, mais il y a une jeune fille que jedésirerais beaucoup voir danser ; cette jeune fille, c’estMlle Smith qui n’est pas engagée.

– Mlle Smith ! Jen’avais pas observé. Vous êtes bien aimable et si je n’étais pas unvieux mari !… Je vous prie de m’excuser, Madame Weston, jeserais heureux de vous obéir en toute autre occurrence, mais j’airenoncé à la danse.

Mme Weston n’ajouta rien etEmma, qui avait entendu le dialogue, se rendit compte combienavaient dû être grandes la surprise et la mortification de sonamie. Elle se retourna et vit M. Elton s’approcher deM. Knightley et se préparer à une conversation suivie ;elle surprit en même temps des sourires d’intelligence entre lui etsa femme. Elle détourna la tête, tremblant intérieurement etcraignant que sa figure ne la trahît.

L’instant d’après, un spectacle réconfortantfrappa son regard : M. Knightley donnait la main àHenriette Smith pour la conduire au milieu du salon. Jamais ellen’avait été plus surprise et rarement plus heureuse ! Elleétait trop loin pour parler à M. Knightley mais à la premièreopportunité elle mit toute sa reconnaissance et son plaisir dans unregard et un sourire.

Il dansait extrêmement bien, comme ellel’avait supposé, Henriette était triomphante et semblait ne pastoucher terre. M. Elton, étonné et confus, s’était retiré dansla salle de jeu, ne sachant plus quelle contenance tenir.

Peu après, le souper fut annoncé, et on seprépara à passer dans la salle à manger. Depuis ce moment jusqu’àcelui où elle leva sa cuillère, Mlle Bates ne cessade se faire entendre :

– Jane, où êtes-vous ? Voilà votrecollet. Mme Weston vous prie de le mettre ;elle a peur des courants d’air dans le couloir ; pourtant,toutes les mesures de précaution ont été prises : une porte aété clouée et tout a été rembourré. Ma chère Jane, il fautabsolument couvrir vos épaules. Monsieur Churchill, vous êtes tropbon ; votre opportune intervention a assuré le succès de mesefforts ! Elle est maintenant à l’abri du froid. Oui, machère, comme je vous l’avais dit, j’ai couru jusqu’à la maison pouraider grand’mère à se coucher, et me voici de retour :personne ne s’est aperçu de mon absence. Grand’mère était trèsbien, elle a passé une agréable soirée avecM. Woodhouse : une longue causerie et une émouvantepartie de trente et un ; elle a eu une chance extraordinaire,elle s’est beaucoup informée de vous et elle désirait savoir avecqui vous dansiez. « Oh ! » dis-je « je ne veuxpas enlever à Jane le plaisir de vous raconter demain tous lesdétails, elle même : quand, je suis partie elle dansait avecM. Georges Otway ; son premier partenaire futM. Elton ; M. Cox l’invitera peut-êtreensuite. » – Mon cher Monsieur, vous êtes trop aimable !N’y a-t-il pas une autre dame à qui vous vouliez faire l’honneurd’offrir le bras ? Je puis aller seule. Attendons un instantet laissons passer Mme Elton. Comme elle a l’airélégant ! Quelles magnifiques dentelles ! Maintenant nouspouvons suivre derrière la queue de sa robe. C’est tout à fait lareine de la soirée. Nous voici au couloir. Jane faites attentionaux deux marches – mais il n’y en a qu’une ! C’est curieuxj’étais persuadée du contraire ! Je n’ai jamais vu nulle partune décoration d’un style aussi parfait : des bougiespartout ! Je vous parlais de grand’mère, Jane ; il y a euun petit incident à Hartfield : outre des pommes au four etdes biscuits, on avait posé sur la table du souper une délicatefricassée d’asperges avec une garniture de ris de veau ; parmalheur l’excellent M. Woodhouse ne jugeant pas les aspergessuffisamment cuites, a renvoyé le tout ; c’est, vous le savez,le mets préféré de grand’mère aussi avons-nous décidé de ne parlerà personne de cette aventure de peur que le fait n’arrive auxoreilles de Mlle Woodhouse et ne lacontrarie ! – Eh bien ! Voici des tables servies avecprofusion ! Je suis émerveillée. Où allons-nous nousasseoir ? À l’abri de tout courant d’air à cause de Jane –Ah ! vraiment, M. Churchill vous conseillez cette partiede la pièce ! Faisons comme vous le désirez : il vousappartient de commander ici. Ma chère Jane, comment pourrons-nousnous rappeler le nom de tous ces plats pour en donner la liste àgrand’mère ? Il y a aussi du potage ! On n’aurait pas dûme servir déjà, mais le fumet est si fin que je ne puis m’empêcherde commencer !

Emma ne trouva pas l’occasion de parler àM. Knightley pendant le souper ; mais dès que les invitésfurent de nouveau réunis dans la salle de bal, les yeux de la jeunefille l’appelèrent irrésistiblement, et il vint s’asseoir auprèsd’elle : il commença par blâmer énergiquement l’inqualifiablegrossièreté de M. Elton et la complicité deMme Elton fut sévèrement appréciée.

– Ils ont cherché à blesser, ajouta-t-il,non seulement Henriette, mais encore l’amie d’Henriette. Pourquoisont-ils vos ennemis, Emma ?

Il la regarda en souriant et, ne recevant pasde réponse, il reprit :

– Elle ne devrait pas vous en vouloir,quand bien même il aurait, lui, des raisons de rancune ; je nevous demande pas de me confier le secret d’un autre, mais avouezque vous désiriez lui faire épouser Henriette ?

– C’est vrai, dit Emma.

– Je ne vous gronderai pas, dit-il d’unair indulgent ; je vous laisse à vos propres réflexions.

– Ne vous fiez pas à mon senscritique ! Je me suis complètement trompée sur le compte deM. Elton. Vous vous êtes, au contraire, montré trèsperspicace ; vous l’aviez jugé intéressé et vaniteux ;rien de plus exact. J’avais été amenée à la suite d’une séried’extraordinaires malentendus, à m’imaginer qu’il était amoureuxd’Henriette.

– Pour vous récompenser de reconnaîtrevos torts, je veux vous rendre justice : vous aviez mieuxchoisi pour lui qu’il ne l’a fait lui-même. Henriette Smith a desqualités de premier ordre qui font totalement défaut àMme Elton : c’est une jeune fille simple,sincère, droite que tout homme de bon sens et de goût préférerait àune femme du genre de Mme Elton. Je ne m’attendaispas à trouver la conversation d’Henriette si agréable.

Emma fut extrêmement flattée de ce jugementporté sur son amie ; elle s’apprêtait à répondre mais ilsfurent interrompus par M. Weston : celui-ci organisait lareprise des danses.

– Allons, dit-il, Mademoiselle Woodhouse,Mademoiselle Otway, Mademoiselle Fairfax, à quoi pensez-vous ?Venez Emma donner l’exemple. Tout le monde est paresseux, tout lemonde dort.

– Je suis prête à accomplir mon devoir,repartit Emma, si j’en trouve l’occasion toutefois !

– Avec qui allez-vous danser ?demanda M. Knightley.

– Avec vous, si vous m’invitez.

– Voulez-vous ? dit-il en luioffrant la main.

– Je crois bien. Vous avez fait vospreuves et nous ne sommes pas suffisamment frère et sœur pour qu’ilnous soit interdit de danser ensemble.

– Frère et sœur ! Mais pas dutout.

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